Contexte historique: Gaius Marius, 68 ans, a perdu énormément de son influence politique et militaire en se retirant prématurément de la Guerre Sociale. Lucius Sulla, 50 ans, en a profité pour prendre l'ascendant et anéantir les Marses et les Samnites. Cela lui a valu l'estime de tous les Romains et de se faire élire consul. Alors que Sylla essaie de remonter Rome et de terminer la Guerre Sociale, en Asie, Mithridate ordonne la mort de 150 000 Romains et Italiques. Pour le sénat, cet acte abominable ne peut rester impuni et la Guerre contre Mithridate est votée à l'unanimité. Reste à désigner le général qui conduira cette guerre. Sylla la réclame et Marius la veut à tout prix. Si les deux hommes se cotoient en public, ils n'ont que peu l'occasion de se rencontrer en privé... Rome, Nones de Septembre, an de Rome 666 (-88) Marius est invité chez sa belle-famille, les Julii Caesares. En arrivant, il découvre que Sylla est lui aussi convié, ce qui le met de fort méchante humeur… Marius est perdu dans des pensées: "Mithridate VI Eupator, roi du Pont, s'est cru permis, pendant que nous étions occupés avec mes chers (comme j'ai mal pour eux!) Italiques, de faire assassiner cent cinquante mille citoyens romains de la province d'Asie. Sylla s'est tout de suite porté candidat. Il a de nombreux appuis, surtout depuis qu'il a reçu la corona graminea à la prise de Nola, l'année dernière. Le Sénat n'a plus confiance en mes capacités! Qui a capturé Jugurtha? Sylla, je dois l'avouer… Quid des Barbares? C'est ma santé qui m'a forcé à me retirer de la Guerre - stupide - des Alliés! Je sais que je vaux encore quelque chose! Mais soixante-huit ans, c'est trop vieux, disent-ils! Les saligauds! Je l'aurai, cette guerre! Sulpicius, remarquable tribun quoiqu'un peu fanatique sur les bords, plaide en ma faveur devant le Sénat - qui s'en fout, sale bande de moutons versatiles! - et mon cher peuple romain - c'est lui le seul juge valable, il me rendra justice! Julia, ma déesse, tempère ma fureur et me dit de rester calme. Je sais qu'elle voudrait que je ne parte pas en Orient, mais comme j'aimerais finir ma carrière par un coup d'éclat tel que la prise du roi Mithridate! Mourir au combat, mon REVE!" Lucius Sulla: Je suis premier consul, quel bonheur! Je ne m'en lasse pas! Toutes ces années d'efforts ont bien payé! Metella Dalmatici: Oui, mon époux, et chacun ici se réjouit de tes triomphes, répond prudemment Metella, désormais sa femme depuis que ce cher Scaurus est mort et que Sylla a répudié la pauvre Cloelia, sa troisième épouse. Aurelia Cottae: Qu'en est-il de la guerre en Orient? Qu'a décidé le Sénat? As-tu des informations? LS: (ravi) Ma chère Aurelia, laisse-moi t'annoncer la grande nouvelle: ils m'ont désigné! Julia Marii: (affectant la joie, ne me quittant pas des yeux) Oh mes félicitations, Lucius Cornelius! Gaius Marius: (ma femme est Vesta réincarnée, mais j'ai chevauché Uranus) Oui, portons un toast! LS: (tous se tournent vers moi, Sylla resplendit de cynisme et d'orgueil) Tu es trop bon! A quoi veux-tu porter un toast, beau-frère? GM: Mais… à ta victoire, Excellence, à ton éclatante victoire qui pue le mensonge et l'intrigue! Entre nous, n'avoueras-tu pas qu'elle goûte un peu trop le sang versé ? LS: (ayant compris, mais jouant au penseur) Jusqu'à preuve du contraire, ciuis, c'est du vin que je fais servir. Je ne suis pas une Furie. Cette ''merveille'' vient de Campanie. GM: (ricanant, je transpire l'ironie mais je m'en moque) Bacchus nous gâte, quel honneur! La Campanie, dis-moi, ne serait-ce pas cette région où tu as perpétré un massacre? LS: (souriant, ses yeux sont ceux d'un monstre) Les rebelles à Rome doivent tous mourir. GM: (l'imitant, mais ne l'égalant pas, il fait peur) A Rome seulement? Pas à toi, donc? LS: (ses pupilles brillent de cruauté, c'est effarant) Je suis Rome pour une