Maison de Sylla, 11ème heure de la nuit

Le Premier consul avait retrouvé avec plaisir sa luxueuse villa. Il regretta que Metella ne soit pas là pour l'accueillir. Il passa un long moment dans un bain chaud, puis ses esclaves l'aidèrent à revêtir sa toge consulaire. Pas question qu'il se présente au peuple et au Sénat en tenue militaire. Il allait avaler un rapide petit déjeuner lorsque Lucullus vint faire son rapport.

LL: Ave imperator, nous avons attrapé quelques chevaliers membres de l'Anti-Sénat, mais ni Marius, ni Sulpicius.

LS (de bonne humeur): Ce n'est pas grave, Lucullus. Nous les aurons dans les jours qui viennent, ils n'iront pas loin. Dit à ma légion que je la veux toute sur le Forum avant le lever du jour.

Quelques minutes plus tard, Metellus Pius se présenta dans son salon.

LS: Salve cousin. Tu es très matinal.

MP: Impossible de dormir avec tout le bruit que vous avez fait Marius et toi dans toute la Ville.

LS (perspicace): On dirait que tu es déçu…

MP (sursautant): Qui, moi? Non. J'étais sûr que tu allais gagner.

LS: Tu aurais pu venir participer…

MP: Sulla, contrairement à toi, je respecte la loi, comme la majorité du Sénat.

LS: Un Sénat qui n'existait plus sous le règne de Sulpicius.

MP: J'espérais que tu allais régler les choses pacifiquement…

LS: Metellus, nous sommes dans une époque où la politique est dépassée, ou bien aux mains des descendants des Gracques. Le Sénat n'a pas eu d'autre choix que d'avoir recours à la force pour retrouver son autorité.

MP: Si tu le dis…

LS (perçant): Je vais rétablir le Sénat. Je peux compter sur ton appui pour voter les lois que je vais proposer au moins?

MP: Evidemment!

Forum, veille des calendes d'octobre, 1ère heure du jour

Sylla, accompagné de Metellus Pius, retrouva un Pompeius de meilleure humeur à l'assemblée du peuple.

PR: J'ai dit à ma femme que je lui rapporterais la tête de Sulpicius.

LS: Je t'aiderai à tenir ta promesse.

Au lever du soleil, une foule timide, mais finalement assez nombreuse, se réunit aux comices pour entendre ce que les consuls avaient à dire. Les Romains allaient être assez surpris…

LS: Ave peuple de Rome. Vous avez passé d'épouvantables dernières semaines et une affreuse journée hier. Pour cela, nous, vos consuls, nous devons vous présenter des excuses. Nous n'avons pas été assez fermes avec le tribun de la plèbe Publius Sulpicius Rufus. Celui-ci a d'abord chassé le second consul Pompeius Rufus de la Ville avant de me forcer - je dis bien forcer! - le glaive sous la gorge à me faire retirer nos ferie. Sulpicius aurait pu être heureux de sa victoire. Non, il a fallut qu'il me chasse de Rome! (Brouhaha): Oui peuple de Rome, la République en a été rendue à cet état qu'un tribun de la plèbe a osé chasser les consuls! Sulpicius aurait pu en profiter pour faire votre bonheur, vous offrir plus de blé, plus de pain ou plus de terre, mais qu'a-t-il fait en fait? Plutôt que de s'occuper du peuple, c'est-à-dire d'œuvrer pour la tâche pour laquelle il a été élu, il a fait passer toute une série de lois pernicieuses visant à détruire le Sénat! Avec une stupeur plus grande encore, nous avons appris qu'il était secondé dans toutes ses actions par Gaius Marius! (Brouhaha intense). Oui, peuple de Rome, comme vous, c'est avec une immense tristesse que j'ai appris que celui que vous surnommiez affectueusement le "Troisième fondateur de Rome", celui-là même que vous avez honoré six fois du titre de consul, œuvrait pour détruire cette République chère au cœur de tous les citoyens romains! En tant que consuls, il nous revenait, à Pompeius Rufus et à moi, l'obligation de sauver la République. Malgré la ferme volonté des sénateurs d'aboutir à une solution pacifique, Sulpicius et Marius n'ont rien voulu entendre! Que pouvions-nous faire? J'ai alors pris la responsabilité de faire intervenir la force armée dans les rues de Rome. (Réprobations). Oui, je sais, quirites, une armée romaine qui attaque sa propre patrie, c'est inconcevable, surtout de la part d'un Premier consul... Mais nous n'avions pas d'autre choix! Cette solution s'imposait comme une nécessité. Dans le combat qui s'est joué hier dans les rues de Rome, nous avons veillé à ce que la population soit épargnée. Notre action visait à chasser de la Ville les tyrans Sulpicius, Marius, l'Anti-Sénat et leurs complices. Ce matin, nous avons le plaisir de vous annoncer que l'ordre a été rétabli dans la République! Je vous averti dès à présent que je compte faire passer une série de loi afin que des incidents de ce genre ne se produise plus jamais!

