LUCULLUS EN EGYPTE En Grèce, devant Athènes et le Pirée, les sièges et les diverses escarmouches se poursuivent tout l'hiver. Dans cette guerre contre Mithridate, son légat le plus sûr est Lucius Licinius Lucullus. Lucullus est avec Sylla depuis le début de la Guerre sociale. En Grèce, il est son proquesteur et il s'occupe surtout de frapper des monnaies pour payer les légions. ''Sylla se l'attacha surtout à cause de sa fermeté et de sa douceur. Depuis le début, ce dictateur l'employa aux besognes les plus sérieuses, parmi lesquelles l'intendance de la monnaie. C'est par ses soins surtout qu'on en frappa dans le Péloponnèse pendant la guerre contre Mithridate; cette monnaie fut appelée de son nom Lucullienne, et elle eut cours très longtemps, l'usage qu'en faisaient les soldats à la guerre en rendant l'échange facile'', précise Plutarque. Au fil du temps, Sylla et Lucullus développe une amitié sincère basée sur des goûts communs. Comme Lucius Cornelius, Lucullus s'exprime aussi bien en latin qu'en grec, comme lui, il a le goût de la diplomatie, et tous deux sont très cultivés. En bref, Sylla finit par avoir une confiance totale dans son questeur. Une des monnaies de Lucullus Sur le plan tactique, l'année qui vient de s'écouler a vu les Romains dominer le terrain des hostilités sur terre, mais sur mer, il en allait tout autrement. Les Romains subissent le blocus commercial maritime de Mithridate. Sylla veut absolument briser ce blocus, mais il ne dispose d'aucune flotte, au contraire d'Archélaos qui possède des navires en grand nombre. Pour s'en procurer, il envoie tout d'abord des ambassadeurs à Rhodes, mais la ville subissant toujours des attaques des Pontiques, elle ne peut lui envoyer la flotte qu'il demande. Sylla change de tactique et charge alors Lucullus d'aller secrètement à Alexandrie et en Syrie pour obtenir une flotte de la part des rois et des villes alliées à Rome. ''C'était au cœur de l'hiver. Lucullus partit avec trois brigantins grecs et autant de birèmes rhodiennes. Il affrontait une vaste mer et beaucoup de vaisseaux ennemis, qui circulaient partout en raison de leur supériorité numérique. Cependant il trouva moyen de soumettre la Crète en passant. Il surprit les Cyrénéens dans le désordre où les avait laissés une suite de tyrannies et de guerres, il se les concilia et rétablit leur constitution, en leur rappelant un mot de Platon, que celui-ci avait émis comme une prophétie à leur adresse. Sollicité, paraît-il, de leur donner des lois et de réformer leur démocratie sur le modèle d'une sage organisation, le philosophe avait répondu: ''Il est difficile de donner des lois aux Cyrénéens quand ils sont si prospères; car rien n'est moins gouvernable qu'un homme dont les affaires semblent bien aller, ni plus susceptible d'accepter une autorité que celui qu'a rabaissé la fortune''. C'est aussi la raison qui rendit alors les Cyrénéens maniables et les soumit aux lois de Lucullus. Parti de Cyrène pour l'Égypte, il perdit la plupart de ses bateaux, des pirates s'étant montrés. Lui-même put s'échapper et arriver à Alexandrie, où on lui fit une réception brillante. Toute la flotte vint à sa rencontre, suivant le cérémonial usité pour le Roi quand il arrivait par mer; et elle était décorée magnifiquement. Le jeune Roi Ptolémée, entre autres marques extraordinaires de bienveillance, lui fournit le logement et la nourriture dans les palais royaux, où jamais encore un général étranger n'était descendu. Quant aux dépenses et aux frais de séjour, loin de se borner à la somme assignée d'ordinaire pour les hôtes, il donna le quadruple; mais Lucullus n'accepta rien de plus que le nécessaire et ne voulut pas recevoir de présents, quoique le Roi lui eût envoyé la valeur de quatre-vingts talents. On rapporte qu'il ne fit pas le voyage de Memphis et ne voulut voir aucune des merveilles si renommées de l'Égypte: ''Ces curiosités, dit-il, sont bonnes pour un spectateur oisif, qui fait un voyage d'agrément, et