Voyant que les deux armées romaines avaient effectuées leur jonction, Archélaos décida de quitter les Thermopyles et de passer en Phocide. De son côté, Sylla alla installer son camp sur la colline de Philobéotos. C'était une très bonne position stratégique. La colline surplombait un étroit défilé qui permettait de barrer le passage à l'ennemi. Elle était bien pourvue en bois, en eau et en fourrage. Les deux armées étaient désormais en position de se combattre. L'armée de Sylla, avec quelques grecs et macédoniens supplémentaires qui avaient quitté les armées de Mithridate pour la sienne, plus les renforts d'Hortensius, comptait désormais 15 000 hommes et 1500 chevaux. De leur côté, Archélaos et Taxile, occupait la plaine du Céphise avec 60 000 combattants. Les combattants de Chéronée Les officiers d'Archélaos rangèrent leurs troupes en rang de bataille. L'armée pontique présentait aux Romains un spectacle effrayant: des dizaines de milliers de poitrines hurlaient des cris de guerres dans toutes les langues de l'Asie. ''L'air ne suffisait pas au bruit et aux cris confus de tant de nations diverses, qui prenaient chacune son poste. D'ailleurs la magnificence et le luxe de leur équipage servaient encore à augmenter la frayeur des Romains. L'éclat étincelant de leurs armes enrichies d'or et d'argent, les couleurs brillantes de leurs cottes d'armes médoises et scythiques, mêlées au luisant de l'airain et de l'acier, faisaient, à tous leurs mouvements et à tous leurs pas, étinceler un feu semblable à celui des éclairs'', relate Plutarque. Telle était l'armée d'Archélaos. Impressionnés, les légionnaires romains refusèrent d'engager le combat. ''Sylla, dont les discours ne pouvaient dissiper leur effroi, et qui ne voulait pas les forcer de combattre dans cet état de découragement, était obligé de rester dans l'inaction, et de souffrir, non sans une vive impatience, les bravades et les risées insultantes des Barbares. Ce fut cependant ce qui lui servit le plus; les ennemis, pleins de mépris pour les Romains, n'observèrent plus aucun ordre ni aucune discipline. La multitude de leurs chefs devint pour eux une cause d'insubordination. II ne restait qu'un petit nombre de soldats dans les retranchements; les autres, amorcés par l'appât du pillage et du butin, s'écartaient du camp jusqu'à la distance de plusieurs journées. On dit que dans ces courses ils détruisirent Panope, et que, sans en avoir reçu l'ordre d'aucun de leurs généraux, ils saccagèrent Lébadée, dont ils pillèrent le temple et profanèrent l'oracle. Sylla, qui frémissait d'indignation de voir ruiner ces villes sous ses yeux, ne voulut pas du moins laisser ses troupes en repos; et, pour les occuper, il les obligea de détourner le cours du Céphise et d'ouvrir de grandes tranchées. Il n'exemptait personne de ce travail; et, les surveillant lui-même, il châtiait avec la dernière sévérité ceux qui se relâchaient, afin qu'excédés de fatigue, ils préférassent à ces travaux pénibles le danger d'un combat. Ce moyen lui réussit. Ils étaient au troisième jour de cet ouvrage, lorsque, Sylla ayant fait la visite des travaux, ils lui demandèrent tous à grands cris de les mener aux ennemis. Il leur répondit que cette demande venait moins du désir de combattre que de leur dégoût du travail; que, s'ils avaient un véritable désir d'en venir aux mains, ils n'avaient qu'à prendre sur-le-champ leurs armes et aller s'emparer d'un poste qu'il leur montrait de la main. C'était le lieu qu'occupait autrefois la citadelle des Parapotamiens, et qui, depuis que la ville avait été ruinée, n'était plus qu'une colline escarpée, pleine de rochers, et séparée du mont Édylium par la rivière d'Assos, qui, au pied même de la montagne, se jette dans le Céphise, dont le cours, devenu plus rapide par cette jonction, rendait ce poste très sûr pour y placer un camp. Sylla, qui vit les chalcaspides des ennemis se mettre en mouvement