Les passages se rapportant aux Mémoires de Sylla ont été réunis dans le livre d'Hermann Peter, Historicum Romanorum Reliquiae. Nous proposons ici une nouvelle version avec les fragments mis en évidence par Peter, plus d'autres que certains pensent issus de ses Commentaires.

Sylla aurait écrit les 22 livres qui composent ses Mémoires pendant les courts mois de sa retraite à Pouzzoles. Des passages de ses Commentaires, disparus à la fin de l'Antiquité, se retrouvent chez Plutarque, Aullu Gelle, Cicéron, Pline l'Ancien, Tacite ou encore Priscien selon Herman Peter. Dans ses Mémoires, Sylla s'attarde longuement sur ses hauts faits guerriers. Curieusement, presque aucun passage ne se rapporte à sa dictature, ce qui fait dire à Jérôme Carcopino, que Sylla est mort avant d'avoir eu le temps d'achever ses Mémoires. Selon Plutarque, Sylla dédia ses Mémoires à Lucullus ''car il le jugeait capable d'ordonner et de disposer mieux ces matériaux historiques''. Lucius Licinius Lucullus était en effet, outre son meilleur légat, aussi son meilleur ami à la fin de sa vie. Lucullus était en outre un homme de lettres parlant couramment le grec, et excellent orateur en latin. Cependant, selon Suétone, ce n'est pas Lucullus qui acheva de rédiger les Mémoires de Sylla, mais le secrétaire de son général, un affranchi grec du nom de Lucius Cornelius Epicadus. Il résulte qu'au final ces Mémoires sont une œuvre partiale et retravaillées, mais faute de meilleures sources d'informations sur certains faits, les auteurs antiques ont puisé abondamment dans les souvenirs de Sylla.

Des L. Cornelii Sullae Commentarii rerum gestarum, seuls 23 fragments autentifiés seraient donc parvenus jusqu'à nous. A ceux-ci nous ajoutons des passages d'Appien d'Alexandrie et de Salluste, car lorsque événements sont racontés, comme les rencontres avec Bocchus ou Mithridate, il s'agissait de conversations privés... donc, seul Sylla pouvait les rapporter...

LIVRE I

''Lucullus était pourtant un orateur exercé et en état de parler correctement les deux langues, de sorte que Sylla, quand il écrivit ses Mémoires, les lui dédia; car il le jugeait capable d'ordonner et de disposer au mieux de ces matériaux historiques''. (Plutarque, Vie de Lucullus, II)

''Cornelius Sylla, que son bonheur fit surnommer l'heureux Sylla, n'était encore qu'un bien jeune enfant porté par sa nourrice, lorsqu'une femme se présentant à lui. ''Salut! dit-elle, heureux enfant, dont la félicité fera celle de ta patrie''. Après ces paroles, elle disparut; on eut beau la chercher, on ne la trouva point'' (Aurelius Victor, De viris illustribus, LXXV).

LIVRE II

''L. Sylla dit au second livre de ses Mémoires: ''P. Cornelius, le premier qui porta le nom de Sylla, pris pour être flamine de Jupiter'' (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, Livre I, 12).

''L. Sylla, au second livre de ses Mémoires: ''S'il se peut faire que vous vous souveniez encore aujourd'hui de nous; si vous nous jugez dignes d'être vos concitoyens plutôt que vos ennemis, de combattre pour vous plutôt que contre vous, c'est un bonheur dont nous ne serons redevables ni à nos services ni à nos ancêtres'' (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, Livre XX, 6).

LIVRE III

''Cinq jours après la défaite des barbares, il y reçut une ambassade de Bocchus; on lui demandait, au nom du roi, d'envoyer à celui-ci deux hommes de confiance, pour conférer avec lui sur ses intérêts et ceux du peuple romain. Marius lui adresse tout de suite L. Sylla et A. Manlius qui, bien qu'appelés par le roi, décident de prendre les premiers la parole: ainsi pourraient-ils modifier les intentions de Bocchus, s'il demeurait hostile, ou accroître son ardeur, s'il désirait vraiment la paix. Manlius, plus âgé, céda pourtant la parole à Sylla, plus habile, orateur, qui prononça ces quelques mots: "Roi Bocchus, c'est une grande joie pour nous de voir qu'un homme de ta valeur a eu, grâce aux dieux, l'heureuse inspiration de préférer enfin la paix à la guerre, de ne pas salir ta haute probité au contact d'un criminel comme Jugurtha, et de ne pas nous réduire à la dure nécessité de punir aussi rigoureusement ta faute que sa scélératesse. Depuis les temps de son humble origine, Rome a mieux aimé se donner des amis que des esclaves, et il lui a paru plus sûr de faire accepter que d'imposer son autorité. A toi rien ne peut mieux convenir que notre amitié, d'abord, parce que nous sommes loin de toi, et qu'ainsi les frictions seront réduites au minimum, tandis que les occasions de te faire du bien seront aussi nombreuses que si nous étions voisins; et puis parce que, si nous avons assez de sujets, personne, pas même nous, n'a jamais eu assez d'amis. Plût aux dieux que tels eussent été, dès le début, tes sentiments! Tu aurais, jusqu'à ce jour, reçu du peuple romain plus de bienfaits qu'il ne t'a fait de mal. Mais les choses humaines sont, d'ordinaire, régies par le hasard, qui a jugé bon de te faire éprouver et notre force et notre générosité; aujourd'hui, puisque tu peux expérimenter notre bienveillance, hâte-toi et poursuis comme tu as commencé. Tu as plusieurs moyens, bien à ta portée, de nous rendre des services qui effaceront tes fautes. Au demeurant, mets-toi bien dans l'esprit que jamais Rome ne s'est laissé vaincre en bienfaits quant à la force de ses armes, tu la connais par expérience."

A ces propos Bocchus répond avec douceur et affabilité; il dit quelques mots pour expliquer sa faute: ce n'est pas par hostilité, mais pour défendre son royaume qu'il a pris les armes. La partie de la Numidie d'où il a jadis expulsé Jugurtha, est, de par les droits de la guerre, devenue sienne; il ne pouvait permettre à Marius de la ravager. De plus, Rome avait repoussé autrefois les propositions d'amitié qu'il lui avait faites. Mais il était disposé à oublier le passé; et il était prêt aujourd'hui, si Marius le jugeait bon, à envoyer une délégation au Sénat'' (Salluste, Guerre de Jugurtha, CII).