année. J'ai mis les points sur les "i" avec tous les rustauds que Rome dérangeait: ils savent qui je suis. GM: Vu la masse de cadavres que tu as abandonnés, je me demande qui t'a vendu ce vin… LS: Le cousin de mon épouse. Sa famille a des domaines que les sauvages n'ont pu piller, faute d'avoir été tués avant. Dieux, quelle catastrophe financière évitée de justesse! GM: (levant les yeux et les mains au ciel) Ces chers Metelli, comment ai-je pu les oublier? LS: (radieux, ah, je voudrais le frapper!) Ces chers Metelli m'ont offert la guerre du Pont. GM: Trop aimables! Je les savais généreux! Cela ne les gêne pas trop de t'avoir roulé? Ils t'ont quand même vendu une marchandise avariée, à toi, le Premier des Romains! LS: (m'écoutant à peine, occupé à boire sa coupe) Qui est? GM: (souriant au-delà du dédain viscéral) Ta petite merveille goûte trop le sang des rustauds. Fais-tu encore des sacrifices humains aux Immortels, ô Favori des Dieux? LS: (il boit lentement son vin, prédateur et rieur) ''L'odeur du sang humain me fait rire''. GM: (choqué par cette citation d'Eschyle, je ne peux masquer mon horreur) Je vois cela… LS: (jubilant de mon effroi, il paraît satisfait et redevient ''normal'') Viendras-tu au Forum tout à l'heure? Je dois présider une Assemblée avec Quintus Pompeius et, notamment, annoncer au peuple la décision des sénateurs. Tu pourras m'y féliciter! GM: (subir une humiliation publique, plutôt crever!) Je préfère décliner ton invitation, Excellence. Depuis quelques jours, je me sens mal et ai mille choses à faire, vois-tu? LS: (me voir fuir l'égaye, il ne lâche pas prise) C'est une convocation du Premier consul. Tu peux amener qui tu veux. Pourquoi pas ton tribun extrémiste? Il verrait sa défaite. Cela lui ferait du bien. ''Et pas qu'à lui'' tu me diras. Je pense à tous. Charmant, non? GM: (je contiens ma rage et lui dis, mystérieux) Pense à toi, c'est juste un conseil d'ami! Je ne dois plus être si virulent parce qu'il s'éloigne sans insister. Je l'amuse au lieu de l'énerver, ça me TUE! Je voudrais lui cracher ses grappes de raisin (nourri au sang humain, ça n'a pas l'air de l'émouvoir un seul instant) en plein visage! Je bats en retraite. La femme de Sylla échange un regard triste avec Julia. C'est alors que je vois combien nos querelles les accablent. La haine, c'est encore une affaire d'hommes! Cela ne profite à personne, sauf à quelque divinité infernale oubliée… Deux flammes ont attiré mon attention. Le petit César est aussi tremblant de rage que moi. Ses doux yeux noirs brillent de violence, appellent au Chaos et semblent en jeter le souvenir à ma conscience, comme s'ils le connaissaient. Les yeux du Dieu. Pas un Dieu philanthrope en tout cas. Un tueur… LS: Ah, Gaius, tu es là? C'est merveilleux! Tu es venu me féliciter? Comme ça me fait plaisir ! (le petit - treize ans depuis quintilis- baisse la tête, tel un taureau prêt à charger) Si je pouvais avoir le privilège de voir ta figure, ce serait mieux, tu ne crois pas? AC: (ou tu n'es pas charitable ou tu es aveugle, Aurelia, tu n'imagines pas ce que tu exiges de sa part, pauvre enfant!) Allons, Gaius, ne sois pas timide! C'est toujours ton oncle Lucius! Il n'a pas changé! Montre-lui du respect! Salue le Premier Consul! César ne bouge pas et fixe le sol rageusement. Comme il trouve la situation absurde! AC: (gênée et fébrile) C'est assez, Gaius! Lève la tête et embrasse ton oncle, tu es impoli! LS: (il soulève le menton de son neveu avec son pouce et son index en forçant un peu) Oh non, Aurelia, il est seulement un peu contrarié! Oui effectivement, beaucoup même… Heureusement que je ne suis pas un fétu de paille, je ne serais déjà plus que cendres ! (il appuie l'index sur le front de Gaius et le fait reculer un court instant, Gaius lui résistant opiniâtrement, mauvaise tactique: il va l'ennuyer deux fois plus