Lucius Cornelius a été coopté pour faire partie du collège des augures. Nous ne savons pas exactement quand, mais vraisemblablement juste avant de se faire élire consul ou pendant son consulat. Pendant toutes ses campagnes, Sylla, très superstitieux comme tous les patriciens romains, n'a jamais manqué d'interpréter les signes des dieux en sa faveur, jusqu'à s'élever lui-même au rang de demi-dieu… Quand Sylla commença-t-il à prendre réellement conscience de l'importance de la religion dans son ascension politique et militaire? Dans les sources, c'est à partir de son proconsulat en Cilicie que les dieux et les prophéties apparaissent… LA PROPHETIE PARTHE Plutarque est celui qui nous parle le mieux des rapports de Sylla avec la religion. Il nous livre une prophétie parthe faite à Sylla alors qu'il signait un traité avec cet empire: ''On raconte qu'un Chalcidien de la suite d'Orobaze, ayant contemplé les traits du visage de Sylla, et étudié avec attention et les mouvements de son corps et les expressions de sa pensée, appliqua les règles de son art à ce qu'il avait saisi de son caractère: ''Cet homme, dit-il, parviendra nécessairement au plus haut degré de grandeur; et je m'étonne même comment il endure dès à présent de n'être pas le premier de l'univers''. Mais Velleius Paterculus nous livre une toute autre version de cet épisode: ''Il avait été le premier des Romains à recevoir les ambassadeurs des Parthes; il avait consulté quelques-uns d'entre eux qui étaient mages et ils répondirent que certaines marques imprimées sur son corps indiquaient qu'il égalerait les dieux avant et après sa mort''. Jusqu'alors, Lucius Cornelius avait sacrifié aux dieux comme tout bon romain, préférant avoir les faveurs du ciel avant les batailles et les entrées en fonction. Mais lors de sa propréture en Cappadoce, il s'ouvre à d'autres cultes. Ma-Bellone Aux dieux de Rome, il ajoute une déesse Cappadocienne ''soit la lune, ou Minerve, ou Bellone'', dit Plutarque. Pour autant, à son retour à Rome, il reste discret et ne parle pas encore de Fortune. LA GUERRE SOCIALE C'est lorsque la Guerre sociale se déclare que sa ferveur mystique connaît un tournant. Tout d'abord, Sylla commande enfin sa propre armée, à 49 ans; il devient général à la mort du consul Lucius Porcius Cato. Fin avril, Lucius Cornelius veut reprendre Strabiae, alors aux mains des Marses. Comme avant chaque bataille, les augures procèdent à des sacrifices. En effet, chaque armée était alors accompagnée d'augures. Ces augures, appelés ''pullaires'' avaient pour fonction de veiller aux poulets sacrés et, avant les grandes batailles, de lire dans leurs entrailles. Si les auspices étaient bons, on attaquait, s'ils étaient mauvais, le combat était remis à plus tard. Les auspices étaient très importants pour le moral des soldats, très superstitieux. En campagne, Sylla était accompagné de l'augure Postumius, entièrement dévoué à sa cause et à la réussite de ses projets militaires. Un aruspice Ainsi, avant la bataille, ''L. Sylla, consul pendant la guerre sociale, faisait un sacrifice sur le territoire de Nola, devant la tente prétorienne. Tout à coup, il vit s'échapper un serpent du pied de l'autel. À cette vue, sur le conseil de l'aruspice Postumius, il se hâta de mettre son armée en campagne et s'empara d'un camp retranché des Samnites. Cette victoire fut le premier degré et comme le fondement de la puissance si considérable qu'il acquit dans la suite'' explique très bien Maxime Valère. Si bien que par la suite, ''Lucius Sylla pour disposer ses soldats à bien se battre, leur fit croire que les dieux lui prédisaient l'avenir'', rapporte Frontin. O FORTUNA Sylla, général dans la Guerre sociale, n'hésita pas à se positionner comme l'homme providentiel de Rome. En effet, un phénomène naturel assez rare eut lieu: ''il