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Contexte historique: Caius Marius, déclaré ennemi public par les consuls Sulla et Quintus Pompeius, a reussi à quitter l'Italie et à s'embarquer sur un navire en partance pour la province d'Afrique. Il arrive en vue des ruines de Carthage... Au large des ruines de Carthage, 10 jours avant les calendes de janvier, an de Rome 666 (-88) Caius Marius sortit sur le pont respirer un peu d'air frais. L'ancien consul corpulent avait terriblement fondu depuis sa fuite de Rome quelques semaines auparavant. Le peuple n'avait pas réussi à le livrer à Sylla. Pas lui, le vainqueur de Jugurtha, des Cimbres et des Teutons. Son nom seul avait suffit à faire reculer le barbare chargé de lui trancher la tête. Son prestige lui avait assuré un navire en partance pour l'Afrique. Après tant de jours à lutter contre les vents - maudit Sylla, même Jupiter, le dieu des éléments, s'était rallié à sa cause! - Marius avait finalement du renoncer à quitter l'Italie. Un signe des dieux! Rome le rappelait, lui disait qu'il avait encore une chance de se faire élire consul une septième fois! Il y avait cru… Avant de terminer terré dans un marais nu comme un ver. Les dieux sont si cruels... Lui, le troisième fondateur de Rome, allait terminer sa vie au fin fond d'un marais nauséabond, pourchassé par les sbires de Sylla. Mais la chance avait fini par tourner, et Neptune l'accueillait désormais avec bienveillance, lui promettant asile, repos et espoir sur les berges de l'Afrique... Marius et son bourreau germain La traversée avait été sereine, et le souffle régulier du vent avait fini par apaiser l'ancien consul complètement épuisé. Il avait beaucoup dormi ces derniers jours, son esprit ressassant les événements qui s'étaient produit depuis la prise de Rome par Sylla. Après avoir touché le fond, Marius a fini par rejeter son enveloppe de romain embourgeoisé et décadent pour retrouver son esprit aiguisé de général. En contemplant la mer sereine, il voyait ce qu'il devait faire: mettre au point un plan de bataille pour récupérer Rome, enrôler des troupes, monter un camp en Afrique, trouver des alliés, et ensuite… ensuite… Caius Marius respira profondément, à pleins poumons. Et pour la première fois, il se sentit envahit d'un sentiment étrange. Son esprit était comme vidé, déchargé de la tension des dernières semaines. Son corps en souffrance était envahi par le bien-être. Marius était sorti transformé de ses dernières mésaventures, et toute son âme hurlait: ''Liberté!!!''. Caius Marius se sentit libre comme jamais et il poussa un énorme cri rauque sorti du fin fond de ses entrailles. Un spasme le saisit et il éclata en sanglots. Il avait survécu! Une joie immense le submergea tandis qu'au loin se dressaient les ruines de Carthage… Ruines de Carthage, 8 jours avant les calendes de janvier, an de Rome 666 (-88) Cela faisait moins d'un jour que Marius avait débarqué à Carthage. Le sentiment de soulagement et de liberté qu'il avait éprouvé à la vue de la côte africaine s'était presque effacé en découvrant les ruines de Carthage. Tout était détruit et ravagé. Caius Marius avait la désagréable impression de voir devant lui sa vie en ruine. "Maudits Cornelii! Laissez leur mener une guerre et ils vous transforment une cité florissante en un champ de ruines". Marius avait du mal à rassembler ses idées. Son esprit tournait en boucle depuis sa fuite sur deux mots, ''ennemi'' et ''public''. Le vainqueur des Teutons se refusait à comprendre. Comment le Sénat avait-il pu le déclarer ennemi public, lui qui avait été consul six fois, qui avait sauvé Rome de ses plus grands ennemis, qui l'année d'avant était encore en train de combattre les Italiques? "Quelle bande d'ingrats!, pensa Marius. Qu'ils ont la mémoire courte tous ces Metelli et Cesarii! Qu'est-ce que je leur demandais en échange des services que j'avais rendu à Rome? Juste le commandement de la guerre contre Mithridate! Une guerre que je prépare depuis dix ans. Il fallait demander au peuple à qui il fallait l'attribuer! Et le peuple m'aurait plébiscité, une fois