Contexte historique: 90 av JC, Sextus Julius César, nommé proconsul par le Sénat, remporte une bataille sur les Italiques avec son armée de 20 000 hommes. Fort de ce succès, il reçoit un renfort de 10 000 fantassins et marche en direction de la cité d'Acherrae, alors assiégée par Gaius Papius. Les deux armées, campées l'une en face de l'autre, évitent tout d'abord de s'affronter. Enfin, Sextus César réussit à tuer l'équivalent d'une légion à Papius. Mais César, désormais à la tête de cinq légions, tombe gravement malade. Egnatius en profite pour fondre sur lui. Sextus, battu, doit se réfugier à Teanum. Il finit par décéder un peu plus tard, désignant Gaius Baebius comme légat. A la fin de l'année, les Romains se trouvent en mauvaise posture et, en outre, les peuples italiques se révoltent les uns après les autres. De son côté, le consul Lucius Julius Caesar, cousin de Sextus, ne sait plus quoi faire pour enrayer la désaffection continue des alliés de Rome... Aux portes de Rome, fin octobre 90 Toute la famille César est réunie pour enterrer le général et proconsul Sextus Julius César. Mais Gaius Marius ne peut pas prononcer une oraison publique au milieu du Forum. Le Sénat a décrété que les enterrements publics étaient suspendus jusqu'à la fin de la Guerre. La cérémonie funéraire se déroule donc au sud de la ville, loin des regards. L'ambiance est morose sous un ciel gris. C'était la onzième heure du jour, et Gaius Marius sentait le froid transpercer son manteau. En outre, ses rhumatismes le faisaient désormais souffrir au point qu'il ne pouvait marcher sans boiter. Et il refusait de se montrer diminué devant son armée. Il avait donc prétexté l'enterrement de son beau-frère pour revenir à Rome, au grand étonnement de ses troupes et du Sénat. Julia, en larmes, marchait à ses côtés. Aurelia et ses filles avaient teintées leurs vêtements en noir et le petit Gaius Julius avait la mine grave. Gaius Julius César avait dû lui aussi rentrer précipitamment à Rome pour régler les affaires familiales. Il lui incombait désormais de veiller sur le jeune Sextus. Le cousin Lucius Julius, lui, assurait les affaires de l'Etat et l'autre cousin Strabo prononçait chaque jour des harangues au Forum. Tous deux n'avaient pu venir et Gaius Julius avait dû organiser rapidement la cérémonie funéraire. Il avait donc réservé le petit Temple d'Esculape pour un enterrement dans l'intimité familiale. De toute façon, tous les sénateurs valides étaient sur le front... La dépouille de Sextus César reposait au pied de l'autel du dieu et toute la famille défila et fit une offrande à l'ancien chef du gouvernement. - Il est mort d'une blessure infectée… dit Marius. - Oui, il a refusé de se faire soigner… Il ne voulait pas se faire traiter mieux que ses hommes, dit Gaius Baebius qui avait ramené la dépouille à la famille. Il me manquera, c'était un bon général. Tu lui avais beaucoup appris… Baebius sortit du temple, non sans apposer une tape amicale sur l'épaule de Gaius Julius. Celui-ci semblait terrassé par la mort de son frère. - C'était un vrai soldat, un vrai général, un homme politique brillant qui était en faveur d'une réconciliation entre les Italiens et les Romains. Il n'a jamais voulu cette guerre, Marius, mais elle lui est tombée dessus comme une fatalité. Le nom de César est désormais entaché de sang. On dira toujours, "c'est sous le consulat de Sextus César qu'à éclater la Guerre contre les Marses". Marius se rapprocha de son beau-frère. - Gaius, ta famille n'est pas responsable. Si tu cherches à blâmer quelqu'un, va voir du côté de Scaurus. C'est lui qui a soutenu stupidement toutes les lois de Drusus, et maintenant, ce vieux chien galeux rase les murs quand il me voit… Marius sentit un courant d'air dans son dos. La porte du temple venait de s'ouvrir, laissant entrer le consul Lucius Caesar en personne, ainsi que Lucius Cornelius Sulla. Marius se figea en le voyant. - Gaius, toutes mes condoléances. Le consul, encore revêtu de son armure, s'approcha de Julius et de la dépouille de Sextus César. Lucius Julius avait la mine fatiguée. Ces quelques mois de guerre et de consulat avaient réussi à saper sa volonté. L'hiver arrivant, il n'aspirait qu'au repos, mais tout Rome reposait sur