se fit, près de Laverna, une large fente dans la terre, et qu'il jaillit de cette ouverture un grand feu, dont la flamme monta resplendissante vers le ciel; et que les devins, expliquant ce prodige, annoncèrent qu'un vaillant homme, d'une beauté admirable, parvenu à l'autorité souveraine, délivrerait Rome des troubles qui l'agitaient. ''Cet homme, ajoute Sylla, c'était moi-même, parce que j'avais ce trait de beauté remarquable, que mes cheveux étaient blonds comme l'or; et je puis sans rougir m'attribuer le nom de vaillant, après de si beaux et de si grands exploits'', rapporte Plutarque. En réalité, Sylla avait évidemment demandé à son devin Postumus de donner cette interprétation aux soldats. Leur chef était béni des dieux: il allait les conduire à la victoire, voilà ce qu'ils devaient croire. Mais on peut dire que la Fortune souriait vraiment à Sylla puisque des phénomènes hors du commun se produisaient réellement en sa présence, ce qui lui permettait de le faire interpréter comme il les voulait par ses augures. Ainsi ses légionnaires, en voyant ces prodiges, ne pouvait plus douter de la relation privilégiée que Sylla, paré d'une aura sacrée, entretenaient avec les dieux. La déesse Fortuna Comme Sylla enchaînait les victoires, et qu'il était secondé par des manifestations divines au point que ses partisans commençaient à le surnommer Felix, soit ''béni des dieux'', il décida de consacrer quasi officiellement sa chance en rapportant ses exploits à la déesse de la Fortune. ''Pour Sylla, loin de trouver mauvais qu'on vantât son bonheur et les faveurs dont le comblait la Fortune, il rapportait lui-même à la Fortune tous ses succès pour en augmenter l'éclat et les diviniser en quelque sorte; soit qu'il le fit par vanité, soit qu'il crût réellement aux conduites de la divinité sur lui'', explique Jérôme Carcopino. Dans tous les cas, sa tactique religieuse et sa propagande de la Fortune fonctionnait à plein régime sur les esprits romains. Et vraiment, tous finirent par croire Sylla protégé et encouragé par la divinité. Car ses succès - Sylla perdait rarement une bataille - ne pouvaient pas être naturels, ils ne pouvaient donc être que d'origine divine. Et pour ses troupes, Sylla était réellement le favori des dieux. Du côté de ses adversaires, on raillait l'ascendant religieux qu'il utilisait à des fins de propagandes personnelles. INTERPRETE DE LA VOLONTE DES DIEUX Sylla était pratiquant, fervent et superstitieux. Il avait ses augures et devins à ses ordres, mais d'autre part il avait réellement la chance de son côté, il finit donc par être coopté augure avant la fin de l'année 665 (-87), soit au début de l'année 666 (-88), peut-être pour remplacer un augure mort pendant la Guerre Sociale. Il avait donc désormais le pouvoir d'interpréter lui-même la volonté des dieux. Sylla était donc solennellement investi du pouvoir religieux. Les augures, au nombre de huit, sont les interprètes de la volonté de Jupiter, le maître des signes. Une fois cooptés, ils étaient inamovibles. Les augures jouissent d'une grande considération à Rome. Une loi des douze tables défendait même de désobéir aux interprétations des augures sous peine de mort. La science augurale se trouvait contenue dans des livres constitués de douze articles principaux, que les augures devaient connaître par cœur. Pour consulter les auspices, les augures se servent d'un bâton recourbé, le lituus, avec lequel ils tracent sur le sol un périmètre sacré, le templum, à l'intérieur duquel ils rentrent en relation avec Jupiter. Les augures ont le pouvoir de décider ce qui est fas, autorisé, ou nefas, interdit. LES SIGNES CELESTES DE LA GUERRE CIVILE Alors que Sylla était consul et venait de quitter Rome, des nuages noirs s'amoncelaient au-dessus du ciel de Rome, au sens propre du terme. Sylla en fut