encore, comme il l'a toujours fait. Mais non, il a fallu que cela se règle entre sénateurs. Vale, on lève la main pour déclarer la province d'Asie proconsulaire. Qu'importe que nous, les populares, nous votions contre. Nos chers consuls, ou plutôt ce cher Sylla en particulier, a réussi on ne sait trop comment à convaincre la majorité avant de mettre la loi au vote. Maudit soit-il celui-là! Il est allé pleurer devant les Metellii et je suis sûr qu'il a comploté avec Catulus et les Césars. Combien de sénateurs as-tu acheté mon questeur efféminé? En tout cas, j'ai payé Sulpicius plus cher que toi! Ah, ah, ah… Marius riait tout seul. Que ne t'ai-je assassiné lorsque j'en avais l'occasion! J'aurais du le faire! J'aurais épargné à Rome bien des souffrances… Qu'est-ce qui m'a retenu? La nervosité de Sulpicius me faisant comprendre que si on assassinait le premier consul, nous signions notre propre arrêt de mort? Un excellent démagogue ce Sulpicius, mais en dehors du Forum il ne vaut rien. Quoi alors? Le regard de Sylla lorsque ses yeux ont croisé les miens? Ô, comme je te connais bien mon cher ennemi. Comme je sais que tu es prêt à tout pour te faire acclamer imperator sous tes dehors de patricien débauché... Quoi donc? Qui a-t-il en lui qui m'a fait reculer? Un regard… un tel regard, si dur, si froid, si inhumain. C'est cela". A ce moment-là, Sylla n'avait rien eu d'un homme apeuré alors qu'il était à genoux devant lui. Archi-battu, le consul avait continué à le défier du regard, impassible. Marius avait compris qu'il ne pouvait pas assassiner son rival. Sylla était protégé par son statut de consul et de héros militaire de la Guerre Sociale. Et surtout, Marius ne s'attendait absolument pas à la proposition du vainqueur des Alliés: Sylla: Marius, je retire mon iustitium si tu me laisses aller combattre Mithridate. En échange, je laisse ta faction gouverner Rome en mon absence. Marius: Alors comme cela, tu craches sur le Sénat et sur la République? LS: Disons juste que je ne m'opposerais pas si tu te présentes une nouvelle fois aux élections consulaires… CM: Oh, oh, à toi Mithridate et à moi le consulat. Bien, bien… Et Sulpicius, et les Italiques? LS: Ça, ce sera ton problème, pas le mien. Je te fais confiance afin de prendre les bonnes mesures qui s'imposent pour Rome. CM: C'est d'accord. Tu révoques ton iustitium et tu t'embarques pour la Grèce dès que possible. LS: J'ai l'ordre du Sénat de réduire la résistance aux abords de Nola. Une affaire de quelques semaines, ensuite… CM: Ensuite, j'attendrais avec plaisir les rapports annonçant ta défaite. LS: Prie plutôt pour que je reste éloigné de Rome le plus longtemps possible… CM: Un conseil, consul: quitte Rome dès la tombée de la nuit ou je lâche l'anti-sénat de Sulpicius à ta poursuite. LS: N'ait crainte, Marius, je n'ai plus aucune raison de m'attarder à Rome maintenant que les populares ont repris le pouvoir. "Ah, quel bon air on a respiré à Rome avec Sylla au loin! Repensa Marius. Le peuple au pouvoir! Enfin! Sulpicius fit passer ses lois et la moitié des sénateurs furent exclus du Sénat pour cause de dettes non réglées! Tous les optimates, ces gens de la noblesse, n'ont pas d'argent et passent leur temps à se vanter de la richesse qu'ils empruntent aux chevaliers pour financer leurs orgies!!! Il était temps que cela cesse et que Rome entre dans une nouvelle ère. Le gouvernement au peuple et aux tribuns de la plèbe qui défendent leurs intérêts! Ça c'est la démocratie! Quant à nous, les populares, Sulpicius a trouvé la solution pour nous faire gagner toutes les élections: répartir tous les nouveaux citoyens italiques, qui sont pour la plupart nos clients, dans les 35 tribus de vote. Comme cela, les nouveaux citoyens voteront pour nous et les anciens, habitués à se laisser acheter par l'oligarchie n'auront plus qu'à aller pleurer dans la toge de leurs maîtres. Caius et Tiberius Gracchus sont enfin vengés! "Ah, ah, ah, j'ai adoré la tête de ces sinistres sénateurs quand ils ont appris que Sylla avait quitté la ville! Quintus Pompeius Rufus est devenu encore plus rouge que ses cheveux quand