''Volux arrive, aborde le questeur, lui dit que son père Bocchus l'a envoyé au-devant de lui pour lui constituer une garde. Ce jour-là et le suivant, ils font route ensemble et marchent sans crainte. Puis, au moment où l'on vient d'établir le camp et où le soir tombe, tout à coup le Maure se précipite vers Sylla, le visage angoissé et tout tremblant; il dit avoir appris par des éclaireurs que Jugurtha est tout près; il demande à Sylla, il le presse de fuir secrètement avec lui pendant la nuit. Sylla refuse fièrement: il ne craint pas le Numide, qu'il a tant de fois battu; il a confiance dans le courage de ses soldats; même si la défaite était certaine, il resterait, plutôt que de trahir ceux dont il est le chef et de chercher par une fuite honteuse à sauver une vie dont peut-être dans quelques jours la maladie aura raison. Aussi bien, puisque Volux conseille de partir la nuit, se range-t-il à cet avis'' (Salluste, Guerre de Jugurtha, CVI).

''C'était le sentiment de Sylla: pourtant il défend le Maure contre toute violence. Aux siens il demande de se montrer courageux: souvent dans le passé quelques braves ont triomphé d'une foule d'adversaires; moins ils se ménageront dans le combat, plus ils seront en sûreté; n'est-ce pas une honte, quand on a des armes en mains, de chercher son salut dans les jambes, qui, elles, ne sont pas armées, et, parce qu'on a peur, de tourner vers l'ennemi un corps nu et aveugle. Et, puisque Volux agit comme un ennemi, il prend Jupiter tout-puissant à témoin du crime et de la perfidie de Bocchus, et ordonne à son fils de quitter le camp. Volux, tout en larmes, le supplie de n'en rien croire: il n'y a pas d'embûches; tout vient de l'esprit rusé de Jugurtha, qui a sans doute connu par ses éclaireurs le chemin suivi par Volux; mais comme il n'a que des troupes peu nombreuses et que toutes ses espérances et ses ressources dépendent de Bocchus, Volux croit bien que Jugurtha n'osera rien faire ouvertement, quand il verra son fils devant lui! Aussi lui semble-t-il que le parti le meilleur est de traverser carrément le camp du Numide. Lui-même enverra ses Maures en avant ou les laissera en arrière, et il marchera seul à côté de Sylla. Dans ces délicates conjonctures, cette proposition est adoptée. Immédiatement, ils partent, leur arrivée inattendue surprend et fait hésiter Jugurtha; ils passent sans dommage. Peu de jours après, ils arrivent où ils se proposaient d'aller'' (Salluste, Guerre de Jugurtha, CVII).

''Sylla répondit que, devant Aspar, il parlerait peu, mais compléterait sa pensée dans une réunion secrète, avec Bocchus seul ou peu accompagné. Il indiqua en même temps à celui-ci la réponse qu'il devrait lui faire. La réunion se tint comme il l'avait voulu. Sylla dit que le consul l'avait envoyé pour savoir si l'on voulait la paix ou la guerre. Le roi, conformément à la leçon qui lui avait été faite, le pria de revenir dix jours plus tard, rien n'étant encore décidé pour le moment; ce jour-là, il répondrait. Tous deux retournent chacun dans leur camp. Mais dans la seconde partie de la nuit, Bocchus mande secrètement Sylla; ils n'ont auprès d'eux que des interprètes sûrs, et ils prennent comme intermédiaire Dabar, que sa probité rend vénérable et qu'ils agréent tous deux. Et tout de suite, le roi commence en ces termes: "Je n'avais jamais pensé que le plus grand roi de ces régions, le premier de tous ceux que je connais, pût avoir un jour à rendre grâces à un simple particulier. Oui, Sylla, avant de te connaître, j'ai souvent accordé mon appui, soit sur demande, soit spontanément, mais je n'ai jamais eu besoin de l'aide de personne. Ce changement à mon détriment, qui en affligerait d'autres, est une joie pour moi. Ce qui a pu manquer, je l'ai obtenu de ton amitié, qui m'est plus chère que tout. Tu peux en faire l'expérience. Armes, soldats, argent, bref tout ce que tu peux concevoir, prends-le, uses-en; si longtemps que tu doives vivre, tu n'épuiseras jamais ma gratitude, qui demeurera toujours entière; dans la mesure où cela dépendra de moi, tu ne désireras rien en vain. J'estime qu'un roi perd moins à être vaincu à la guerre qu'en générosité. Quant à la question politique, que l'on t'a envoyé traiter ici, voici ma réponse, très brève. Je n'ai ni fait, ni jamais voulu faire la guerre à Rome, j'ai simplement défendu par les armes mes frontières contre des gens qui les attaquaient les armes à la main. Mais je passe, puisque vous le voulez, vous autres Romains. Faites à votre gré la guerre à Jugurtha. Moi, je ne franchirai pas la Mulucha, qui séparait du mien le royaume de Micipsa, et je ne permettrai pas à Jugurtha de la traverser. Si maintenant tu as à me faire une demande digne de moi et de Rome, je ne te laisserai pas partir sans une réponse favorable" (Salluste, Guerre de Jugurtha, CIX, CX)

''Sylla répondit brièvement et avec réserve à ce qui, dans ces paroles, lui était personnel; sur la paix et sur les questions générales, il fut plus long. En bref, il indiqua clairement au roi que le Sénat et le peuple romain, étant vainqueurs, lui sauraient peu de gré de ses belles promesses; il faudrait qu'il fît quelque chose où l'intérêt de Rome trouvât mieux son compte que le sien propre; et c'était chose aisée, puisqu'il avait Jugurtha à sa disposition: qu'il le livrât aux Romains, et ceux-ci seraient alors vraiment ses débiteurs: il obtiendrait tout de suite un traité d'amitié et la partie de la Numidie qu'il revendiquait. Tout d'abord, le roi refuse et insiste sur son refus il allègue la parenté, l'alliance des deux familles, les traités signés, et puis il peut craindre qu'un manquement à la parole donnée ne lui aliène ses sujets qui sympathisent avec Jugurtha et détestent les Romains. Enfin sa résistance, battue et rebattue en brèche, s'amollit, et il finit par promettre à Sylla de tout faire à son gré'' (Salluste, Guerre de Jugurtha, CXI).

LIVRE IV

''Bientôt Sylla, à qui Catulus confia les entreprises les plus importantes, acquit autant de puissance que de renommée. Il soumit la plupart des Barbares qui habitaient les Alpes; et, l'armée romaine ayant manqué de vivres, Sylla, chargé par Catulus du soin d'en procurer, en fit venir une si grande abondance, que les soldats de Catulus en eurent au delà de leurs besoins, et en fournirent à ceux de Marius: circonstance qui mortifia singulièrement Marius, si l'on en croit ce que dit Sylla lui-même'' (Plutarque, Vie de Sylla, IV).

