Pendant ce temps, Gaius Marius passa l'hiver sur un bateau dans un port de Numidie, sans descendre à terre. Il envoya des missives aux autres proscrits qui vinrent le retrouver sur le champ. Marius voulait prendre sa revanche sur Sylla. Il voulait lui aussi faire marcher les légions sur Rome et s'emparer de la ville par la force. Cependant, il n'avait pas d'armée à sa disposition. Les proscrits en étaient donc réduits à attendre des nouvelles de leurs partisans… Depuis l'Afrique, Gaius Marius reçut la nouvelle que les deux consuls se faisaient la guerre et que Sylla était occupé contre Mithridate en Béotie. Il se décida alors à rentrer en Italie. A peine débarqué, il rassemble des troupes. Il disait à tous ceux qui voulaient bien l'entendre qu'il serait consul une septième fois. En quelques jours, il réunit assez d'hommes pour les faire embarquer sur 40 navires! Puis il part rejoindre Cinna, comme simple particulier, en lui offrant son armée forte de 10 000 hommes. Cependant, Quintus Sertorius était contre le retour de Marius car il savait pertinemment que l'ancien consul s'attribuerait tout le mérite en cas de victoire. ''Marius joignait à des mœurs grossières un naturel factieux et turbulent: ami des plébéiens, parce qu'il était né dans leurs rangs, il soupirait après la ruine de la noblesse. Prêt à tout dire, à tout promettre, à mentir et à se parjurer pour le plus mince avantage, il se faisait un jeu de calomnier les citoyens les plus recommandables et de louer les plus pervers. Qu'on ne s'étonne pas qu'un tel homme ait pu très longtemps cacher ce qu'il y avait de mauvais en lui: pétri d'artifice et secondé par la fortune, qui, dans le principe, lui fut partout propice, il parvint même à se faire regarder comme vertueux'', rapporte Dion Cassius. Mais Cinna ne tient pas compte de cet avertissement et accueille Gaius Marius à bras ouvert, en lui donnant le titre de proconsul. Mais Marius refusa et ''continua de porter une méchante robe, et de laisser croître ses cheveux, comme il avait toujours fait depuis le jour qu'il avait été banni, à l'âge de plus de soixante-dix ans. Il affectait de marcher lentement, afin d'exciter la compassion; mais sous cet air extérieur abattu éclatait toujours l'air de fierté qui lui était naturel, et qui paraissait fait pour inspirer la terreur plutôt que la pitié; sa tristesse même faisait assez voir que ses revers avaient plus aigri qu'abattu son courage'', rapporte Plutarque. MARIUS PLONGE ROME DANS LA TERREUR Les armées ayant fait leur jonction, Gaius Marius, Lucius Cornelius Cinna, Quintus Sertorius et Gnaeus Papirius Carbo vinrent camper avec leurs armées devant Rome. Gaius Marius fut l'un des plus actifs. Avec ses navires, il empêcha le ravitaillement de Rome et alla mettre à sac le port d'Ostie. Gaius Marius, six fois consul de Rome, voulait affamer le peuple qui l'avait élu et adulé! ''Marius, le plus grand traître qui fut jamais!'' dira plus tard Cicéron. La terreur s'installa alors en ville. Octavius et Merula demandèrent à Metellus Pius de conclure au plus vite la paix avec la ville samnite d'Aesernia, qu'il assiégeait toujours avec deux légions, et de venir en renfort. Metellus chercha alors un accord avec Gaius Papius Mutilus. L'accord s'avéra impossible tant les Samnites se montrèrent exigeants et Metellus resta avec ses légions à assiéger Aesernia. Finalement des sénateurs vinrent supplier Metellus de venir à Rome. Metellus s'exécuta et laissa une garnison réduite devant Aesernia. Pendant ce temps, Mutilus n'était pas resté inactif. Il avait envoyé un courrier à Gaius Marius pour traiter avec lui. Marius accepta toutes leurs conditions et l'armée samnite, après avoir écrasée ce qui restait de l'armée de Metellus, vint se ranger au service de Marius. A Rome, le retour de Metellus Pius ramena un peu d'espoir. ''Tous les soldats, qui le regardaient comme un général bien supérieur à Octavius, abandonnèrent ce consul, et, se rangeant autour de Metellus, ils le prièrent de les commander et de sauver la ville, en lui promettant que lorsqu'ils auraient à leur tête un général actif et expérimenté, ils combattraient avec courage, et triompheraient de leurs ennemi. Metellus, vivement offensé de cette proposition, les renvoya au consul; mais ils allèrent se rendre aux ennemis, et Metellus lui-même se retira, désespérant du salut de la ville'', relate Plutarque. En fait, Metellus Pius, comprenant que jamais les légionnaires ne se battraient pour Octavius, décida d'entamer des négociations avec Cinna. Mais tant Marius qu'Octavius, aucun des deux ne voulut entendre parler de négociations. Ecoeuré, Metellus rallia ses dernières légions et décida