informé comme il était informé de tout phénomène étrange, et dans ses Mémoires, il en fit un signe précurseur de la guerre civile à venir entre lui et Marius. Et Plutarque de nous dire que ''Le feu prit spontanément au bois des piques qui soutenaient les enseignes, et l'on eut beaucoup de peine à l'éteindre. Trois corbeaux apportèrent dans la ville leurs petits; et, après les avoir dévorés en présence de tout le monde, ils en remportèrent les restes dans leurs nids. Des souris ayant rongé de l'or consacré dans un temple, les gardiens de cet édifice sacré en prirent une dans une souricière, où elle fit cinq petits et en dévora trois. Mais le signe le plus frappant, c'est que, dans un ciel serein et sans nuages, on entendit une trompette qui rendait un son si aigu et si lugubre, que tous se sentirent éperdus et frissonnants à ce bruit terrible''. Et encore: ''Pendant que le Sénat était assemblé dans le temple de Bellone, conférant avec les devins sur ces prodiges, on vit tout à coup un passereau voler au milieu de l'assemblée, portant dans son bec une cigale, qu'il partagea en deux: il en laissa tomber une partie dans le temple, et s'envola avec l'autre. Les interprètes des présages dirent que ce prodige leur faisait craindre une sédition entre les possesseurs de terres et le peuple de la ville et du Forum; car celui-ci crie toujours comme le passereau, et les paysans vivent aux champs, comme les cigales''. Sylla avait les augures de son côté alors que Marius s'associait avec Sulpicius. Et tous les signes célestes devaient tendre à sa victoire sur les populares. LE REVE AVANT L'ACTION Sylla s'était donc décidé à marcher sur Rome pour la délivrer de ses tyrans, comme il le disait lui-même. Mais il voulu montrer à son armée que son entreprise ne pouvait réussir sans l'aval des dieux. Pour le seconder dans ses interprétations divines, il pouvait compter sur son devin Postumius et sur son dévoué légat Lucius Licinius Lucullus, chargé de transmettre le message des dieux aux soldats. Avant de marcher sur Rome, il ''fit d'abord un sacrifice; et le devin Postumius, après avoir examiné les présages, présenta ses deux mains à Sylla, le priant de les lui lier et de le tenir prisonnier jusqu'après la bataille, et s'offrant à endurer le dernier supplice, si l'entreprise n'était pas suivie d'un prompt et heureux succès''. Les dieux soutenaient donc Sylla dans son juste combat et ses légionnaires pouvaient marcher en pleine confiance sur Rome. En approchant de la capitale, Sylla accentua sa propagande religieuse. Comme les sacrifices et présages ne suffisaient pas, il mit aussi les rêves à contribution, avec ordre pour Lucullus de ''ne tenir rien si certain que ce que les dieux lui auraient révélé en songe pendant la nuit''! On ne pouvait donc remettre en cause les songes de Sylla sans gravement offenser les dieux! Le songe de Sylla ''On dit aussi que Sylla vit lui-même apparaître en songe une déesse que les Romains adorent, et dont ils ont emprunté le culte aux Cappadociens: cette déesse, soit la lune, ou Minerve, ou Bellone, Sylla crut la voir debout devant lui, qui lui mettait la foudre en main, et lui ordonnait d'en frapper ses ennemis, qu'elle lui nommait les uns après les autres. Et ceux-ci tombaient sous les coups de Sylla, et disparaissaient à l'instant''. Le message était limpide: malheur à ceux qui s'opposeraient à la volonté du consul Lucius Cornelius Sylla: ils seraient tous foudroyés! Par la main de Sylla, c'est donc la volonté de Jupiter qui s'accomplit! Son armée n'avait plus qu'à le suivre et à exécuter ses ordres sans discuter… LE PILLAGE DES TEMPLES GRECS Gouverneur d'Asie et général en chef de la guerre contre Mithridate, Sylla avait besoin d'énormes sommes d'argent. Pour s'en procurer, il n'a pas hésité à piller les temples grecs les plus