L'heureux Sylla

Quelques applaudissements venant des clients des consuls clôturèrent la séance, mais la plupart des citoyens de Rome étaient encore trop assommés par la bataille qui s'était déroulée dans les rues hier à la surprise générale, pour avoir réellement des questions à poser. Dans les jours à venir, ils allaient surtout chercher à comprendre ce qui s'était réellement passé. Et puis, plus que tout, le peuple était très fortement impressionné par la présence de plusieurs légions dans les rues de la Ville…

La Curie, 3ème heure du jour

Sylla et Pompeius Rufus entrèrent les derniers au Sénat. Lucius Caesar se leva, imité par tous les optimates, qui applaudirent chaleureusement les consuls. Sylla et Pompeius Rufus, radieux, allèrent s'installer sur leurs chaises curules. Pour plus de précaution, (Sylla s'inquiétait d'éventuelles représailles des partisans de Marius), une centaine de ses prétoriens veillaient au bon déroulement de la séance. De leur côté, les Flaccus et Julius César n'osèrent pas bouger.

LS (donnant le ton): Patres, je pense que le sang versé dans les rues de Rome hier nous dispense des formalités d'usage pour savoir si cette réunion sera favorable ou non. Passons donc tout de suite au vif du sujet. Pompeius…

PR: C'est une motion que nous aurions du adopter il y a très longtemps. Il s'agit de voter un senatus consultus ultimum déclarant le tribun de la plèbe Publius Sulpicius Rufus ennemi de la République! Qui est pour?

Les optimates manifestèrent leur enthousiasme en applaudissant et tous levèrent le bras, peu à peu imité par le reste du Sénat qui gardait un œil sur les glaives bien affutés des syllaniens.

LS: Bien, il s'agit donc de déclarer Sulpicius hostis. Précisons donc que la peine de mort est requise contre lui. Que tout esclave le dénonçant sera affranchi. Qu'il n'aura droit à aucune funérailles, ni sépulture, que sa citoyenneté lui est retirée, et que ses biens sont confisqués au profit de l'Etat. Des questions?

Valerius Flaccus père: Pardonnes-moi consul, mais tout cela n'est-il pas un peu… excessif.

LS (amusé): Je comprends ce qui te chagrine Valerius, mais devoir faire marcher six légions sur Rome pour l'arrêter lui et son Anti-Sénat, je trouve aussi que c'est un peu… excessif.

Les optimates se mirent à rire.

VF (insistant): C'est tout de même un homme qui a vaillamment combattu pendant la Guerre Sociale. Je réclame juste pour lui une sépulture décente, consul, rien d'autre.

LS: Et je suis désolé de devoir te répondre "non" Valerius car je tiens à dissuader tous les prochains tribuns de la plèbe qui auraient la mauvaise idée de s'en prendre à la République.

Valerius Flaccus n'insista pas davantage.

LS: Bien, maintenant, il s'agit de déclarer aussi hostis ses complices.

Scipio Asiaticus (qui détestait Sylla): ça va être rapide, leurs cadavres se retrouvent dans tout Rome!

LS (légèrement menaçant): Si tu veux parler de l'Anti-Sénat, Scipio, effectivement, je crains qu'il n'en reste plus beaucoup de vivants. (Continuant): les autres citoyens à déclarer hostis sont: Gaius Marius, Gaius Marius fils, Publius Tullius Albinivanus, Marcus Laetorius, Quintus Granius, Cnaeus Granius, Publius Cornelius Cethegus, Rubrius Varron, Marcus Junius Brutus, Gnaeus Servilius Caepio et Marcus Marius.

Un tonnerre de protestation secoua le Sénat jusque dans ses fondations. Dans le coin populares on hurlait: Sylla profitait d'être en position de force pour faire déclarer hostis tous les hommes qu'il détestait. C'était proprement scandaleux! Quant à déclarer Marius et sa famille ennemis publics, non, non et non!!! Gaius Norbanus, homme nouveau et ami bien connu de Marius, exprima vertement sa façon de penser.

GN: Pour qui te prends-tu consul pour faire mettre à mort des hommes dont le seul crime est d'être tes ennemis? Pour le roi de Rome???

Sylla se leva de sa chaise curule, le regard plus glacial que jamais, et alla se placer au milieu de la Curie.