non pour quelqu'un qui a, comme moi, laissé son général en chef campant à la belle étoile devant les créneaux de l'ennemi'', rapporte Plutarque. SYLLA CONTRE ARCHELAOS: DUEL AU PIREE Pendant l'hiver, Athènes commence à souffrir de la faim. Les traîtres intra-muros du Pirée envoient un jour un nouveau message à Sylla: Archélaos va envoyer de nuit un convoi de vivres à Athènes. Prévenu, Sylla fondit sur le convoi et s'empara des vivres et des soldats de Mithridate. Le même jour, près de Chalcis, Minucius bat l'autre général de Mithridate, Neoptolème, et réussit même à le blesser. A cette occasion, il tua 1 500 soldats pontiques et en captura près de 2 000 autres. Quelques jours plus tard, le moral en hausse après ces deux victoires, les Romains décident d'attaquer le Pirée de nuit. Des légionnaires utilisent les échelles, parviennent au sommet du mur, et tuent les gardes. A la suite de cette attaque, c'est d'abord la débandade parmi les troupes asiatiques, mais elles se reprennent très vite et tuent les Romains infiltrés. Puis les soldats d'Archélaos font une sortie et réussissent à mettre le feu aux deux tours d'assaut romaines. Voyant cela, Sylla sort immédiatement de son camp, et va défendre chèrement ses deux tours. Les Asiatiques et les Romains se livrent alors une bataille farouche qui dure toute la nuit et le jour suivant. Finalement, Sylla a le dessus et les Pontiques se retranchent à nouveau derrière les murs du Pirée. L'artillerie de Sylla contre le Pirée Après cette bataille, Archélaos, qui ne manque pas de ressources, construit lui aussi une tour de défense qu'il place vis-à-vis de la tour d'assaut romaine. Et depuis lors, les deux tours ne cessent de se combattre en se lançant tous les projectiles possibles. Archélaos, fin tacticien, a enduit sa tour d'un enduit d'alun incombustible qui rendait fou les Romains: ''Alors Sylla fit pendant longtemps avancer des troupes, et s'épuisa en efforts incroyables pour mettre le feu à une seule tour en bois qu'Archélaos avait élevée entre le fort et l'ennemi; il vint, s'approcha, lança des brandons contre la tour, écarta les Grecs, la flamme à la main, mais, malgré de longs efforts, on ne put jamais l'embraser: c'est qu'Archélaos avait enduit toute la charpente d'alun. Sylla et ses soldats furent dans l'étonnement; et, fatigué de ses tentatives infructueuses, le général s'en retourna avec ses légions'', raconte Quadrigarius. Sylla décide alors d'utiliser son artillerie lourde. Il dispose en effet de 13 catapultes pouvant lancer 20 balles de plomb très lourdes à la fois. Le proconsul fait converger ses tirs vers la tour d'Archélaos, et réussit à faire vaciller l'édifice pontique. Archélaos doit retirer sa tour. Archélaos change alors de stratégie et décide d'utiliser la ruse pour piéger les Romains. Pensant que des traîtres se trouvent au Pirée, il laisse entendre qu'il va envoyer un nouveau convoi de vivres de nuit vers Athènes, mais secrètement, il laisse des troupes près des portes, prêtes à attaquer les Romains dès que ceux-ci auront le dos tourné. En bref, le convoi de vivres est une diversion. Et les Romains tombent dans le piège. Sylla s'empare à nouveau du convoi de vivres, mais il n'y a alors plus personne pour défendre les machines de guerre, et les Asiatiques réussissent à en brûler plusieurs. Pendant ce temps, Arcathias, un des fils de Mithridate, envahit la Macédoine à la tête d'une armée, puis marche contre Sylla. Cependant, il tombe malade en cours de route et meurt près de Tisaeos. Un soldat romain Au Pirée, la construction de la terrasse d'assaut est enfin terminée, et Sylla installe ses machines et ses tours d'assaut. Mais Archélaos n'est pas resté inactif. Il a fait creuser des galeries souterraines et a miné le sous-sol. Si bien que lorsque les lourdes machines romaines s'avancent, le sol s'affaisse. Dans le camp romain, la surprise est totale. Sylla ne s'attendait visiblement pas à cette manœuvre d'Archélaos. Avec obstination, les