''Les deux partis arrivèrent au jour marqué, et se mirent en bataille. Catulus commandait vingt mille trois cents hommes, et Marius trente-deux mille. Celui-ci partagea les siens en deux corps sur les ailes, et enferma Catulus au centre, suivant le récit de Sylla, qui assistait à cette bataille. Marius, écrit- il, espérait engager le combat par les extrémités, aux deux ailes, de manière que tout l'honneur de la victoire revint à ses propres troupes, sans que Catulus pût prendre part à l'engagement ni atteindre l'ennemi, parce qu'ordinairement le centre se replie en croissant lorsque les lignes ont tant d'étendue; et c'est dans ce dessein qu'il avait ainsi disposé les deux armées'' (Plutarque, Vie de Marius, XXVI).

''On dit que Marius, ayant offert un sacrifice, et voyant les entrailles qu'on lui présentait, s'écria à haute voix: ''La victoire est à moi!'' Cependant, au moment de la charge, il survint un accident qui était, au rapport de Sylla, une vengeance divine contre Marius. II s'éleva, comme cela ne pouvait manquer, un immense nuage de poussière, tellement que les deux armées se perdirent de vue; et Marius, entraînant après lui la sienne dans la direction par où il avait d'abord suivi les ennemis, les manqua, et, passant à côté de leur infanterie, il erra longtemps par la plaine. Pendant ce temps-là, le hasard porta les Barbares sur Catulus, et c'est lui qui soutint tout leur effort, seul avec ses troupes, dans lesquelles Sylla dit qu'il se trouvait'' (Plutarque, Vie de Marius, XXVII).

LIVRE V

''Sylla, estimant que la gloire qu'il avait acquise par les armes lui suffisait pour arriver aux dignités civiles, passa des emplois de l'armée aux brigues populaires, et se mit sur les rangs pour la préture urbaine; mais il fut refusé, échec dont il attribua la cause à la populace. Ces gens, dit-il, qui savaient ses liaisons avec Bocchus, et qui s'attendaient qu'en le nommant édile avant de le faire préteur il donnerait des spectacles magnifiques de chasses et des combats de bêtes d'Afrique, nommèrent d'autres préteurs, dans l'espérance qu'ils le forceraient à demander l'édilité'' (Plutarque, Vie de Sylla, V).

''Il avait été le premier des Romains à recevoir les ambassadeurs des Parthes; il avait consulté quelques-uns d'entre eux qui étaient mages et ils répondirent que certaines marques imprimées sur son corps indiquaient qu'il égalerait les dieux avant et après sa mort'' (Velleius Paterculus, Histoire Romaine, Livre II, XXIV)

LIVRE VI

''De même nous voyons consigné dans l'histoire de Sylla un fait dont tu as été témoin: il offrait un sacrifice dans le territoire de Nola devant son prétoire et soudain à la base de l'autel apparut un serpent; l'haruspice C. Postumius demanda au chef de mettre l'armée en marche. Sylla le fit et devant la ville de Nola il s'empara du camp occupé par l'élite des Samnites'' (Cicéron, De la Divination, I, 33).

''L. Cornelius Sylla, qui, entre autres brillants exploits, battit complètement les troupes nombreuses du général ennemi Cluentius et, de toute son armée, ne perdit, lui, qu'un seul homme'' (Eutrope, Abrégé d'Histoire Romaine, Livre V, II).

''Le dictateur Sylla a écrit qu'étant légat dans la guerre des Marses, la couronne de gazon lui fut décernée par l'armée, près de Nola. Il fit même peindre cet événement dans sa villa de Tusculum, qui appartint plus tard à Cicéron'' (Pline, Histoire Naturelle, XXII, 12).

''Il a même écrit, dans ses Mémoires, que les actions qu'il avait hasardées contre ses propres combinaisons et ses mesures, et en se décidant d'après les circonstances, lui avaient toujours mieux réussi que celles dont il avait mûrement délibéré l'exécution. ''J'étais né, ajoute-t-il, bien mieux pour la Fortune que pour la guerre'' (Plutarque, Vie de Sylla, VI).

''Dans ses Mémoires, il conseille à Lucullus, à qui ils sont dédiés, de ne tenir rien si certain que ce que les dieux lui auraient révélé en songe pendant la nuit. Il lui raconte que, lorsqu'il fut envoyé avec l'année romaine à la guerre sociale, il se fit, près de Laverna, une large fente dans la terre, et qu'il jaillit de cette ouverture un grand feu, dont la flamme monta resplendissante vers le ciel; et que les devins, expliquant ce prodige, annoncèrent qu'un vaillant homme, d'une beauté admirable, parvenu à l'autorité souveraine, délivrerait Rome des troubles qui l'agitaient. ''Cet homme, ajoute Sylla, c'était moi-même, parce que j'avais ce trait de beauté remarquable, que mes cheveux étaient blonds comme l'or; et je puis sans rougir m'attribuer le nom de vaillant, après de si beaux et de si grands exploits'' (Plutarque, Vie de Sylla, VI).

LIVRE VII

''Il avait pour concurrent Marius; l'ambition et la folie de la gloire, passions qui ne vieillissent jamais, faisaient oublier à Marius ses infirmités corporelles et son grand âge; et celui qui n'avait pu mener jusqu'au bout les dernières expéditions d'Italie, brûlait de faire la guerre loin de Rome, et par delà les mers. Il profita de l'absence de Sylla, qui était retourné, à son camp terminer un reste d'affaires, pour tramer dans Rome cette sédition funeste, qui causa plus de maux aux Romains que toutes les guerres qu'ils avaient eu jusqu'alors à soutenir.

Les dieux l'annoncèrent par divers prodiges. Le feu prit spontanément au bois des piques qui soutenaient les enseignes, et l'on eut beaucoup de peine à l'éteindre. Trois corbeaux apportèrent dans la ville leurs petits; et, après les avoir dévorés en présence de tout le monde, ils en remportèrent les restes dans leurs nids. Des souris ayant rongé de l'or consacré dans un temple, les gardiens de cet édifice sacré en prirent une dans une souricière, où elle fit cinq petits et en dévora trois. Mais le signe le plus frappant, c'est que, dans un ciel serein et sans nuages, on entendit une trompette qui rendait un son si aigu et si lugubre, que tous se sentirent éperdus et frissonnants à ce bruit terrible. Les devins d'Étrurie, consultés sur ce prodige, répondirent qu'il annonçait un nouvel âge qui changerait la face du monde.