LS (menaçant): Norbanus, patres, sachez que je ne fais déclarer ennemi public que les chefs de troupes qui ont pris hier les armes contre la République! Le sang n'a que trop coulé dans Rome! Qu'y puis-je si Marius a été enrôler jusqu'à ses fils et jusqu'à des esclaves à ce que l'on m'a dit! Ils ont tous trahi la République!!! C'est pour cette seule et unique raison que je vous demande de les déclarer ennemis publics! Pour que tout le monde comprenne bien que même le grand Gaius Marius n'est pas au-dessus des lois de Rome!!! Pas même moi que vous accusez de vouloir rétablir la monarchie!!

Très en colère, Sylla s'approcha de Norbanus.

LS: Préteur, veux-tu donc m'accuser officiellement devant tout le Sénat de vouloir rétablir la monarchie à Rome?

GN (figé sur place): Non consul, fut tout ce qu'il arriva à dire.

LS (savourant sa vengeance): Patres, je vous demande de bien vouloir déclarer tous ces hommes hostis avec moi.

Lucius Caesar (se levant): En tant que prince du Sénat, j'affirme que le Premier consul Cornelius Sulla est un ardent défenseur de la République. Je vous invite à bien vouloir voter en faveur de sa loi.

Un à un, les sénateurs, sous le regard des prétoriens, se résignèrent à déclarer Gaius Marius et sa famille ennemis publics. Certains populares pleuraient ouvertement. Seul le vieux Quintus Mucius Scaevola resta assis à sa place, en raison de son grand âge croyait-on. Mais lorsque vint son tour de se prononcer, il refusa. Comme Sylla insistait pour avoir son vote, il finit par se lever et dit:

MS: Consul Cornelius Sulla, je n'approuve pas de voir tes légions admises jusque dans l'enceinte du Sénat. Je n'approuve pas non plus tes menaces de mort à peine voilées si nous ne votons pas tes lois. Mais tu auras beau m'environner de tous les glaives que tu voudras, jamais je ne déclarerais Marius ennemi public! Oh, tu peux me condamner à l'exil si tu veux. Peut m'importe ce que tu feras de moi vu le peu de temps qui me reste à vivre. Mais je me refuse à trahir le grand serviteur de la république qu'a été Gaius Marius, ce grand général qui a sauvé plusieurs fois Rome et l'Italie toute entière!

Mucius Scaevola refuse de déclarer Marius hostis

Cette déclaration fut suivie par un silence de mort dans toute la Curie. Tous les regards convergèrent vers Sylla.

LS (haussant les épaules): Comme tu voudras augure… Je ne peux que pleurer avec toi cet ancien temps béni de la République où les Romains ne s'entretuaient pas entre eux… Je regrette néanmoins profondément que tu ne comprennes pas que Gaius Marius soit à l'origine des derniers événements. Bien, la motion est donc adoptée à l'unanimité moins une voix!

Les consuls, très satisfaits, allaient clôturer la séance lorsque Quintus Lutatius Catulus demanda à parler.

QC: Consul Sulla, pardonne ma question, mais j'aimerai savoir quand tu vas partir pour l'Asie?

LS: Eh bien, je dois faire passer quelques lois, veiller à ce que l'ordre à Rome ne soit plus troublé, superviser les prochaines élections… Pour répondre à ta question Catulus, je dirais pas avant le printemps prochain.

Caesar Strabo fut franchement surpris.

CS: Consul, tu nous avais pourtant affirmé que la situation en Asie ne souffrirait d'aucun retard!

LS: C'est exact. Les généraux de Mithridate s'avancent chaque jour un peu plus vers Rome! A l'heure qu'il est, ils doivent être en Grèce maintenant!

Stupeur dans les rangs du Sénat.

QC: Justement, au printemps prochain Mithridate sera à Rome à ce rythme là...

LS (glacial): Pères conscrits, permettez-moi d'être sincère avec vous. A qui est-ce la faute si Mithridate est presque aux portes de Rome? (Se levant et toisant tous les sénateurs du regard): Qui était à Rome, à laisser faire Marius et Sulpicius alors qu'il vous aurait suffit de les arrêter? Cela aurait été bien plus rapide que d'attendre deux mois que je revienne de Nola avec six légions!

Silence parmi les rangs optimates. La plupart d'entre eux s'étaient subitement absorbés dans la contemplation de leurs sandales…

LS: Bien, disons donc que Marius et Sulpicius sont responsables! Je suis d'accord avec vous, puisque ce sont eux les responsables, c'est donc à eux de payer! (Un sourire victorieux en coin): Je propose donc que les biens des hostis servent à financer la campagne militaire contre Mithridate. Qui est contre?

Norbanus faillit s'étouffer. La fortune de Marius se montait à plusieurs dizaines de millions de sesterces. Sylla pourrait entretenir ses légions pendant des années! Contre toute attente, le prince du Sénat en personne désapprouva.

LC: Premier consul, je suis contre cette motion.

Sylla, qui ne s'attendait pas à cela de la part des Caesars, le considéra comme un véritable coup bas.