Romains remblaient le terrain et Sylla fait lui aussi miner les murs du Pirée. Les sapeurs romains et asiatiques finissent ainsi par se rencontrer en sous-sol et par se battre en pleine obscurité. La terrasse étant tant bien que mal remblayée, les machines romaines parviennent devant les murs du Pirée. Sylla attaque alors les murs avec des béliers jusqu'à ce qu'une partie s'écroule. Les légionnaires donnent alors l'assaut et parviennent à brûler la tour de défense d'Archélaos. Sylla fait aussi tirer des flèches enflammées et envoie ses soldats escalader les murs avec des échelles. L'offensive romaine avance bien et, sous les coups de béliers, une autre partie du mur s'écroule. Le proconsul poste un corps de garde à cet endroit et, tant en continuant à marteler le mur, il place des mines au-dessous, avec un mélange de souffre, de chanvre et de poix et fait exploser le tout. Une autre partie du mur s'écroule. Les pontiques battent en retraite. ''Contre ces forces démoralisées, Sylla continua un combat incessant, relevant continuellement ses propres troupes, amenant des soldats frais avec des échelles, une division après l'autre, tout en criant et en les exhortant, les poussant en avant, les menaçant et les encourageant à la fois, et leur disant que la victoire était à leur portée. Archélaos, de son côté, faisait monter de nouvelles forces pour remplacer celles qui faiblissaient, lui aussi renouvelant sans cesse le combat, encourageant et poussant au combat tous les soldats, leur disant que leur salut serait bientôt assuré. Il y avait dans les deux armées un haut degré d'ardeur et de courage, et le combat devint acharné, le carnage était identique des deux côtés. Enfin, Sylla, qui était l'attaquant et qui donc s'épuisait le plus vite, fit sonner la retraite et ramena ses forces, félicitant plusieurs de ses hommes pour leur courage'', relate Appien. Archélaos fit reconstruire le mur écroulé immédiatement. Lucius Cornelius, pensant que ce mur humide serait facile à faire tomber, rassembla toute son armée et donna l'assaut général. Mais l'espace de manœuvre était étroit, et les forces romaines, qui ne pouvaient pas se déplier, étaient trop exposées au tir des flèches venant du Pirée. Sylla dut faire sonner la retraite et renonça alors à prendre le Pirée par la force et décida de le réduire par la famine. ATHENES NARGUE SYLLA Pendant ce temps, la famine régnait à Athènes malgré un rationnement extrêmement sévère. ''Sachant que les défenseurs d'Athènes étaient sévèrement accablés par la faim, qu'ils avaient dévoré tout leur bétail, bouilli le cuir et les peaux, léché ce qu'ils pouvaient en obtenir, et que certains avaient même essayé de la chair humaine, Sylla ordonna à ses soldats d'entourer la ville d'un fossé pour que pas un des habitants ne pût s'échapper secrètement'', raconte Appien. En effet, Sylla ''avait le désir le plus violent de s'en rendre maître et il s'y obstina, soit par la vanité de combattre contre une ancienne réputation dont cette ville ne conservait plus que l'ombre, soit pour se venger des injures et des railleries piquantes, des traits mordants et obscènes que le tyran Aristion lançait tous les jours du haut des murailles contre lui ou contre sa femme Metella, et dont il était vivement offensé'', ajoute Plutarque. Les Athéniens fuyant la ville Fuyant Rome, Metella Dalmatica est en effet venue rejoindre son mari à Athènes avec d'autres sénateurs, comme Appius Claudius Pulcher. Mais en Grèce, Metella n'est plus l'intouchable première dame de Rome. Bien au contraire! En effet, ''Metella, l'épouse de Lucius Sylla l'Heureux (il l'eut été sans sa femme!) était infidèle au vu et au su de tout le monde, et comme le dernier à l'apprendre est souvent l'intéressé, alors qu'on s'en moquait à Athènes, Sylla l'ignorait. C'est par les railleries de l'ennemi qu'il finit par apprendre les secrets de son foyer'', nous révèle Saint-Jérôme. Metella est donc constamment et copieusement insultée par les