riches: Epidaure, Olympie et Delphes. Mais pour Sylla, il s'agissait seulement d'un emprunt: ''Il écrivit aux Amphictyons, à Delphes; qu'on ferait bien de lui envoyer les trésors du dieu; qu'ils seraient plus sûrement entre ses mains; ou que, s'il était forcé de s'en servir, il leur en rendrait la valeur''. Mais même son ami Caphys, dépêché à Delphes pour ramener l'or du temple, était scandalisé par l'attitude de son général et tenta de le mettre en garde contre la colère des dieux: ''Caphys, arrivé à Delphes, n'osait toucher à ces dépôts sacrés; et, pressé par les instantes prières des Amphictyons, il fondit en larmes, déplorant la nécessité qui lui était imposée. Quelques-uns lui dirent alors qu'ils entendaient, au fond du sanctuaire, résonner la lyre d'Apollon; et Caphys, soit qu'il le crût réellement, soit qu'il voulût jeter dans l'âme de Sylla une terreur religieuse, lui écrivit pour l'en avertir. Sylla fit une réponse moqueuse. Il s'étonnait, disait-il, que Caphys ne comprit pas que le chant était un signe de joie et non pas de colère. Aussi lui enjoignit-il de tout prendre sans crainte, alléguant que le dieu voyait avec plaisir enlever ses richesses et en faisait l'abandon'', relate Plutarque. Sylla, le favori de la Fortune, avoir peur des dieux? Il se moqua ouvertement des peurs de Caphys par une réponse cinglante: les dieux étaient avec lui et le soutenaient dans toutes ces entreprises, était-ce clair? Du reste, il tint parole et remboursa les temples en leur offrant la plupart des terres de Thèbes. ZEUS SOUTIENT LES ROMAINS Alors que Sylla assiégeait Athènes et le Pirée, un orage éclate. ''Pendant que Sylla assiégeait le Pirée, un de ses soldats, qui portait des matériaux de retranchements, fut tué par la foudre. Comme la tête du mort était tournée du côté de la ville, l'aruspice déclara que les Romains y entreraient vainqueurs, après un long siège'', rapporte Julius Obsequens. Le grand dieu Zeus lui-même soutenait les Romains! Sylla n'avait même plus besoin d'interpréter les phénomènes célestes: les dieux intervenaient par eux-mêmes. L'ORACLE DE DELPHES Bien sûr, Sylla consulta aussi l'Oracle de Delphes. Voici ce que l'Oracle lui dit de son avenir: ''Romain, ajoute foi à ce que je vais te dire. Vénus, qui s'intéresse aux descendants d'Énée, leur a donné une grande puissance. Mais ne laisse pas d'offrir des sacrifices à tous les immortels. N'en oublie aucun. Envoie des offrandes à Delphes. Quand on se dirige vers les hauteurs du mont Taurus, couvert de neiges, on rencontre un lieu où est située la longue ville des Cariens, qui porte le même nom que Vénus; consacres-y une hache, et tu seras rendu invincible''. En conséquence de cet oracle, Sylla envoya en effet une couronne d'or et une hache, avec ces paroles: ''Vénus, voici l'offrande que t'adresse Sylla, parvenu au suprême pouvoir, puisqu'il t'a vue en songe, à la suite de ses légions, revêtue des mêmes armes que Mars''. APOLLON PYTHIEN Avec Vénus, le dieu préféré de Sylla était Apollon: ''Lucius Sylla, toutes les fois qu'il se disposait à livrer bataille, embrassait à la vue de ses soldats une petite statue d'Apollon qu'il avait enlevée à Delphes et priait le dieu de hâter l'effet de ses promesses'', rapporte Maxime Valère. Et jamais on ne vit un général prier les dieux avec autant de ferveur pour lui accorder la victoire, qu'il obtient au Pirée, à Athènes et à Chéronée. Merci les dieux! Sylla décida donc de les remercier: ''Aussi fit-il graver sur les trophées: à Mars, à la Victoire et à Vénus, pour montrer qu'il devait ce succès à son bonheur non moins qu'à sa capacité et à son courage. Il dressa un de ses trophées, pour le combat qu'il avait gagné dans la plaine, à l'endroit même où les troupes d'Archélaos avaient commencé de se replier jusqu'au ruisseau de Molus. L'autre est placé