''En effet, disaient-ils, huit races d'hommes doivent remplir la durée des siècles, différant entre elles par leurs mœurs et leurs genres de vie. Dieu a marqué à chacune de ces races un temps préfix, limité par la période de la grande année; et, lorsqu'une race finit et qu'il s'en élève une autre, le ciel ou la terre en donnent le signal par quelque mouvement extraordinaire; de façon que les hommes versés profondément dans ces études connaissent à l'instant même qu'il est né une espèce d'hommes qui ont d'autres mœurs, d'autres manières de vivre, et dont les dieux prennent plus ou moins de soin que de ceux qui les ont précédés. Dans ces renouvellements de races, de grands changements se font sentir, ajoutaient-ils; et l'un des plus sensibles, c'est l'accroissement d'estime et d'honneur qu'obtient, dans telle race, la science de la divination: toutes ses prédictions se vérifient; les dieux font connaître, par des signes clairs et certains, tout ce qui doit arriver; au lieu que dans telle autre race cette science est généralement méprisée: la plupart des prédictions se font précipitamment sur de simples conjectures, et la divination n'a, pour connaître l'avenir, que des moyens obscurs et des traces presque effacées''. Voilà ce que débitaient les plus habiles devins de l'Étrurie, ceux qui passaient pour les mieux instruits. Pendant que le Sénat était assemblé dans le temple de Bellone, conférant avec les devins sur ces prodiges, on vit tout à coup un passereau voler au milieu de l'assemblée, portant dans son bec une cigale, qu'il partagea en deux: il en laissa tomber une partie dans le temple, et s'envola avec l'autre. Les interprètes des présages dirent que ce prodige leur faisait craindre une sédition entre les possesseurs de terres et le peuple de la ville et du Forum; car celui-ci crie toujours comme le passereau, et les paysans vivent aux champs, comme les cigales" (Plutarque, Vie de Sylla, VII)

''Sylla rapporte lui-même, dans ses Mémoires, non pas qu'il se soit réfugié auprès de Marius, mais qu'il y fut amené pour délibérer sur un décret que Sulpicius lui arracha de force, en l'environnant d'épées nues, et après l'avoir chassé devant lui jusque chez Marius; qu'ensuite ils le ramenèrent sur le Forum, et qu'il y dut faire ce qu'ils demandaient: c'était de casser le décret par lequel son collègue et lui avaient suspendu la justice'' (Plutarque, Vie de Marius, XXVI).

''Dans sa harangue à son armée, Sylla ne parla que de l'injure qu'il recevait de la part de Sulpicius et de Marius. Il ne s'expliqua ouvertement sur rien de plus, car il n'osa point proposer la guerre contre ses ennemis. Il se contenta d'inviter son armée à être prête à marcher au premier ordre'' (Appien d'Alexandrie, Guerre Civile, Livre I, LVII).

''Sylla partit de Nola avec son collègue, à la tête de six légions complètes; mais, bien que l'armée brûlât d'impatience d'aller à Rome, il demeura quelque temps en balance: il ne savait quel parti prendre, et n'était pas sans crainte sur le péril auquel il s'exposait. Il fit d'abord un sacrifice; et le devin Postumius, après avoir examiné les présages, présenta ses deux mains à Sylla, le priant de les lui lier et de le tenir prisonnier jusqu'après la bataille, et s'offrant à endurer le dernier supplice, si l'entreprise n'était pas suivie d'un prompt et heureux succès. On dit aussi que Sylla vit lui-même apparaître en songe une déesse que les Romains adorent, et dont ils ont emprunté le culte aux Cappadociens: cette déesse, soit la lune, ou Minerve, ou Bellone, Sylla crut la voir debout devant lui, qui lui mettait la foudre en main, et lui ordonnait d'en frapper ses ennemis, qu'elle lui nommait les uns après les autres. Et ceux-ci tombaient sous les coups de Sylla, et disparaissaient à l'instant'' (Plutarque, Vie de Sylla, IX).

LIVRE VIII

''On raconte que, vers le temps que Sylla fit voile d'Italie pour cette expédition, Mithridate, qui était alors à Pergame, reçut des dieux plusieurs avertissements, et entre autres celui-ci. Les Pergamiens avaient fait faire une statue de la Victoire qui portait dans sa main une couronne, et qui, par le moyen d'une machine, devait descendre sur la tête de Mithridate. Au moment où elle allait le couronner, la couronne tomba, et roula à terre par le théâtre. Cet accident jeta l'effroi parmi le peuple; Mithridate se sentit tout découragé'' (Plutarque, Vie de Sylla, XI).

''Pour fournir aux frais immenses de cette guerre, il n'épargna pas même les plus inviolables temples de la Grèce. Il fit enlever d'Épidaure et d'Olympie les plus belles et les plus riches offrandes. Il écrivit aux Amphictyons, à Delphes; qu'on ferait bien de lui envoyer les trésors du dieu; qu'ils seraient plus sûrement entre ses mains; ou que, s'il était forcé de s'en servir, il leur en rendrait la valeur. Il leur dépêcha un de ses amis, le Phocéen Caphis, avec ordre de peser tout ce qu'il prendrait. Caphis, arrivé à Delphes, n'osait toucher à ces dépôts sacrés; et, pressé par les instantes prières des Amphictyons, il fondit en larmes, déplorant la nécessité qui lui était imposée. Quelques-uns lui dirent alors qu'ils entendaient, au fond du sanctuaire, résonner la lyre d'Apollon; et Caphis, soit qu'il le crût réellement, soit qu'il voulût jeter dans l'âme de Sylla une terreur religieuse, lui écrivit pour l'en avertir. Sylla fit une réponse moqueuse. Il s'étonnait, disait-il, que Caphis ne comprit pas que le chant était un signe de joie et non pas de colère. Aussi lui enjoignit-il de tout prendre sans crainte, alléguant que le dieu voyait avec plaisir enlever ses richesses et en faisait l'abandon'' (Plutarque, Vie de Sylla, XII).

''Pendant que Sylla assiégeait le Pirée, un de ses soldats, qui portait des matériaux de retranchements, fut tué par la foudre. Comme la tête du mort était tournée du côté de la ville, l'aruspice déclara que les Romains y entreraient vainqueurs, après un long siège'' (Julius Obsequens, Des prodiges, CXVI).

''Ce ne fut qu'à la dernière extrémité qu'il [Aristion] se détermina, avec beaucoup de peine, à faire porter à Sylla des propositions de paix par deux ou trois compagnons de ses débauches, qui, au lieu de parler pour le salut de la ville, ne firent dans leurs discours que louer Thésée et Eumolpe, et vanter les exploits des Athéniens contre les Mèdes. ''Grands orateurs, leur dit Sylla, allez-vous-en avec tous vos beaux discours. Les Romains ne m'ont pas envoyé à Athènes pour prendre des leçons d'éloquence, mais pour châtier des rebelles'' (Plutarque, Vie de Sylla, XIII).