longtemps) Forte tête, hein? Apparemment, il ne sait plus parler. Dis-moi, est-ce la rage qui te pétrifie ou la honte? (Chaos originel, tu n'es pas mort dans ses yeux: ils irradient de colère!) C'est officiel, mon neveu m'en veut. Pour quoi, on l'ignore toujours. je te préviens, mon cher petit, que j'ai TOUT mon temps! (à part) Dis ta frustration ou crève avec! Ah, tu as choisi? tu as jeté le mauvais Sylla? C'en est trop. Se dégageant avec fougue, Gaius recule et s'enfuit de la pièce (les larmes aux yeux que seuls Sylla et moi semblons avoir vues). Loin de se sentir coupable, Sylla le regarde faire, hausse les sourcils, puis dit, radieux: LS: (radieux) Quelle âme sensible! Je le croyais plus résistant! Ah, tu n'as pas été assez dur, Marius! Et toi trop douce, ma chère Julia! Gaius Julius, permets-tu que j'aille clarifier les choses avec notre petit rebelle? GM: (tactique judicieuse, Aurelia n'y verra rien: il va aller l'achever, le monstre, ah non!) Tu as assez fait de dégâts pour toute une génération! Laisse un être cher panser ses plaies que tu t'amuses à rouvrir! LS: (personne, surtout pas un socius, ne s'interposera entre lui et sa proie agonisante) Tu tolères peut-être l'impudence de la part de ton fils, et c'est ton droit, mais cet enfant - que j'aime autant que toi - m'a insulté. Chez moi, on vénère ses ancêtres. Il le saura. GM: Quel amour, on en rêverait! Chez moi, on respecte ses fils! Garde tes précieux conseils pour toi et applique-les, tu iras mieux! Tu n'es pas son père, rentre chez toi! LS: Depuis quand un simple civis commande-t-il un consul? Je veux éduquer mon neveu, je ne partirai pas avant! Tu n'as rien à dire: il n'est pas ton fils; Alors rentre chez toi! GM: Hors de question! Je le défendrai même contre tous, puisque d'autres l'abandonnent! Gaius Julius Caesar: (intervenant au milieu de la querelle) Tu exagères, Gaius Marius, et tu m'offenses: je suis absent, mais pas irresponsable. GM: Ce n'est pas ce que j'ai insinué, tu me comprends mal! Gaius a besoin d'affection, pas de mépris! Ton cher beau-frère n'a aucun tact; il brise les Julii, tu devrais le savoir! GJ: (ma technique m'est contraire, je vexe le doux César, qui se sait en tort, mais insulté) Je ne suis ni amnésique ni sélectif dans mes souvenirs, Marius. Mais, aussi grand soit ton amour ou ton esprit de compétition, tu outrepasses tes droits en piétinant les miens. GM: (atterré, je joue la carte du sentimentalisme, ce qui ne marcherait pas avec Sylla, bizarre, non?) César, tu m'as fait confiance pour éduquer et former ton fils. Tu n'as pas eu tort. Mais, comme tu l'as dit, je ne suis pas son père, c'est toi. C'est à toi de l'éduquer… et de l'aimer. Il a besoin de ta présence. Il est las de tes absences. Va le trouver, il n'attend que ça. Tout ce qu'il fait, c'est pour toi, son ''père inaccessible''. GJ: (touché, mais persistant dans son idée, on est un César ou pas) C'est Sylla qu'il a offensé. C'est un problème qu'ils doivent régler ensemble. Tu n'es pas concerné. Laisse-les arranger les choses. Mon fils peut - et doit! - se débrouiller, même sans toi. GM: (j'ai l'air d'un malheureux) Mais ouvre les yeux, César! Où vois-tu de l'amour chez Sylla? Regarde-le! Crois-tu un seul instant qu'il sera gentil? Il va juste l'achever! GJ: (le regard glacial, dénué d'estime, c'est surprenant chez lui) Ecoute, Marius, je t'apprécie beaucoup, même quand tu te laisses dominer par ton mauvais caractère. Sylla n'est pas moins mon beau-frère que toi, il est premier consul et si feu mon père lui a donné ma sœur en mariage, ce n'est pas pour faire joli. GM: (j'éclate de rire comme je pourrais éclater en sanglots) Ton père? Ah oui, ton père! Parlons-en un peu, de ton père! Ton père méprisait Sylla et n'a consenti au mariage de Julilla que pour son bonheur! Il savait comment ça tournerait et il a eu raison! GJ: (déstabilisé) Mon