sur le sommet du Thurium, où les Barbares avaient été surpris par derrière''. Sylla priait, célébrait et remerciait tous les dieux du panthéon romain. JUPITER OLYMPIEN Mais cela ne suffisait encore pas à Sylla et il faisait multiplier les signes favorables des dieux. A l'époque de Plutarque, près de 200 ans plus tard, on se souvient encore des oracles favorables aux victoires du général romain! ''Cependant les Romains recevaient chaque jour de Lébadée et de Trophonius des bruits favorables, et des oracles qui leur annonçaient la victoire. Les habitants du lieu en font mille récits''. D'autre part, dans la plaine de Béotie, Zeus-Jupiter Olympien possédait un oracle. Pour le consulter, il fallait s'enfoncer dans une caverne sombre et peu accueillante. Deux hommes s'y risquèrent, un marchand italien du nom de Quintus Titius et le soldat Salvenius, de la sixième légion. Par leurs voix, Jupiter fit dire à Sylla qu'il serait vainqueur. ''Tous les deux racontaient de la même manière l'apparition divine: ils assuraient avoir vu une figure d'une grandeur et d'une beauté pareilles à celles de Jupiter Olympien'', dit Plutarque. La statue de Zeus à Olympie ''Plus tard, quand Sylla méditait de retourner à Rome pour venger par les armes ses injures et celle de ses amis, le même Jupiter lui fit dire par un soldat de la sixième légion que, lui ayant déjà présagé sa victoire contre Mithridate, il lui promettait encore de lui donner la puissance nécessaire pour s'emparer de la république, non toutefois sans répandre beaucoup de sang. Sylla voulut savoir du soldat sous quelle forme il avait vu Jupiter, et reconnut que c'était la même que le dieu avait déjà revêtue pour lui faire annoncer une première fois qu'il serait vainqueur'', rapporte Saint-Augustin. L'Imperator Sylla vaincrait en Asie, mais aussi en Italie. Tel était l'oracle de Jupiter Olympien… SOUS LE REGARD D'APOLLON Lorsque Mithridate demande à rencontrer Sylla après les défaites de Chéronée et d'Orchomène, le proconsul choisit l'endroit et décida de placer la rencontre sous le signe de son dieu protecteur: Apollon. Mithridate et Sylla se retrouvèrent donc à Dardanos. ''L'entrevue eut lieu sur le bord de la mer, près de Délium, à l'endroit où est le temple d'Apollon'', dit Plutarque. Le dieu devait soutenir la cause de Sylla jusqu'au bout, lui qui l'invoquait avant chaque bataille. Sylla apprit par l'entourage de Fimbria qu'il avait été déclaré ennemi public et privé de sa charge d'augure. Bien entendu, Lucius Cornelius ignora cette condamnation, et pour bien signifier qu'il était toujours un augure de Rome, il fit gravé des deniers avec son nom où sont représentés les symboles de l'augurat: le lituus et le vase sacré. Sylla se considérait donc comme un interprète de Jupiter, et rien, ni personne, ne pouvait lui enlever cette tâche sacrée à ses yeux… LES MYSTERES D'ELEUSIS Pendant son séjour à Athènes, Sylla, qui s'intéressait à toutes les religions, alla s'initier aux mystères d'Eleusis. C'était un culte à mystère et l'initiation était secrète. Le culte d'Eleusis est lié à la fertilisation de la terre et à la déesse mère Déméter. Le culte est celui de la mort et la résurrection, symbolisé par la décomposition de la graine dans la terre et sa réapparition sous la forme d'un être vivant qui s'élève vers la lumière. La première initiation avait lieu au printemps à Athènes et les candidats étaient initiés aux petits mystères. Six mois plus tard, ils étaient initiés aux grands mystères pendant une dizaine de jours. Les candidats devenaient mystes après avoir été purifiés. Puis ils se rendaient en procession solennelle jusqu'au sanctuaire d'Eleusis, où avait lieu l'initiation secrète. Les initiés de ce culte, après leur rituel d'intronisation, croyaient fermement qu'ils connaitraient une vie après la