''Le premier qui monta sur la muraille, au rapport de Sylla lui-même dans ses Mémoires, Marcus Téius, porta sur le casque de l'ennemi qui lui faisait tête un coup si rudement asséné que l'épée se rompit en deux; mais, tout désarmé qu'il était, il ne quitta point la place, il s'y tint ferme, et refoula devant lui son adversaire'' (Plutarque, Vie de Sylla, XIV).

''Il prit Athènes, écrit-il lui-même dans ses Mémoires, le jour des calendes de mars'' (Plutarque, Vie de Sylla, XIV).

LIVRE IX

''Après qu'ils eurent opéré leur jonction, ils s'établirent au milieu de la plaine d'Élatée, sur une colline fertile, couverte d'arbres, et dont le pied est baigné par un ruisseau; elle s'appelle Philobéote: Sylla en vante merveilleusement l'assiette et la nature'' (Plutarque, Vie de Sylla, XVI).

''Sylla, qui frémissait d'indignation de voir des villes périr sous ses yeux, ne voulut pas du moins laisser chômer ses soldats: pour les occuper, il les obligea de détourner le cours du Céphise, et d'ouvrir de grandes tranchées. Il n'exemptait personne du travail; il les surveillait lui-même, et châtiait avec la dernière sévérité ceux qui se relâchaient, afin qu'excédés de fatigue, ils préférassent à ces travaux pénibles le danger d'un combat. C'est aussi ce qui arriva. Il y avait trois jours que durait l'ouvrage, lorsque Sylla visitant les travailleurs, tous le prièrent à grands cris de les mener au combat. Il répondit qu'il voyait dans leur demande bien moins le désir de marchera l'ennemi que le dégoût du travail. ''Du reste, ajouta-t-il, si vous avez réellement la bonne volonté de combattre, vous n'avez qu'à prendre sur-le-champ vos armes, et à aller vous emparer de ce poste''. Il leur montrait de la main le lieu qu'occupait autrefois la citadelle des Parapotamiens, et qui, depuis que la ville avait été ruinée, n'était plus qu'une colline escarpée, couverte de rochers, et séparée du mont Édylium par la rivière d'Assus. L'Assus, au pied même de la colline, se joint au Céphise; et la rapidité du cours d'eau formé par les deux fleuves faisait de cette élévation un poste très sûr pour y asseoir un camp. Sylla, qui vit les chalcaspides des ennemis s'élancer sur ce point, voulut les prévenir et se saisir le premier de la colline; et il en vint à bout, par l'ardeur dont les soldats étaient animés'' (Plutarque, Vie de Sylla, XVI).

LIVRE X

''Cependant les Romains recevaient chaque jour de Lébadée et de Trophonius des bruits favorables, et des oracles qui leur annonçaient la victoire. Les habitants du lieu en font mille récits; mais Sylla, dans le dixième livre de ses Mémoires, dit seulement qu'après qu'il eut gagné la bataille de Chéronée, Quintus Titius, un des négociants les plus considérables de la Grèce, vint le trouver, et lui annonça que Trophonius lui promettait dans peu de jours, et au même endroit, une seconde bataille et une seconde victoire. Il ajoute qu'après celui-là, un soldat légionnaire, nommé Salvénius, lui prédit, de la part du dieu, le succès qu'auraient ses affaires d'Italie. Tous les deux racontaient de la même manière l'apparition divine: ils assuraient avoir vu une figure d'une grandeur et d'une beauté pareilles à celles de Jupiter Olympien'' (Plutarque, Vie de Sylla, XVII).

''Il se fit dans la plaine un grand carnage de Barbares; un plus grand nombre furent taillés en pièces en voulant regagner leur camp; et, de tant de milliers d'ennemis, il n'en échappa que dix mille, qui s'enfuirent à Chalcis. Sylla dit que dans son armée il ne manqua que quatorze hommes, dont deux même revinrent le soir au camp. Aussi fit-il graver sur les trophées: A Mars, à la Victoire et à Vénus, pour montrer qu'il devait ce succès-à son bonheur non moins qu'à sa capacité et à son courage'' (Plutarque, Vie de Sylla, XIX).

LIVRE XI

''Quand Mithridate entendit parler de la défaite d'Orchomène, il se mit à réfléchir sur l'énorme quantité d'hommes qu'il avait envoyés en Grèce depuis le début, et le désastre continuel et rapide qui s'en était suivis. C'est pourquoi il envoya une lettre à Archélaos afin de proposer la paix aux meilleures conditions possibles. Ce dernier eut une entrevue avec Sylla au cours de laquelle il dit: ''Alors que l'amitié régnait avec vous depuis des générations, ô Sylla, l'avidité d'autres généraux romains a fait entrer Mithridate en guerre; mais ta valeur le fera consentir à un réglement négocié, si tu dictes les conditions équitables" (Appien d'Alexandrie, Guerre Mithridatique, LIV)

[ Sylla dit] ''Si une injustice a été faite à Mithridate, Archélaos, il aurait dû envoyer une ambassade pour exposer ses griefs. Au lieu de cela, il s'est mis dans son tort en s'emparant d'un si vaste territoire qui appartenait à d'autres, tuant un si grand nombre de personnes, s'emparant des biens publics et des fonds sacrés des villes, et confisquant les biens de ses victimes. Il a usé autant de la même perfidie envers ses propres amis qu'envers nous, il en a fait mettre beaucoup à mort, y compris les tétrarques qu'il avait invités à un banquet, ainsi que leurs épouses et leurs enfants bien qu'ils n'eussent commis aucun acte hostile. Envers nous, il a manifesté une hostilité viscérale, plus grande que ne nécessitaient les aléas de la guerre, infligeant toutes les calamités possibles aux Italiens dans l'ensemble de l'Asie, torturant et assassinant tous les Italiens ainsi que leurs épouses, leurs enfants et leurs esclaves. Voilà la haine que portait cet homme contre l'Italie, qui feint maintenant l'amitié pour mon père, amitié dont il ne se souvenait plus avant que je n'eusse anéanti cent soixante mille hommes. Au lieu de traiter de paix avec lui, nous devrions être absolument implacables, mais dans votre intérêt, je m'engage à obtenir son pardon à Rome s'il se repent réellement. Mais s'il fait encore l'hypocrite, je te conseille, Archélaos, de t'occuper de toi-même et de considérer comment se passent actuellement les choses entre toi et lui. Considère comment il a traité ses autres amis et comment nous avons traité Eumène et Masinissa'' (Appien d'Alexandrie, Guerre Mithridatique, LIV-LV).