pour aller l'occuper, voulut les prévenir et s'en saisir le premier. Il y réussit par l'ardeur et l'activité de ses troupes. Archélaos, ayant manqué son coup, se tourna contre Chéronée. Quelques habitants, qui servaient dans l'armée de Sylla, l'ayant conjuré de ne pas abandonner cette ville, il y envoya un tribun des soldats, nommé Gabinius, avec une légion, et le fit accompagner de ces Chéronéens, qui, quelque désir qu'ils eussent d'arriver à Chéronée avant Gabinius, ne purent le devancer, tant ce tribun montra, pour sauver leur ville, plus d'affection et plus d'ardeur que ceux mêmes qui désiraient si fort d'être sauvés'', retranscrit Plutarque. Sylla tenait donc deux nouveaux lieux stratégiques: la citadelle des Parapotamiens et la ville de Chéronée en plus de la colline de Philobéotos. Archélaos se sentit pris au piège. Il chercha à fuir par une route escarpée afin de gagner la mer et la ville de Chalcis. Il installa son camp au fond de la vallée encaissée d'Assia. En voyant cela, Sylla délaissa sa colline de Philobéotos, et alla installer un nouveau camp entre deux montagnes, le mont Edylim et celui d'Acontium, tout près du camp d'Archélaos. Un camp romain Pendant une journée, Archélaos ne bougea pas; Sylla non plus. Enfin, les Pontiques se décidèrent à sortir de leur camp et Sylla engagea aussitôt la bataille. Il laissa là ses quatre légions sous le commandement de Murena pour harceler l'ennemi, et se rendit lui-même à Chéronée pour chercher la légion de Gabinius. ''Sylla approchait de Chéronée, lorsque le tribun qu'il y avait envoyé pour la défendre vint au-devant de lui à la tête des troupes, portant à la main une couronne de laurier. Sylla, l'ayant reçue, salua les soldats, et les exhorta à faire preuve de courage dans le danger auquel ils allaient être exposés. Pendant qu'il leur parlait, deux Chéronéens, nommés Homoloïchus et Anasidamus, l'abordèrent, et lui offrirent de chasser les ennemis de Thurium, s'il leur donnait seulement un petit nombre de soldats. Ils lui dirent qu'il y avait un sentier inconnu aux Barbares, lequel, d'un lieu appelé Pétrochus, menait, le long du temple des Muses, à la pointe de Thurium, au-dessus des ennemis; que de là il leur serait facile de fondre sur eux et de les accabler de pierres, ou de les forcer à descendre dans la plaine. Gabinius ayant rendu témoignage à la fidélité et au courage de ces deux hommes, Sylla leur dit d'aller exécuter leur dessein, et en même temps il range son infanterie en bataille, distribue la cavalerie sur les deux ailes, garde pour lui la droite, et donne la gauche à Murena. Gallus et Hortensius, ses lieutenants, placés à la queue avec le corps de réserve, occupaient les hauteurs pour empêcher que les ennemis ne vinssent, par les derrières, envelopper les Romains: car on les voyait déployer déjà leur cavalerie et leurs troupes légères sur les ailes, afin de se replier ensuite, et de pouvoir, en faisant un long circuit, enfermer les ennemis'', relate Plutarque. Archélaos plaça son infanterie au centre sur trois lignes, les chars armés de faux étaient en premières lignes, les macédoniens en seconde au nombre de 16 000 hommes dont 15 000 esclaves affranchis, les auxiliaires en troisième et les archers en arrière. L'aile droite de la cavalerie était commandée par Taxile, l'aile gauche par Archélaos. Du côté romain, Sylla plaça lui aussi l'infanterie sur trois lignes: ''Sylla couvrit ses deux flancs de tranchées profondes avec des forts aux deux extrémités; et dans cet espace, il mit sur trois lignes son infanterie pesamment armée, laissant des intervalles pour lancer la cavalerie et l'infanterie légère, qui étaient placées derrière elle. Il ordonna à ceux qui étaient rangés devant les enseignes dans sa seconde ligne de ficher en terre des pieux très serrés, et sa première ligne s'en servit pour se couvrir lorsque les chariots approchèrent'', détaille Frontin. Murena commandait