mort. TOUJOURS BACCHUS… Dans sa jeunesse, Sylla était un fervent adepte de Bacchus, dont le culte était officiellement interdit à Rome. Il en parlait peu mais resta toujours un adepte de ce culte et il le prouva à maintes reprises. Ainsi, il dédia une statue de ce dieu au mont Hélicon et exempta d'impôts et de service militaire l'association artistique dionysiaque de Pergame. Et lorsqu'il se rendit à Aedepsos pour soigner sa goutte, il fit venir auprès de lui tous les artistes dionysiaques de la région. UNE RENCONTRE MYTHOLOGIQUE Alors que Sylla s'apprêtait à s'embarquer pour l'Italie, près de Dyrrachium, il fit un détour par le lieu sacré de la région, Nympheum. Dans cette vallée sont en effet censées jaillir des sources de feu. A cet endroit, la garde prétorienne de Sylla découvrit un satyre endormi. Jusqu'alors, le satyre n'était qu'une créature mythologique, figuré sur quelques statues et vases grecs. Un satyre apporté à Sylla Le satyre est mi-homme, mi-animal. Ils sont de petite taille, couverts de poils, leurs oreilles sont pointues et ils portent le plus souvent une queue comme les chevaux. ''Il fut conduit à Sylla, et interrogé par divers interprètes, qui il était; mais, quoi qu'on put faire, il ne répondit rien d'articulé ni d'intelligible; sa voix n'était qu'un cri rude et sauvage, qui tenait du hennissement du cheval et du bêlement du bouc. Sylla, saisi d'horreur, le fit ôter de sa présence'', explique Plutarque. Lucius Cornelius Sulla, qui ne tremblait ni devant les dieux ni devant les armées, fut finalement mis en déroute par une créature mythologique. SOUS LE SIGNE DU LAURIER Plus que les satyres, Sylla craignait aussi la défection de ses soldats une fois ceux-ci rentrés en Italie. Il avait donc besoin de les rassurer en leur promettant une campagne courte et facile, en sachant pertinemment que ce serait tout le contraire. Il avait donc encore besoin de l'aide des dieux et des devins. Ainsi, à peine débarqué, le voici qu'il interroge les dieux pour savoir si ceux-ci encouragent une nouvelle fois son combat. ''La divinité lui donna les plus manifestes présages de succès. Dans le sacrifice qu'il avait fait en arrivant à Tarente, le foie de la victime présenta aux yeux la forme d'une couronne de laurier, d'où pendaient deux bandelettes'', révèle Plutarque. Plus aucun doute: l'Imperator vaincrait. Et l'aruspice Postumius ajouta que Sylla obtiendrait une grande victoire et ordonna que lui seul devait manger ce foie. L'INCENDIE DU CAPITOLE Plusieurs signes célestes indiquèrent qu'une terrible guerre allait ravager l'Italie: des nuages prenant la forme de deux boucs combattant, mais surtout, un violent tremblement de terre secoua Rome provoquant l'écroulement de quelques temples. Les Romains avaient peur. Et le 6 juillet 671 (-83) eut lieu le pire présage: le Capitole, le lieu le plus sacré de Rome, a été détruit par un incendie! La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre auprès de toutes les armées engagées dans la guerre civile. Au camp de Sylla, cela se déroula ainsi: le général était alors à Silvium. Un esclave de Lucius Pontius Telesinus, le Samnite, débarqua en furie devant lui et s'écria: ''Je suis le messager de Bellone, la victoire est à toi, Sylla!'' Mais il ajouta que s'il ne se hâtait pas, le Capitole serait brûlé. Puis l'esclave sortit du camp et revint le lendemain dans tous ses états en s'écriant: ''Le Capitole est brûlé!'' Le capitole en feu En fait, Sylla fut informé de cet événement avant tout le monde et décida de transformer ce désastre à son avantage. Il soudoya un esclave samnite en lui ordonnant de jouer le rôle de messager des dieux et d'annoncer la mauvaise nouvelle dans tout le camp: le Capitole avait brûlé, mais la victoire lui appartenait, par la grâce de Bellone. Une représentation théâtrale en quelque