''Sylla répondit: ''Si Mithridate me livre toute la flotte dont tu disposes, s'il rend nos généraux, nos ambassadeurs et tous les prisonniers, déserteurs et esclaves fugitifs, et s'il renvoie en outre chez eux les habitants de Chios et tous les autres qu'il a déportés dans le Pont, s'il retire ses garnisons de tous les endroits sauf celles qu'il avait avant le début des hostilités, s'il paye le coût de la guerre qu'il a lui même déclarée, et s'il se contente de ses possessions héréditaires, j'espère persuader les Romains d'oublier les dommages qu'il a causés'' (Appien d'Alexandrie, Guerre Mithridatique, LV).

''Archélaos étant tombé malade à Larisse, Sylla suspendit la marche de l'armée, et eut pour lui les mêmes soins que si c'eût été un de ses lieutenants ou de ses collègues. Cette conduite fit calomnier sa bataille de Chéronée: on soupçonna qu'il n'avait pas combattu avec des armes loyales; et ce qui fortifia ce soupçon, c'est qu'après avoir rendu tous les autres amis de Mithridate qu'il avait parmi ses prisonniers, il fit mourir par le poison le seul tyran Aristion, parce qu'il était l'ennemi d'Archélaos ; ce fut surtout le don qu'il fit au Cappadocien de dix mille plèthres de terre dans l'Eubée, et le titre qu'il lui conféra d'ami et d'allié du peuple romain. Mais Sylla, dans ses Mémoires, se disculpe de ces imputations'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXIII).

''Cependant il vint à Larisse des ambassadeurs de Mithridate, qui déclarèrent accéder à toutes les conditions du traité, excepté celle qui regardait la Paphlagonie, dont ils demandaient à rester en possession, et l'obligation de livrer les navires, à laquelle Mithridate ne pouvait se résoudre. ''Que dites-vous? répondit Sylla d'un ton de colère; Mithridate veut conserver la Paphlagonie et refuse de livrer les vaisseaux, lui que je devrais voir à mes pieds me remercier de ce que je lui laisse cette main droite qui a fait périr tant de Romains! Il tiendra certes un autre langage avant peu, quand je serai passé en Asie. Maintenant qu'il vit dans le repos à Pergame, il peut à son aise faire ses plans de campagne pour une guerre qu'il n'a seulement pas vue''. Les ambassadeurs, effrayés, n'osèrent pas répliquer; mais Archélaos intercéda auprès de Sylla: il lui prit la main, l'arrosa de ses larmes, et vint à bout d'adoucir sa colère. Il finit par le persuader de le renvoyer auprès de Mithridate, en l'assurant qu'il lui ferait ratifier la paix aux conditions proposées, ou que, s'il ne pouvait l'y faire consentir, il se tuerait de sa propre main'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXIII).

''Mithridate, dit Sylla, ignores-tu que ceux qui requièrent quelque chose des autres doivent parler les premiers, et que les vainqueurs n'ont rien à faire qu'à écouter en silence?'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXIV).

''Sylla l'interrompant: ''J'avais entendu dire depuis longtemps, dit-il, que Mithridate était un homme d'une éloquence consommée; mais je le reconnais aujourd'hui moi-même, en voyant avec quelle abondance il a su trouver des paroles spécieuses, pour déguiser les actions les plus cruelles et les plus injustes'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXIV).

''Quand Mithridate finit de parler, Sylla répondit : ''Bien que tu m'aies appelé ici, dit-il, dans un autre but, à savoir, accepter nos conditions de paix, je ne refuserai pas de parler brièvement de ces sujets. J'ai remis Ariobarzane sur le trône de Cappadoce par décret du Sénat quand j'étais gouverneur de Cilicie, et tu as obéi au décret. Tu aurais pu t'opposer à lui et en donner tes raisons ou alors rester en paix pour toujours. Manius t'a donné la Phrygie par concussion, ce qui était un crime de notre part. Par le fait même que tu l'as obtenu par corruption, tu admets que tu n'y avais aucun droit. Manius a été convaincu à Rome d'avoir agi pour de l'argent, et le Sénat a tout annulé. Pour cette raison, il a décidé de faire de la Phrygie, qui t'avait été donnée à tort, non une tributaire de Rome, mais de lui donner la liberté. Si nous, qui l'avons prise par guerre, nous ne jugeons pas bon de la gouverner, de quel droit pourrais-tu l'obtenir? Nicomède t'accuse d'avoir envoyé contre lui un assassin du nom d'Alexandre, et puis Socrates Chrestus, pour lui disputer son royaume, et dit que c'était pour venger ces maux qu'il avait envahi ton territoire. Cependant, s'il te faisait du tort, tu aurais dû envoyer une ambassade à Rome et attendre une réponse. Mais bien que tu te sois vengé rapidement de Nicomède, pourquoi as-tu attaqué Ariobarzane, qui ne t'avait rien fait? Quand tu l'as bouté hors de son royaume, tu as obligé les Romains qui étaient là, à le remettre sur son trône. En les empêchant de le faire, tu as fait une déclaration de guerre. Cette guerre, tu la méditais depuis longtemps parce que tu espérais gouverner le monde entier si tu arrivais à battre les Romains, et les raisons que tu donnais étaient des prétextes pour cacher tes véritables intentions. La preuve de tout cela, c'est que toi, bien que tu ne fusses pas encore en guerre avec aucune nation, tu recherchais l'alliance des Thraces, des Sarmates et des Scythes, tu recherchais l'aide des rois voisins, tu construisais une marine et tu enrôlais des pilotes et des hommes de barre.

Le moment que tu as choisi démontre surtout ta trahison. Quand tu as entendu que l'Italie s'était révoltée contre nous, tu as saisi l'occasion alors que nous étions occupés, pour tomber sur Ariobarzane, Nicomède, la Galatie, la Paphlagonie, et finalement sur notre province asiatique. Quand tu t'en es emparé, tu as commis toutes sortes d'exactions sur les villes, nommant des esclaves et des débiteurs à la tête de certaines d'entre elles, libérant des esclaves et supprimant les dettes dans d'autres. Dans les villes grecques, tu as fait tuer mille six cents hommes sur de fausses accusations. Tu as invité les tétrarques de Galatie à un banquet et tu les as fait exécuter. Dans la même journée, tu as envoyé à la boucherie ou tu as fait noyer tous les résidents de sang italien, y compris les mères et les enfants, n'épargnant même pas ceux qui s'étaient réfugiés dans les temples. Quelle cruauté, quelle impiété, quelle haine illimitée n'as-tu pas manifestées envers nous! Après avoir confisqué les biens de toutes tes victimes, tu t'es dirigé vers l'Europe avec de grandes armées bien que nous eussions interdit l'invasion de l'Europe à tous les rois de l'Asie. Tu as envahi notre province de Macédoine et tu as privé les Grecs de leur liberté. Tu n'as commencé à te repentir et tu n'as demandé à Archélaos d'intervenir en ta faveur que quand j'ai repris la Macédoine et la Grèce livrées à ta violence, tué cent soixante mille de tes soldats, et pris tes camps avec tout leur matériel. Je suis étonné que tu veuilles maintenant chercher à justifier les actes pour lesquels tu as demandé le pardon par l'intermédiaire d'Archélaos. Si tu me craignais à distance, penses-tu que je sois venu près de toi pour avoir une discussion? Le moment de celle-ci est passé quand tu as pris les armes contre nous, et nous avons vigoureusement repoussé tes assauts et nous les repousserons jusqu'au bout'' (Appien d'Alexandrie, Guerre Mithridatique, LVII, LVIII).