l'aile gauche avec une légion et deux cohortes, Sylla l'aile droite avec la légion de Gabinius et sa garde prétorienne. Publius Sulpicius Galba barrait la retraite à la cavalerie à l'une des extrémités, Hortensius à l'autre. Le plan de la bataille La bataille de Chéronée pouvait commencer. ''Comme ils exécutaient ce mouvement, les deux Chéronéens, à qui, Sylla avait donné Ericius pour commandant, ayant gagné la cime du Thurium sans être aperçus de l'ennemi, et s'étant montrés tout à coup sur les hauteurs, jetèrent l'effroi parmi les Barbares, qui ne pensèrent plus qu'à fuir, et se tuèrent la plupart les uns les autres. N'osant s'arrêter pour faire face à l'ennemi, et s'abandonnant à la pente de la montagne, ils tombaient sur leurs propres piques, et se poussaient mutuellement le long de cette pente rapide, pour fuir les ennemis qui se précipitaient sur eux du haut de la montagne et les perçaient aisément ainsi découverts de leurs armes. Il en périt trois mille sur le haut du Thurium. De ceux qui échappèrent à ce premier massacre, les uns allèrent donner dans le corps de troupes de Murena, qui les avait déjà rangées en bataille, et où ils furent taillés en pièces; les autres, en courant vers leur camp, se jetèrent avec tant de confusion sur le corps de leur infanterie, qu'ils la remplirent de trouble et d'effroi, et firent perdre à leurs généraux un temps considérable, ce qui fut une des principales causes de leur perte: car Sylla, marchant aussitôt sur eux dans le désordre où ils étaient, et franchissant avec rapidité l'intervalle qui séparait les deux armées, ôta aux chars armés de faux tout leur effet. Ils ne tirent leur force que de la longueur de leur course, qui donne à leur mouvement de l'impétuosité et de la roideur; s'ils n'ont qu'un court espace pour s'élancer, ils sont sans force et sans action, comme les traits faiblement lancés n'ont point de coup. C'est ce qui arriva en cette occasion aux Barbares: leurs premiers chars partirent si lâchement et donnèrent avec tant de mollesse, que les Romains n'eurent aucune peine à les repousser, et qu'ils demandèrent avec de grands éclats de rire, comme à Rome dans les jeux du cirque, qu'on en fît venir d'autres. Alors les deux corps d'infanterie commencent l'attaque. Les Barbares, baissant leurs longues piques, serrent leurs rangs et leurs boucliers pour conserver leur ordre de bataille; mais les Romains, jetant leurs javelots et prenant leurs épées, écartent leurs piques afin de les joindre plus tôt corps à corps. Cette audace leur fut inspirée par la colère qui les transporta quand ils virent aux premiers rangs quinze mille esclaves que les généraux de Mithridate avaient affranchis par un décret public dans les villes de la Grèce, et qu'ils avaient distribués dans l'infanterie pesamment armée; ce qui fit dire à un centurion romain qu'il n'avait vu qu'aux saturnales les esclaves jouir des droits de la liberté. Cependant leurs bataillons étaient si profonds et si serrés, qu'ils soutinrent avec audace le choc de l'infanterie romaine, et qu'ils résistèrent beaucoup plus longtemps qu'on ne l'aurait attendu de gens de ce caractère. Il fallut faire venir la seconde ligue, qui les accabla d'une grêle si furieuse de pierres et de traits, qu'ils tournèrent le dos et prirent la fuite'', continue Plutarque. Les chars à faux pontiques sont impuissants ''Archélaos étendait son aile droite, afin d'envelopper les Romains, lorsque Hortensius ordonne à ses cohortes de fondre sur lui et de le prendre en flanc. Archélaos, qui aperçoit ce mouvement, fait tourner tête à deux mille de ses cavaliers. Hortensius, se voyant près d'être vivement poussé par cette cavalerie nombreuse, recule lentement vers les montagnes; mais, s'étant trop éloigné de son corps de bataille, il allait être enveloppé par les ennemis, lorsque Sylla, informé du danger qu'il courait, quitte son aile droite, qui n'avait pas encore combattu, et