Sulpicius a fait passer ses lois devant l'assemblée du peuple! Quelle chance pour la République que Pompeius et Sulpicius se haïssent autant! Avant, c'était les meilleurs amis du monde, sauf que Pompeius a eu la mauvaise idée de vouloir imiter Sylla, qui couche avec à peu près la moitié des femmes de Rome, et d'avoir une liaison avec la femme de Sulpicius. Quand Sulpicius l'a découvert, on l'a entendu hurler dans tout Rome! Si Pompeius n'avait pas été consul, Sulpicius l'aurait fait écorcher vif. Pompeius Rufus, celui-là, il est encore plus faux et détestable que Sylla: un jour je suis ton grand ami, le lendemain, je te voue à Hadès. Sylla et lui se sont bien trouvés; conservateurs et méprisants au possible ces deux là. Ils vous donnent toujours à penser que Rome est leur propriété privée et qu'eux seuls savent comment il faut gouverner la ville! Sulpicius, après avoir été leur ami, ne pouvait plus les supporter, au point qu'il a constitué un anti-sénat juste pour leur rendre la vie amère! Ah, ah, ah, vraiment trop drôle! "Enfin, Sylla absent, Pompeius et le Sénat réduits à pleurer, je me retrouvais à nouveau le favori des foules. J'arrivais tranquillement le matin au milieu du forum et je calmais les enragés grâce à mon auctoritas. Marius! Marius! Scandait le peuple. J'allais au Champ de Mars encourager mon fils. Je voulais une belle et vraie guerre pour lui, et aussi pour mes neveux. J'en rêvais… Marius! Marius! Célébrer encore un triomphe… Sentir que je comptais encore pour le peuple… Marius! Marius! Encore se faire acclamer imperator sur un champ de bataille… Entendre encore les soldats m'acclamer. Marius! Marius! "Le peuple m'aimait-il encore? Au forum, dans les rues, on ne parlait que du départ de Sylla… Les citoyens italiques buvaient littéralement les paroles de Sulpicius qui leur promettait tout: des élections libres, du pain, des terres, que Rome leur appartenait désormais… Le Sénat suppliait Pompeius Rufus de mettre fin à ce désordre, et Sulpicius continuait de haranguer les foules jusque sur les marches de la Curie. Rome appartenait à Sulpicius et personne ne viendrait l'assassiner, comme Livius Drusus… Oh non, j'avais trop besoin de lui… J'avais réussi à éloigner Sylla de Rome pour lui laisser le champ libre, à Sulpicius de respecter sa part du marché: l'attribution de la Guerre contre Mithridate. Marius! Marius! Marius! Je célébrerai encore un triomphe dans les rues de Rome. Marius! Marius! Marius! Marius en exil "Sulpicius avait son idée: destituer Quintus Pompeius de son consulat et me faire élire consul suffect. Consul de Rome une septième fois! Jamais je n'aurai rêvé autant quand j'étais un simple soldat réduit à faire les corvées du camp. Marius! Marius! Marius! C'était trop facile: Pompeius avait des dettes astronomiques. Sulpicius avait gardé une trace de toutes les transactions et de toutes les dettes du consul. En faisant les comptes, Pompeius devait près de 3 millions de sesterces à ses débiteurs! Sans Sylla en ville, le second consul était un homme politiquement mort… Pompeius fut donc légalement destitué. Sulpicius tenait sa vengeance et le Sénat devait procéder à une élection consulaire suffect. Le plan de Sulpicius était parfait: avec les nouveaux citoyens italiques dans les 35 tribus, les élections ne pouvaient pas nous échapper. "Dès la campagne électorale lancée, je déposais ma candidature, douze ans après mon dernier consulat. Je dénonçais la corruption qui régnait à Rome dans le Sénat, je me proposais de porter les espoirs du peuple romain, des chevaliers, des italiques. J'invitais mon fils et mes neveux au forum. Seul le sage Caius Marius pouvait rétablir la situation. De son côté, le Sénat ne se décourageait pas. Réduit à une poignée, les optimates ont quand même réussi à présenter un candidat… qui n'avait été qu'édile. Ah, ah, ah, il ne restait plus un seul préteur pour se faire élire! Comme nous sommes démocrates, nous avons laissé César-le-Louchon se présenter. Aucun risque qu'il l'emporte. Sulpicius et moi, nous contrôlions tout et Sylla avait juré de ne pas s'en mêler... "Le jour de