LIVRE XII

''Sylla sentait que ses soldats étaient mécontents de cette paix; et en effet, ils s'indignaient qu'un roi, le plus mortel ennemi de Rome, qui en un seul jour avait fait égorger cent cinquante mille Romains répandus dans l'Asie, s'en retournât paisiblement dans ses États, chargé de richesses et des dépouilles de cette Asie où il n'avait cessé, durant quatre années, de faire du butin et de lever des contributions. Mais Sylla se justifiait auprès d'eux en leur disant qu'il n'aurait pu résister aux forces réunies de Fimbria et de Mithridate, s'ils s'étaient coalisés ensemble contre lui'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXV).

''Sylla, ayant besoin de navires, envoya des ambassadeurs à Rhodes pour les obtenir, mais les Rhodiens ne pouvaient pas lui en envoyer parce que Mithridate tenait la mer. Il ordonna alors à Lucullus, un noble romain qui plus tard remplaça Sylla comme commandant de cette guerre, de se rendre secrètement à Alexandrie et en Syrie, et d'obtenir une flotte des rois et des villes maritimes, et de ramener avec elle le contingent naval des Rhodiens. Lucullus n'eut aucune crainte de la flotte ennemie. Il s'embarqua dans un vaisseau rapide et changeant sans cesse de navire afin de cacher ses mouvements, il arriva à Alexandrie'' (Appien d'Alexandrie, Mithridatique, XXXIII).

''Le jeune Roi Ptolémée, entre autres marques extraordinaires de bienveillance, lui fournit le logement et la nourriture dans les palais royaux, où jamais encore un général étranger n'était descendu. Quant aux dépenses et aux frais de séjour, loin de se borner à la somme assignée d'ordinaire pour les hôtes, il donna le quadruple; mais Lucullus n'accepta rien de plus que le nécessaire et ne voulut pas recevoir de présents, quoique le Roi lui eût envoyé la valeur de quatre-vingts talents. On rapporte qu'il ne fit pas le voyage de Memphis et ne voulut voir aucune des merveilles si renommées de l'Égypte: ''Ces curiosités, dit-il, sont bonnes pour un spectateur oisif, qui fait un voyage d'agrément, et non pour quelqu'un qui a, comme moi, laissé son général en chef campant à la belle étoile devant les créneaux de l'ennemi'' (Plutarque, Vie de Lucullus, IV).

LIVRE XIII

''Après cela, une proclamation fut envoyée aux principaux citoyens, leur enjoignant de venir à Éphèse au jour fixé pour rencontrer Sylla. Quand ils furent présents, Sylla s'adressa à eux de la tribune et leur dit: "Nous sommes venus la première fois en Asie avec une armée quand Antiochos, roi de Syrie, vous dépouillait. Nous l'avons chassé et avons fixé les frontières de son territoire au delà du fleuve Halys et du mont Tauros. Nous n'avons pas pris possession de vous quand nous vous avons délivrés de lui, mais nous vous avons libérés, sauf que nous avons attribué quelques territoires à Eumène et aux Rhodiens, nos alliés dans la guerre, non comme tributaires, mais comme clients. En voici la preuve: quand les Lyciens se sont plaints des Rhodiens, nous avons privés ces derniers de leur autorité. Telle fut notre conduite envers vous. Mais vous, quand Attale Philomêtôr nous a laissé son royaume en héritage, vous avez aidé Aristonicos contre nous pendant quatre ans. Quand il fut capturé, la plupart d'entre vous, poussés par la nécessité et la crainte, sont revenus dans le droit chemin. Malgré tout cela, vingt-quatre ans plus tard, quand, arrivés à une grande prospérité, vous avez embelli vos édifices publics et privés, vous vous êtes de nouveau laissés aller à la facilité et au luxe, et vous avez saisi l'occasion, alors que nous étions occupés en Italie, pour appeler Mithridate et invité d'autres à le rejoindre quand il est arrivé. Le plus infâme de tout, c'est que vous avez obéi à l'ordre qu'il a donné de tuer dans la même journée tous les Italiens de vos villes, y compris les femmes et les enfants. Vous n'avez pas même épargné ceux qui s'étaient réfugiés dans les temples consacrés à vos propres dieux. Vous avez été d'une certaine façon punis pour ce crime par Mithridate lui-même, qui s'est renié, vous a donné une indigestion de pillage et de carnage, a redistribué vos terres, a remis les dettes, libéré vos esclaves, désigné des tyrans chez certains, commis des vols partout sur terre et sur mer. Vous avez alors compris immédiatement par l'expérience et la comparaison quel genre de défenseur vous aviez choisi à la place de l'ancien. Les instigateurs de ces crimes ont subi de notre part un châtiment. Il est nécessaire aussi que vous subissiez un châtiment commun, car vous êtes tous coupables, et qui corresponde à vos crimes. Mais plaise au ciel que les Romains n'aient plus jamais à imaginer de carnage, de confiscation aveugle, d'insurrections serviles ou d'autres actes de barbarie. J'épargnerai donc maintenant la nation grecque et son nom tellement célébré dans l'ensemble de l'Asie, et pour cette juste réputation qui est à jamais chère aux Romains, je vous ferai payer seulement les impôts de cinq ans à verser immédiatement, ainsi que le coût des dépenses de la guerre que j'ai faite, et de celles que je ferai pour régler les affaires de la province. Je répartirai ces impôts entre vous, selon les villes, et fixerai la date du paiement. Je punirai ceux qui désobéissent comme s'ils étaient mes ennemis'' (Appien d'Alexandrie, Guerre Mithridatique, LXII).

LIVRES XIV A XX

''Pendant trois ans, les partisans de Cinna et de Marius occupèrent l'Italie; il ne dissimula pas son intention de les combattre, sans abandonner toutefois ce qu'il avait entrepris. Il fallait, pensait-il, faire la guerre à l'ennemi et l'écraser, avant de punir ses concitoyens, repousser les dangers de l'extérieur et vaincre d'abord l'étranger pour triompher ensuite des ennemis de l'intérieur'' (Velleius Paterculus, Histoire romaine, Livre II, XXIV).