sorte… On ne sut comment le Capitole avait prit feu. Selon Appien, ''les uns dirent que Carbo en était l'auteur; d'autres que c'étaient les consuls qui en avaient donné l'ordre; d'autres que c'étaient les partisans de Sylla qui avaient fait le coup: mais la vérité du fait ne fut point constatée, et je ne sache point à qui attribuer la vraie cause de cet événement''. D'autres disent que la foudre s'abattit sur le temple ou qu'un gardien y avait volontairement mis le feu… UNE DEDICACE A DIANE Après avoir mis en déroute l'armée du consul Gaius Norbanus, Sylla en profita pour montrer une nouvelle fois sa piété envers les dieux: ''Après la victoire qu'il remporta sur Gaius Norbanus, près du mont Tifata, il s'acquitta de sa dette de reconnaissance envers Diane, divinité à qui est consacrée cette région, et voua à cette déesse avec tout le territoire environnant, des sources que leur heureuse action sur les corps des malades avait rendues célèbres. Le souvenir de cette consécration reconnaissante est rappelé par une inscription fixée aujourd'hui encore au portail du temple et par une table de bronze qui se trouve placée à l'intérieur du sanctuaire'', note Velleius Paterculus. LE SONGE DE SYLLA Au printemps suivant, Sylla voulait en terminer au plus vite avec cette guerre et se débarrasser du jeune Marius. Et alors que l'heure du combat se rapprochait, il fit ce rêve: ''Il lui avait semblé voir le vieux Marius, mort depuis plusieurs années, qui avertissait son fils de se garder du lendemain, parce qu'il devait lui apporter une grande infortune'', rapporte Plutarque. Désormais très confiant dans ses prémonitions, Sylla savait qu'il ne pouvait perdre cette bataille et il mena à l'attaque ses soldats pourtant harassés de fatigue. Et ils vainquirent encore… SYLLA INVICTUS Sylla était donc invaincu et apparaissait protégé des dieux. C'est à l'heure la plus décisive que sa fortune se manifesta. Lors de la bataille de la Porte Colline, deux Samnites lancèrent leurs lances vers Sylla qui ne dut son salut qu'à son écuyer qui eut la présence d'esprit d'emballer son cheval. Sylla put remercier Apollon d'être encore en vie: ''Ô Apollon Pythien, toi qui a comblé d'honneur et de gloire Lucius Cornelius Sylla l'Heureux, toi qui l'a fait sortir victorieux de tant de combats, veux-tu le renverser ici-même, aux portes de Rome, pour qu'il périsse avec ses concitoyens en sauvant sa patrie?'' SYLLA FELIX Après son triomphe, Sylla demanda à pouvoir ajouter un nouveau surnom à son nom. Mais ce n'était pas celui d'Asiaticus, par exemple, pour avoir triomphé en Asie, mais celui de Felix. Et en grec, Sylla signait toutes ses correspondances du surnom d'Epaphroditus, ce qui signifie ''consacré à Aphrodite'' la déesse grecque de l'amour. Mais Sylla se dédie surtout à elle dans le sens où Aphrodite est aussi la déesse de la Fertilité. C'est un de ses thèmes préférés, car lorsqu'il fait circuler des pièces de monnaies en Grèce et en Italie, celles-ci présentaient sur l'une de leur face la corne d'abondance, symbole par excellence de la richesse et de la fécondité. Les grecs crurent ainsi que son nouveau surnom signifiait alors ''favori de Vénus'', la transposition en latin de la déesse Epaphrodite et associaient par la-même ses exploits militaires aux dieux. En fait, Sylla, qui avait triomphé de Jugurtha, des Cimbres, des Italiques et des Asiatiques, opta pour un surnom qui consacrait toutes ses campagnes militaires en une: Imperator Felix. Néanmoins ce surnom le consacrait aux yeux du peuple comme un demi-dieu. Une récompense sacrée plus que militaire en quelque sorte… VENUS FELIX Sylla faisait d'une pierre deux coups, car il avait triomphé à la Porte Colline, là où se trouvait un temple de Vénus: il pouvait donc dédier aussi ses victoires à Vénus Felix, devenue pour lui la déesse