l'élection, le peuple allait m'acclamer consul pour la septième fois! Marius! Marius! Marius…? Caesar Strabo élu!!! Le Grand Caius Marius battu par un simple édile! Impossible! Sulpicius, aidé par le juriste Antistus, cassèrent immédiatement le résultat de cette élection. Un simple édile ne pouvait être consul. J'allais obtenir ce septième consulat! Mais que font "mes" électeurs? Ils se joignent aux amis de Caesar Strabo pour affronter l'anti-sénat de Sulpicius. Impossible! Pour calmer tout le monde, le Sénat oblige Sulpicius à annuler l'élection consulaire… Sulpicius recule et se plie à la bande des excités du Sénat. J'entre dans une rage folle en l'apprenant. Je ne serais pas consul une septième fois… Julia ne m'a jamais vu comme ça. Je n'arrive pas à regarder mon fils dans les yeux… "Le lendemain, même le petit peuple me demande de retourner prendre des bains dans ma villa du Cap Misène. Rome aime-t-elle encore Caius Marius? Je pleure en silence… Plus déprimé que jamais, je me réfugie dans le vin pour oublier ma défaite… Sulpicius vient me trouver. Il veut toujours respecter sa part du marché et il a une nouvelle idée: il va faire passer une loi pour me donner le commandement de la Guerre contre Mithridate, dès aujourd'hui. Il réunit les comices, son anti-sénat est présent et tous votent en ma faveur. Caesar Strabo, devenu le chef de file des optimates, veut encore s'interposer. Sulpicius maintient le Sénat loin. J'ai obtenu mon commandement! Marius! Marius! Marius! Que m'importe l'amour de Rome tant que j'ai l'amour des soldats! J'envoie vite mon neveu et futur légat Gratidius informer l'armée que désormais je suis leur général en chef. Bien fait pour Sylla! Il n'aura qu'à aller s'exiler chez Bocchus si ça lui chante. "Sulpicius contrôle la plèbe et le Sénat, j'ai mon commandement, Caesar Strabo a quitté la ville avec son maudit frère. Jupiter me sourit à nouveau. Je commence à préparer mes bagages. Mon fils sera tribun et nous aurons vaincu Mithridate en une seule campagne! "Mes" légions romaines sont invincibles! Marius! Marius! Marius! "Préparant mon prochain plan de bataille avec ma famille, je n'entends pas Sulpicius qui vient d'entrer. Il a la mine très sombre… A croire qu'il a appris que Sylla marchait sur Rome! Ah! Ah! Ah! "QUOI?!? Mes jambes me lâchent, ma respiration devient difficile, ma vue se brouille… je me retrouve par terre adossé à une colonne de mon péristyle. Avec douceur, Sulpicius me répète la nouvelle: le fils de ma sœur, Gaius Gratidius, a été assassiné par les soldats de Sylla. Gaius..? Je l'ai vu grandir… presque un fils… assassiné… par qui? Sulpicius doit insister: "les soldats de Sylla". Impossible!!! Ce sont "mes" soldats. Ils combattent pour Rome, pas pour l'Arriviste débauché. Ils doivent suivre le général élu par le peuple! C'est une rébellion! Je veux immédiatement que l'on châtie les coupables! Je veux qu'on me rende le corps de mon neveu! Et je pleure. Julia a du mal à me calmer. Mon fils frémit de rage… Sulpicius est toujours affreusement pâle… Quoi encore?! Les soldats ont décidé de suivre le général élu par le Sénat, leur consul et… effectivement, ils marchent sur Rome. Et ce n'est pas tout, Quintus Pompeius est avec eux. "Il réclame ma tête à Sylla!" hurle Sulpicius. Evidemment, Pompeius est allé pleurer sur le glaive sanglant de Sylla. Quoi: encore?!! Les optimates s'apprêtent à quitter Rome pour rejoindre Sylla… "Laissez-moi seul! Laissez-moi seul! Tous!!! Pas toi Sulpicius! Sylla veut verser le sang - est-il capable de faire autre chose d'ailleurs celui-là? - très bien! Sylla se permet d'assassiner un membre de ma famille? Il veut la guerre? Il l'aura!!! Un voile rouge passe devant mes yeux. "Dis-moi Sulpicius, est-ce qu'on se venge enfin de Sylla et de Pompeius? Est-ce que tu veux vraiment leur déclarer la guerre? Sulpicius est toujours aussi livide, mais il semble déterminé à agir. Alors dit à tes hommes de mains d'aller tuer le jeune Pompeius. Les consuls réfléchiront à deux fois avant de marcher sur Rome! Fait vite! Le gendre de Sylla ne doit pas quitter la ville vivant! Vale! |