''Lorsqu'il fut prêt à embarquer l'armée, il eut crainte que les soldats, une fois qu'ils auraient un pied en Italie, ne se débandassent pour se retirer chacun dans sa ville; mais ils lui jurèrent d'eux-mêmes qu'ils resteraient avec lui, et qu'ils ne commettraient volontairement aucune violence dans l'Italie. Ensuite, sachant qu'il avait besoin de beaucoup d'argent, ils contribuèrent, chacun selon ses facultés, et lui offrirent la somme qu'ils avaient ramassée entre eux. Sylla, toutefois, n'accepta point ce don: il les remercia de leur bonne volonté, et, après les avoir encouragés, il traversa la mer, marchant, comme il le dit lui-même, contre quinze chefs d'armée, ses ennemis, et qui avaient sous leurs ordres quatre cent cinquante cohortes'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXVII).

''Dans le sacrifice qu'il avait fait en arrivant à Tarente, le foie de la victime présenta aux yeux la forme d'une couronne de laurier, d'où pendaient deux bandelettes. On avait vu d'ailleurs, peu de temps avant qu'il eût passé la mer, en plein jour, près du mont Héphéon, dans la Campanie, deux boucs d'une taille extraordinaire qui se battaient, portant et recevant des coups de la même façon que des hommes qui combattent; mais ce n'était qu'un fantôme qui s'éleva peu à peu de terre, s'épandit çà et là dans les airs, comme font des spectres ténébreux, et finit ainsi par s'évanouir tout à fait'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXVII).

''Sylla, sans s'inquiéter de mettre ses troupes en bataille ni d'assigner son poste a personne, sans autre moyen que l'ardeur et l'audace de ses soldats, mit en pleine déroute les ennemis, tua sept mille hommes à Norbanus, et l'obligea de se renfermer dans la ville de Capoue. Ce fut cette victoire, à ce qu'il dit lui-même, qui empêcha les soldats de se retirer dans leurs villes, et les retint auprès de lui; elle leur inspira d'ailleurs un profond mépris pour les armées ennemies, qui leur étaient cependant très-supérieures en nombre. Il ajoute qu'à Silvium, un esclave de Pontius, transporté d'une fureur divine, se présenta à lui, et l'assura qu'il venait de la part de Bellone, lui annoncer la victoire; mais que, s'il ne se hâtait, le Capitole serait brûlé'' (Plutarque, Vie de Sylla, XVII).

''Sylla, dès qu'il toucha le rivage campanien, écrasa au combat le consul Norbanus: des Romains tuèrent alors 7000 Romains, 6000 Romains furent fait prisonniers par des Romains, cent vingt quatre partisans de Sylla tombèrent'' (Paul Orose, Histoire contre les Païens, Livre V, 20).

''Marcus Lucullus, un des généraux du parti de Sylla, était campé auprès de Fidentia avec seize cohortes, et en avait cinquante à combattre: il se fiait bien à la bonne volonté de ses soldats ; mais, comme la plupart n'avaient pas d'armure complète, il hésitait à s'engager avec l'ennemi. Pendant qu'il délibérait sans oser prendre un parti, il s'éleva tout à coup un vent doux et léger, qui enleva d'une prairie voisine une grande quantité de fleurs, et les répandit sur son armée; elles vinrent d'elles-mêmes tomber sur les boucliers et sur les casques; elles s'y arrêtaient, et, aux yeux de l'armée ennemie, les soldats semblaient couronnés de fleurs. Encouragés par ce prodige, ils tombèrent sur les ennemis avec tant de vigueur qu'ils remportèrent une pleine victoire: ils leur tuèrent plus de dix-huit mille hommes, et s'emparèrent de leur camp'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXVII).

''Quand Sylla fut repassé en Italie, il voulut tenir en activité tous les jeunes gens qu'il avait auprès de lui, et leur donna à chacun différentes commissions. Crassus, qu'il chargea d'aller faire des levées chez les Marses, ayant à traverser un pays ennemi, lui demanda une escorte. ''Je te donne pour escorte, lui dit Sylla d'un ton de colère et d'emportement, ton père, ton frère, tes parents et tes amis, indignement égorgés, au mépris des lois et de la justice, et dont je poursuis les meurtriers''. Crassus, dont ces paroles piquantes ranimèrent le ressentiment, part aussitôt, passe hardiment au milieu des ennemis; et, ayant rassemblé une grande armée, il se montra depuis, dans toutes les affaires qu'eut Sylla, un des plus ardents à le servir'' (Plutarque, Vie de Crassus, VI).

''Le jeune Marius, campé auprès de Signium avec quatre-vingt-cinq cohortes, présenta la bataille à Sylla. Sylla avait précisément une extrême envie de combattre ce jour-là même, car il avait eu la nuit précédente un songe qui était tel: Il lui avait semblé voir le vieux Marius, mort depuis plusieurs années, qui avertissait son fils de se garder du lendemain, parce qu'il devait lui apporter une grande infortune. C'est là ce qui rendait Sylla impatient de combattre'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXVIII).

''Sylla écrit qu'il ne perdit dans cette affaire que vingt-trois hommes, qu'il en tua vingt mille, et fit huit mille prisonniers'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXVIII).

''Lorsque Sylla, après avoir purgé l'Italie des guerres civiles, fut rentré dans les murs de Rome pour la première fois, de toute la nuit il ne dormit pas un seul instant. Sa joie et son allégresse excessive était comme un vent qui emportait son âme; et il a consigné ce détail dans ses Mémoires'' (Plutarque, Si un vieillard doit s'occuper d'administration publique, VI).

LIVRE XXI

''Sylla, dans le XXIe livre de ses Mémoires: ''la République étant parvenue à un tel état de ruine...'' (Priscien, Institutions grammaticales, Livre IX, 476).

LIVRE XXII

''Non seulement Sylla prévit sa mort, mais il l'annonça même en quelque sorte; car, deux jours avant que de mourir, il mit la main au vingt-deuxième livre de ses Mémoires, où il rapporte que les Chaldéens lui avaient prédit qu'après avoir mené une vie glorieuse, il mourrait au plus haut point de sa prospérité. Il ajoute que son fils, mort peu de jours avant Metella, lui avait apparu en songe, vêtu d'une méchante robe, et suppliant son père de terminer toutes ses affaires pour venir avec lui auprès de sa mère Metella, vivre en sa compagnie dans le repos et libre de tout soin'' (Plutarque, Vie de Sylla, XXXVII).