LS (le regard menaçant): Pour quelle raison princeps?

LC: Les caisses de l'Etat sont complètement vidées par la Guerre Sociale. L'argent de Gaius Marius doit donc servir en priorité à les renflouer. Y vois-tu une objection consul?

LS (très calme en apparence): Aucune princeps.

Intérieurement, Sylla bouillait de rage. "Tout cela parce que les sénateurs ont peur de perdre leur autorité face à moi!" La séance fut levée. Les sénateurs sortirent un par un, assez pressés d'en finir avec cette inoubliable réunion. Seul Lucius Caesar s'attarda pour parler avec Sylla.

LS (toujours énervé): Qu'est-ce qui t'a pris?

LC: J'ai respecté mon engagement, Lucius. J'ai voté pour déclarer tous les Marius hostis. Mais ne provoque pas un conflit encore plus grand à Rome en t'emparant aussi de sa fortune.

LS: Marius a plusieurs millions et je ne tiendrais pas trois mois en Asie avec les fonds que le Sénat m'a donnés!

LC: Et nous, nous devons reconstruire toute l'Italie pendant que tu seras absent! Lucius nous avons plus besoin de cet argent que toi! Je suis sûr que tu trouveras une autre solution…

Rome, deux jours après les calendes d'Octobre

Après la séance au Sénat, Sylla et Pompeius Rufus avaient passé plus de 24 heures dans leurs foyers à dormir et à récupérer. Les six légions s'étaient installées sur le Champ de Mars et chacune se relayait pour patrouiller dans Rome. Dans l'après-midi, un courrier urgent réclama les deux consuls sur le Forum. Pieds et poings liés, Pompeius Rufus eut la grande joie de se voir livrer Sulpicius vivant. Sylla n'était pas moins aussi heureux que son collègue.

Bellienus: Il s'était terré dans sa maison de campagne. C'est son esclave qui l'a dénoncé. Il s'est enfuit, et on l'a rattrapé dans les marais de Laurentes.

Sulpicius Rufus était à genoux devant les consuls. Sa tunique était déchirée et couverte de boue. L'ancien tribun de la plèbe tremblait de la tête au pied. Une foule nombreuse s'était rapidement réunie en apprenant qu'on l'avait rattrapé. Sylla s'avança vers lui et l'attrapa par les cheveux.

LS: Dis-moi Sulpicius, combien Marius t'a-t-il acheté pour lui faire donner le commandement de la guerre contre Mithridate?

S: Cinq millions de sesterces.

LS: Est-ce que ça en valait bien la peine Publius?

S (regardant Sylla dans les yeux): Pour mettre le Sénat à genoux et vous voir humiliés, oui, ça en valait la peine!

Sylla lui cracha en plein visage avant de le lâcher et de le laisser à Pompeius. Le second consul tenait un glaive bien affuté dans la main.

S: Je… je ne voulais pas que l'on tue ton fils.

PR (fou de douleur): Nous étions ami Sulpicius!

Et Pompeius lui planta son glaive en plein cœur et lui coupa la tête sous les vivats de la foule. Puis il alla la mettre sur les Rostres.

Les rostres

PR: Qu'elle y reste! Je peux pouvoir la contempler chaque jour!

Dans la soirée, la population, déjà affreusement choquée d'avoir vu le nom de Gaius Marius sur la liste des ennemis publics, découvrit une nouvelle affiche. Sylla offrait 50 000 deniers pour la tête de Marius! Trop, c'était trop! Le Premier consul se fit conspuer dans toute la Ville.

PR (semblant apaisé): Tu aurais du le tuer au marché Esquilin…

LS: Je sais Quintus… Mais à ce moment là, je croyais sincèrement que j'allais l'arrêter avant la fin de la bataille. Qu'importe si le peuple ne me comprends pas, mais c'est un homme que je ne peux pas me permettre de laisser en vie.

PR: Tu crains qu'il n'arrive à se venger? Il n'est plus rien Lucius, tu lui as tout pris!

LS: Tant qu'il sera en vie, la République sera en danger.

PR: Bah, s'il revient faire du mal à Rome, tu seras encore là pour la protéger.

LS: J'aimerai justement qu'il ne s'approche plus jamais de Rome. Et cette fois Quintus, je ne serais pas là. Mithridate m'attend et je ne peux hélas me concentrer sur deux adversaires à la fois…

En quittant Pompeius, Sylla retomba sur son vieil ami le prophète.

Le prophète: Ave Imperator Felix! Que Sol Invictus t'accompagne jusqu'à Athènes!

Sylla s'arrêta. Il ne savait pas pourquoi, mais il comprit en entendant le prophète qu'il avait définitivement vaincu Marius. Il pouvait désormais tourner sereinement son regard vers l'Asie…

Fin