ses épaules. - J'ai appris sur la route d'Aesernia. Rome vient de perdre l'un de ses meilleurs généraux. D'abord Rutilius, puis Sextus… Il faut que cela cesse… Un socio de Pompéi Lucius Caesar s'adressa à son cousin: Pendant cette conversation, Aurelia et Julia firent sortir toutes les femmes présentes. Elles pressentaient une sérieuse discussion à venir entre les généraux. Marius, Sylla, Lucius Caesar et Gaius Julius se retrouvèrent donc seuls dans le temple baignant désormais dans la clarté de plusieurs lampes à huile, car le jour tombait. Sylla, revêtu de sa tenue de légat proprétorien, se tenait en retrait, préférant rester dans l'ombre. Devant Lucius Julius et Sylla, Marius faisait des efforts pour rester debout, alors que ses jambes lui demandaient à corps et à cri du repos. Une fois seuls, et après de longues minutes de prières silencieuses, Lucius Caesar s'adressa à Marius: Marius sursauta et un lent sourire se dessina sur son visage. - Enfin! C'est une décision très sage Lucius Julius… Caesar se tourna vers son cousin: - Eh bien… Gaius Julius était déstabilisé. Le consul en personne venait lui demander son avis! - Eh bien, s'il s'agit d'agir dans les intérêts de Rome et de la patrie, alors… - NON! Le regard des trois hommes convergea vers Sylla. Depuis le coin où il se trouvait, ses yeux bleus lançaient des éclairs de glace vers le consul et le ton de sa voix était sans appel. - Il est hors de question de céder à nos ennemis! JAMAIS! Quel message allons-nous faire passer au monde, nous qui avons détruit Carthage et soumis tous les peuples de la Méditerranée, si nous plions le genou devant le Taureau Samnite?!? - Lucius Cornelius je comprends… dit Lucius Julius. - Non, tu ne comprends pas, Lucius! Si tu cèdes à nos ennemis, alors demain Papius et Silo entrerons au Sénat! - Et pourquoi pas? dit Marius, pas le moins du monde choqué par cette idée. Si Caepio et Philippus s'étaient montrés plus tolérants, cette guerre aurait été évitée! Lucius Julius fait ce que ta conscience te demande: met fin à cette guerre stupide! - Marius, on a toujours dit que tu étais sage, répondit le consul. Comme toi, j'ai parfois refusé d'affronter nos ennemis sur le champ de bataille. En voyant le visage de leurs soldats, je voyais celui de nos Alliés qui nous ont aidés à combattre les Cimbres et les Teutons. Et en mon âme et conscience, comme tu dis, je ne pouvais pas mettre à mort des peuples qui sont nos frères. Lucius Cornelius, ce n'est pas une guerre contre des peuples ennemis que nous menons, c'est une guerre civile. Nous devons faire cesser ce carnage inutile. - Je… je suis d'accord avec notre consul, dit Gaius César. Je crois que c'est ce que Sextus aurait voulu… - Bien, nous sommes tous d'accord… Lucius Caesar tourna son regard vers Marius et son cousin. Il n'osa pas affronter le regard courroucé de Sylla. - A la prochaine réunion du Sénat je réclame une motion mettant fin à la guerre… - Motion que notre prochain consul se fera un plaisir d'annuler aussitôt! Les regards convergèrent vers Sylla. - Quel prochain consul? demanda Marius - Lucius Porcius Cato… - Ah! Les masques tombent! Je me disais bien que tu n'étais pas venu te recueillir exprès sur la tombe de Sextus César! Tu es venu conclure un pacte avec Caton! Celui que tu as passé avec Quintus Pompeius ne te suffit pas? - Assez vous deux! S'il y a au moins une chose sur laquelle nous étions d'accord avec Sextus, c'est que la guerre contre les Marses allaient nous épargner d'entendre vos jérémiades sur le Forum! dit Lucius Julius. Marius et Sylla se turent. La fonction consulaire avait encore un peu d'ascendant sur eux. Gaius Julius ne put s'empêcher d'esquisser un sourire ironique. - Et moi qui croyais que tu étais venu rendre hommage à mon frère… - Je veux surtout venger sa mort et l'honneur de Rome, dit Sylla avec tout le ton obséquieux dont il était capable. - Comment peux-tu oser dire ça?! Tu ne t'es jamais entendu avec Sextus! Pendant votre préture, vous n'avez pas cessé de vous disputer. - Sextus, notre préteur pérégrin, défendait déjà les Italiens que notre cher préteur urbain prenait grand plaisir à expulser, rappela Marius… - C'est la Lex Licinia Mucia la cause de cette guerre, reconnu lucidement le