père respectait Sylla. Il a toujours été courtois et sincère avec lui. GM: (en larmes, hilare) En public, il n'allait pas lui dire ses quatre vérités! Tu veux savoir ce qu'il pensait? Ton père était comme Janus: il offrait un masque souriant, mais son visage transpirait la haine! Tu veux une preuve? Regarde les yeux de ton fils! Lui aussi a compris et ne sait pas mentir! Vous voir ''nier'' la chose le rend malade! Un jour, ton père m'a dit qu'il aurait bien craché à la face de son beau-fils, bien qu'il fût devenu veuf, car il avait compris ce qui avait miné sa femme! Et Gaius ferait pareil! LS: (glacial, il aura ma peau tôt ou tard: je l'ai défié) Je ne tolèrerai pas tes insultes plus longtemps. Va-t'en! Tu te crois le maître ici? Contrairement à ce que tu dis, il y a des personnes dans cette pièce qui m'estiment réellement et se réjouissent de ma victoire que je n'ai ni achetée ni volée! J'ai réussi légalement et c'est ça que tu ne peux avaler! Rentre chez toi ou change d'attitude! Ton comportement n'est pas romain! GM: (la foudre illumine mes yeux bruns) Seulement mon comportement, consul de Rome? Non, en effet. Ce n'est pas ça, être romain, agir comme vous le faites. Me revoici un étranger parmi vous. Je ne reconnaîtrai pas la Rome que tu crées, Sylla: plutôt l'exil! LS: (impressionné, opportuniste et cruel) Alors, si tu es aussi idiot, quitte MES frontières! GM: (je me sens comme mes pauvres frères du Sud, comme au temps de mon arrivée au Sénat, pas ça, ils me renient, ils me privent de mon peuple, de ma terre, les monstres!) Jamais! Rome n'est pas ta chose! J'ai été consul six fois! J'ai protégé et aimé cette ville plus que tu ne le feras jamais! C'est toi l'apatride ici! Moi, j'ai quelqu'un pour qui vivre et mourir! Ce n'est pas ton cas! Tu es comme Scaurus, comme les frères Metelli, comme Catulus Caesar ! Un consul optimate parmi tant d'autres! Tu me dégoûtes! LS: (souriant intensément, il triomphe!) Rome est sous MA direction jusqu'au dernier jour de décembre. Si tu fus consul six fois, un presque-roi qui a pris l'habitude du pouvoir illimité, ce fut bel et bien une erreur de te renommer et les frères Metelli avaient donc raison! Tu aimes cette ville? Crois-tu être le seul? Moi aussi, je l'aime et voir des étrangers l'envahir, la corrompre, la piller et se l'approprier m'insupporte! Je ne suis pas né dans la pourpre, comme tu le dis, je sais la valeur des biens matériels et la rareté des amis! Je ne serai pas insignifiant: on se souviendra de mon passage, crois-moi! Et si je te dégoûte, tu peux toujours partir, je ne te retiendrai pas! GM: (furieux, je ne me fais pas prier) Tu n'auras pas à le répéter, mais sache que je reviendrai! Je n'abandonnerai jamais! Vale te! (la porte claque, ça leur apprendra!) Il me faut plusieurs minutes pour me calmer. Mes yeux découragent les rares partisans qui voudraient me parler. Pas tous. Oh, allez-vous-en! Sulpicius. Ah, un vrai tribun! Une idée monstrueuse passe furtivement dans mon esprit. Je suis près de la rejeter quand je regarde Servius. Et pourquoi pas, finalement? Mon expression est telle que fut celle de Sylla. Je sens mon cœur se durcir comme jamais et le feu le brûler. Je le souille joyeusement du poison de la haine: peu m'importe! Je n'ai plus le sens du bien et du mal, seulement de ma justice. Je vais me défendre puisque personne ne le fait. Je vais me venger et tous les Italiques avec moi. Tremblez, sénateurs! Gaius Marius est de retour! Je suis prêt à tout! J'aurai cette guerre à n'importe quel prix! Dieux, recevez mon sacrifice, quel qu'il soit! Un usurpateur occupe la chaise de Romulus! Je vais reprendre ce qui appartient aux maîtres de Rome, ceux qui l'aiment! Julia, je te rendrai le trône de tes Pères et j'y installerai notre fils! (Uranus m'observe) Que le Ciel m'assiste… Je le jure par le Styx! Par Némésis |