de la Fortune et l'Abondance. Désormais Vénus Felix, l'Heureuse Vénus, était sa protectrice et celle de Rome tout entière. La déesse consacrait sa victoire et lui consacrait ses victoires aux dieux. Comme l'avaient prédit les devins parthes, Sylla serait l'égal des dieux avant sa mort… HERCULE INVICTUS, VENUS ET FORTUNA Pour fêter la nouvelle ère de prospérité de Rome, Sylla décida de consacrer le dixième de ses biens à Hercule Invictus. Le jour de la fête de ce dieu, à la mi-août, il offrit de somptueux banquets pour toute la ville, afin de remercier Hercule Invictus de l'avoir soutenu dans tous ses combats victorieux. Roma invicta: Rome est invaincue et invincible, voulait-il signifier au monde. Et les célébrations durèrent plusieurs jours. Un denier consacré à Hercule Invictus Enfin, des jeux de la Victoire furent instaurés en novembre. Ces jeux se déroulaient à Praeneste, là où se trouvait le plus grand temple dédié à la déesse de la Fortune. Mais ces jeux étaient aussi dédiés à Hercule et à Vénus. Hercule, Vénus et Fortuna devenaient les dieux protecteurs de Rome et de la dictature de Sylla. LES TEMPLES DES DIEUX Une fois devenu le maître de Rome, Sylla ajouta à la liste des proscrits le tribun de la plèbe Quintus Valerius Soranus. C'était certes un marianiste, mais surtout, il avait osé divulguer dans un de ses livres le nom de la déesse tutélaire de Rome, un nom qu'il ne fallait évoquer sous aucun prétexte, sous peine de porter malheur à l'Urbs. Sylla réglait donc aussi les comptes de ceux qui avaient voulu défier les dieux de Rome… Après l'incendie du Capitole, Sylla ordonna la reconstruction du Temple de Jupiter Olympien. Sa reconstruction coutait très cher car Lucius Cornelius voulait le voir en marbre, en or et en ivoire. Toutes les cités d'Italie durent payer pour sa reconstruction. Sylla rénova aussi les temples de Jupiter Feretrius, dieu témoin de la bonne signature des contrats et du mariage, le temple de Fides, le dieu de la bonne foi, et le temple de Vénus Erycine, la libératrice de Rome contre les Carthaginois. Le dictateur fit aussi construire un nouveau temple en l'honneur de la déesse de la guerre Bellone, ''sa'' déesse, qui l'avait soutenu dans tous ses combats. PER SEMPER FELIX Rome ayant retrouvé sa prospérité et sa République, les citoyens étant comblés de jeux, de triomphes, de banquets et de produits alimentaires à bas prix, le sénat remis sur pied et l'Italie pacifiée, Lucius Cornelius Sylla jugea sa tâche accomplie. Il avait apporté le bonheur à ses concitoyens, il pouvait désormais songer au sien. Après les guerres et la dictature, il réclama pour lui aussi le ''droit au bonheur'' loin du pouvoir. Et rien ne résume mieux son abdication que les quelques mots d'Appien d'Alexandrie à ce sujet: ''C'est à ce point qu'il porta l'audace et le bonheur''. Sylla osa abdiquer sans craindre de se faire foudroyer par les dieux ou les hommes. Son aura était telle que plus personne ne la remettait en cause: Sylla était réellement protégé des dieux. Il avait réussi à s'imposer autant sur le plan guerrier par le glaive que par son pouvoir de suggestion mystique. Sylla n'avait plus de comptes à rendre à personne. En tout état de cause, Sylla pouvait partir Libre, affranchi des dieux et des hommes. Felix pour toujours… LE FAVORI DES DIEUX Si certains ne croyaient pas encore que Lucius Cornelius Sylla était le favori des dieux et de la Fortune, ils finirent par changer d'avis. Le jour de son enterrement, son corps fut brûlé sur le Champ de Mars. L'orage menaçait, mais dès que le bûcher fut allumé, un fort vent se leva, attisant les flammes et c'est seulement lorsque son corps eut achevé de se consumer que la pluie se mit à tomber. Un prodige qui accrédita définitivement sa légende…
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