consul. Marius se mit à rire. - Je me souviens: Sextus avait réussi à prouver que Marcus Fannius était un citoyen romain au moment où Sulla allait l'expulser de la Ville. - Oui, se souvient aussi César, Sextus avait balancé son édit de citoyenneté à la tête de Lucius Cornelius alors qu'il siégeait sur son tribunal au Forum. - Ah oui, Lucius était tellement en colère qu'il avait rétorqué à Sextus qu'il se servirait du droit de sa charge contre lui, ajouta le consul. - Et Sulla allait envoyer ses prétoriens pour le saisir lorsque Sextus avait déclaré : "Elle est bien à toi cette charge puisque tu l'as acheté!" C'était un grand moment, dit Marius. - Eh bien, au moins, nous pourrons nous souvenir que Sextus Julius César vous à fait rire, dit Sylla, très calme. Cette guerre l'avait endurci. Alors qu'avant, il aurait bondi de rage à cette insulte, il encaissa le coup sans broncher. - Si tu n'es pas là pour honorer mon frère, va-t-en Lucius Cornelius, tu n'es pas le bienvenu, dit Gaius Julius. - César, je ne partirais que quand vous aurez renoncé à vos stupides projets… Une guerre difficile pour les Romains - Tu n'as donc aucun respect pour les morts? dit Marius d'un ton sarcastique. Sylla le foudroya du regard: - Lucius! Tu vas trop loin, ne put s'empêcher Marius d'intervenir. - Lucius Julius Caesar, que diras-tu à ton frère qui chaque jour soutient le moral de Rome depuis les Rostres? Comment vas-tu lui annoncer que tu as vendu ta patrie aux Samnites? Et n'oublie pas d'aller en personne l'annoncer à nos légionnaires! A toutes les familles qui ont perdu un fils, un frère, un père! Sylla élevait la voix au fur et à mesure qu'il parlait. - Ne pouvez-vous aller discuter ailleurs et respecter mon frère s'il vous plait? tenta d'intervenir Gaius Julius. Marius sentait que Lucius Julius allait plier face aux arguments de Sylla. - Caesar, si tu ne mets pas immédiatement fin à cette guerre, tu auras d'autres morts sur la conscience. Au Sénat, je te soutiendrais. Sylla n'en cru pas ses oreilles. - Gaius Marius qui renonce à mener une guerre??? Aurais-tu passé un pacte avec les Italiens? D'un coup, tous les regards convergèrent vers Marius. - Comment pouvez-vous croire que..? dit-il offusqué. - Non, Marius, personne ne t'accuse de quoi que ce soit, dit le consul. N'est-ce pas Sulla? Sylla plongea son regard droit dans celui de Marius. Celui-ci remarqua des tâches plus sombres, presque noires, dans les prunelles du propréteur. Instinctivement, il frissonna, et pour la première fois, il baissa son regard. - Non, personne ne va accuser Marius d'être un traître à sa patrie s'il soutient une motion donnant la citoyenneté romaine aux Italiens, précisa Sylla sur un ton légèrement ironique. Lucius Julius voyait que son cousin soupirait et qu'il fallait mettre un terme à cette conversation. - D'accord Sulla, tu as gagné… Nous poursuivrons la guerre... - Heureux que tu te souviennes d'être un Romain! - Laissons Gaius Julius… - Attendez! Marius retrouva d'un coup toutes ses facultés d'imperator. - Nous devons faire un geste en faveur des Italiens. - As-tu quelque chose à proposer? soupira le consul. - Nous allons accorder la citoyenneté à ceux qui n'ont pas pris les armes contre Rome! Le consul se figea. Sylla esquissa un sourire narquois. - Cela fait longtemps que tu as cette idée en tête? - Contrairement à certain, je considère qu'il y a d'autres moyens que le glaive pour venir à bout de cette guerre… - Je dois t'accorder que c'est plutôt bien vu Marius. Ainsi nous diviserons nos adversaires! Excellent plan! Pourquoi ne l'as-tu pas proposé avant? répondit le consul. - Pourquoi crois-tu que je suis rentré à Rome? En disant cela, Marius fixa Sylla. C'était lui qu'il devait convaincre. - Je n'aime pas l'idée d'avoir à céder face à nos adversaires, mais je vous accorde que cette loi nous enlèvera une épine du pied, dit Sylla. D'accord avec le plan de Marius… - Bien… Si ça ne vous dérange pas, j'aimerai aller saluer ma femme et mes enfants. Réunion demain au Sénat. Le consul sortit. Marius et Sylla restèrent un moment face à face sans rien dire. Puis Gaius Julius invita du regard Sylla à sortir, ce qu'il fit. - J'ai fait ce que j'ai pu Gaius, dit-il en soupirant… Par Cornelia Sisenna |