vole à son secours. A la poussière qu'il éleva dans sa marche, Archélaos conjectura ce qui en était; et, laissant là Hortensius, il se porte à l'endroit du champ de bataille que Sylla venait de quitter, espérant surprendre cette aile droite privée de son chef. Dans le même moment, Taxile fait marcher contre Murena ses chalcaspides; et les deux partis ayant jeté en même temps de grands cris qui furent répétés par toutes les montagnes des environs, Sylla s'arrête, incertain de quel côté il doit plutôt se porter. Il prend enfin le parti de retourner à son poste, envoie Hortensius avec quatre de ses cohortes au secours de Murena, prend la cinquième, et court à son aile droite, qui combattait déjà contre Archélaos avec un avantage égal. Dès qu'il paraît, ses soldats font de nouveaux efforts, et, renversant les troupes ennemies, ils les obligent de prendre la fuite, et les poursuivent jusqu'au fleuve et au mont Acontium. Sylla cependant n'oublia pas dans quel danger il avait laissé Murena, et courut à son secours; mais, trouvant qu'il avait aussi vaincu les ennemis, il se mit avec lui à la poursuite des fuyards'', relate Plutarque. ''Comme les deux ailes d'Archélaos étaient enfoncées, le centre ne tint plus en place et se débanda. Alors, tout ce que Sylla avait prévu arriva. N'ayant pas la place pour faire demi-tour ni une plaine pour s'enfuir, ils furent repoussés par leurs poursuivants au milieu des rochers. Certains d'entre eux se précipitèrent sur les Romains. D'autres, avec plus de sagesse, s'enfuirent vers leur propre camp. Archélaos se plaça devant eux, en barra l'entrée, leur ordonna de faire demi-tour et de faire face à l'ennemi. Il montrait par là une très grande inexpérience de la stratégie en temps de guerre. Ils lui obéirent à contrecœur, mais ils n'avaient plus de généraux pour les mener ou de chefs pour les aligner ou de gens pour leur montrer où se trouvaient leurs enseignes et ils étaient dispersés çà et là comme dans une déroute désordonnée, sans aucun espace pour fuir ou pour combattre parce que la poursuite les avait amenés dans l'endroit le plus étroit. Ils se laissèrent tuer sans résistance, certains par l'ennemi, contre lequel ils ne pouvaient exercer de représailles, et d'autres par leurs propres amis dans la débandade et la confusion. De nouveau, ils se sauvèrent vers les portes du camp où il y eut encombrement. Ils invectivaient les gardes des portes. Ils faisaient appel à eux au nom des dieux et des liens communs de leur pays et leur reprochaient qu'ils périssaient moins par les épées de l'ennemi que par l'indifférence de leurs amis. Enfin, Archélaos, plus tard qu'il n'eût fallu, fit ouvrir les portes, et ils se ruèrent à l'intérieur dans une désorganisation totale. Comme les Romains observaient la chose, ils poussèrent de grands cris, se précipitèrent dans le camp avec les fugitifs et remportèrent une victoire complète'', relate Appien. La couronne d'imperator Sur les 60 000 soldats asiatiques, il n'en restait plus que 10 000. ''Les pertes romaines ne furent que de quinze hommes, et deux de ces derniers reparurent peu après. Tel fut le résultat de la bataille de Chéronée entre Sylla et Archélaos, général de Mithridate. La sagacité de Sylla et le manque de réflexion d'Archélaos contribuèrent d'une égale façon au résultat de cette bataille. Sylla fit un grand nombre de prisonniers et s'empara d'une grande quantité d'armes et de butin. Il fit un tas de ce qui était inutile. Alors, il se ceignit de sa tunique selon la coutume romaine, et la brûla en sacrifice aux dieux de la guerre'', ajoute Appien. A la suite de cette victoire, l'une des plus grandes de toute l'histoire de la République Romaine, Sylla est acclamé Imperator par ses soldats, le titre réservé aux généraux vainqueurs donnant droit à une couronne de laurier. Sylla peut désormais porter le titre d'Imperator jusqu'à ce qu'il célèbre son triomphe à Rome. |