Grecs et les Pontiques assiégés. De son côté, Aristion, à l'abri des murs de la cité, ne manquait jamais de provoquer verbalement Sylla. C'est sans doute à lui que l'on doit la fameuse phrase: ''Sylla n'est qu'une mûre empreinte de farine'', en rapport avec sa peau supportant mal le soleil. Suivie certainement de bien d'autres beaucoup plus provocantes, mais que l'Histoire n'a pas retenu. Dans Athènes même, Aristion se contrefiche cependant de l'extrême détresse de ses concitoyens. ''Pendant que le médimne de blé s'y vendait mille drachmes, que les habitants n'avaient d'autre nourriture que les herbes qui croissaient autour de la citadelle, le cuir des souliers et des vases à tenir l'huile, qu'ils faisaient bouillir, Aristion, plongé dans les débauches et dans les festins, passait les jours et les nuits à danser, à rire, à railler les ennemis. Il vit avec indifférence la lampe sacrée de la déesse s'éteindre faute d'huile; et la grande-prêtresse lui ayant fait demander une demi-mesure de blé, il lui en envoya une de poivre''. Finalement, les prêtres et les notables de la ville prièrent Aristion de capituler devant Sylla. Aristion ne voulut rien entendre. ''Ce ne fut qu'à la dernière extrémité qu'il se détermina, avec beaucoup de peine, à faire porter à Sylla des propositions de paix par deux ou trois compagnons de ses débauches, qui, au lieu de parler pour le salut de la ville, ne firent dans leurs discours que louer Thésée et Eumolpe, et vanter les exploits des Athéniens contre les Mèdes. ''Grands orateurs, leur dit Sylla, allez-vous-en avec tous vos beaux discours. Les Romains ne m'ont pas envoyé à Athènes pour prendre des leçons d'éloquence, mais pour châtier des rebelles'', rapporte Plutarque. Il était désormais clair que le proconsul Lucius Cornelius Sylla n'aurait aucune pitié envers les Athéniens. Surtout, ''Il était irrité qu'ils se fussent joints aussi vite aux Barbares sans aucune raison et eussent montré une aussi violente animosité contre lui '', explique Appien. SYLLA AU PLUS BAS Avant le début de l'hiver, les sénateurs Romains ayant fuit le retour de Marius étaient venus chercher refuge dans son camp. Il leur apparaissait comme la dernière chance de vaincre la faction des démagogues. Ils lui demandaient d'en finir au plus vite avec Mithridate et de retourner à Rome pour délivrer sa patrie et venger les meurtres odieux commis par Marius. C'est sans doute à cette occasion qu'il apprit la terrible fin de Lucius Caesar. Il imagina la tête de Caesar Strabo suspendue sur les Rostres, les yeux flambants de folie de Gaius Marius. Il apprit le récit de la fuite de sa fille Cornelia et de ses petits-enfants, aidés par Mamercus Aemilius, celle de sa femme et de ses enfants, réussissant presque par miracle à arriver vivants dans son camp. Mais avant de rentrer à Rome, Sylla devait en avoir fini avec Archélaos et Mithridate. Or celui-ci lui tient tête derrière les murs du Pirée. Les combats incessants ont décimé son armée et Mithridate va lui envoyer des renforts. Sylla n'a presque plus de vivres et il dispose d'aucun navire pour attaquer ou pour se ravitailler. En outre, il ne pouvait attendre aucun secours de Rome. Au contraire: le Sénat, contrôlé par Marius et Cinna, envoyait une nouvelle armée contre lui! Aristion le narguait continuellement depuis les murs d'Athènes, et pour couronner le tout, sa femme était copieusement insultée! Sylla ne pouvait plus compter que sur le dévouement de ses officiers et de ses légionnaires. ''Il était condamné à vaincre ou à périr, et ses chances de vaincre diminuait chaque jour: si l'armée de secours arrivait en vue d'Athènes avant que Sylla s'en fut emparé, c'en était fini de lui, de son armée, de la cause de Rome en Orient et de l'aristocratie à Rome'' analyse clairement Théodore Reinach. Sylla s'acharna donc autant qu'il le pouvait à faire tomber le Pirée par la force. Il du y renoncer. La Guerre contre Mithridate était de plus en plus mal engagée pour Rome… |