de passer en Afrique. Rome sous la République Après le départ de Metellus, Gaius Marius réussit à convaincre le tribun militaire Claudius Appius de lui ouvrir la Porte Janicule. Aussitôt, les armées de Marius et de Cinna s'y précipitèrent, mais elles furent vivement repoussées par les armées de Pompeius Strabo et d'Octavius. Après cette bataille, Pompeius Strabo décéda d'une violente fièvre. Cependant, le peuple avait une telle haine contre lui, car il le rendait responsable de la famine et des épidémies qui frappaient Rome, que le jour de ses funérailles, la foule s'empara de son corps et le traîna dans toute la ville. De son côté, Gnaeus Octavius tergiversait beaucoup trop, ''moins encore par son incapacité que par un attachement scrupuleux à la justice, par une obéissance servile aux lois, contre l'utilité publique. Il répondit à ceux qui lui proposaient d'appeler les esclaves à la liberté, qu'il ne donnerait pas aux esclaves le moindre droit dans une patrie dont il tenait Marius éloigné, par respect pour les lois'', explique Plutarque. Et son armée déserta en masse pour se ranger aux côtés de Cinna et de Marius, de même que de nombreux esclaves et des partisans des populares. Le Sénat n'avait donc plus qu'à négocier avec Lucius Cornelius Cinna… Pour cela, Lucius Cornelius Merula renonça à son titre de consul pour le rendre à Cinna et les tribuns de la plèbe annulèrent la loi prise par Sylla concernant les exilés. Gaius Marius et Cinna entrèrent alors dans Rome. Toutes les portes de la ville furent fermées pour que personne ne puisse s'échapper. Octavius, retiré au Janicule avec ses soldats, refusa de quitter la ville. Gaius Marcius Censorinus vint lui trancher la tête, et Cinna l'exposa sur les rostres. Quant à Marius, ''il entra dans la ville avec ses satellites, choisis, entre tous les esclaves qui avaient pris parti pour lui, et à qui il avait donné le nom de Bardiéens. À une seule parole, à un seul signe de Marius, ils tuaient indistinctement tous ceux qu'il leur désignait: un sénateur, nommé Ancharius, qui avait été préteur, étant venu le saluer et Marius ne lui ayant rien répondu, ils l'égorgèrent à ses pieds. Ce fut dès lors un signal pour massacrer dans les rues tous ceux à qui Marius ne rendait point le salut ou n'adressait pas la parole; aussi ses amis eux-mêmes ne l'abordaient-ils qu'avec une frayeur extrême'', rapporte Plutarque. Gaius Marius La fureur de Marius toucha directement les rangs des optimates. Lucius Julius Caesar et Caius Caesar Strabo furent les premiers après Octavius à être décapités et à avoir leurs têtes sur les rostres. Lucius Caesar fut égorgé avec une barbarie sans nom sur le tombeau de Quintus Varius. ''Dans l'état si déplorable où était alors la République, il ne manquait plus que de voir un César immolé comme victime expiatoire aux mânes d'un Varius. C'est à peine si les victoires de Marius peuvent effacer un tel forfait. Il oublia lui-même ses victoires et souleva dans Rome plus de réprobation qu'il ne s'était acquis de gloire dans le commandement des armées'', précise Maxime-Valère. Quant à Caesar Strabo, il fut égorgé à Tarquinii, après dénonciation. Suivirent Gaius Atilius Serranus, Publius Cornelius Lentullus, Gaius Numitorius et Gaius Bebius. Suivirent encore Publius Licinius Crassus et son fils aîné, puis Marcus Antonius l'orateur: ''La tête de Marcus Antonius lui fut apportée pendant son repas: il la tint quelque temps dans ses mains avec une joie sans mesure et un flot de paroles violentes. Il ne craignit pas de souiller l'autel des Lares du sang d'un citoyen et d'un orateur si illustre. Il accueillit même en l'embrassant Publius Annius, qui lui apportait cette tête coupée et qui avait encore sur lui les marques de cet assassinat à peine perpétré'', ajoute Maxime-Valère. ''On ne redoutait plus ni la vengeance des dieux, ni la justice des hommes. On s'abandonnait au meurtre sans aucune crainte. On se livrait aux plus atroces attentats; et, de ces attentats, on passait à des horreurs plus atroces encore. On égorgeait sans nulle pitié. On coupait les têtes des cadavres mêmes, et l'on en formait un spectacle horrible, pour inspirer la terreur et l'effroi, ou pour assouvir les regards de la fureur'' explique Appien. De ces jours baignés de sang et d'horreur, et qui durèrent cinq jours et cinq nuits, ''rien n'affligeait tant le peuple que la brutalité des Bardiéens, qui, après avoir égorgé les maîtres dans les maisons, déshonoraient les enfants et les femmes, sans qu'on pût réprimer leur avarice et leur cruauté. Enfin, Cinna et Sertorius s'étant réunis, les surprirent pendant qu'ils dormaient dans leur camp, et les massacrèrent tous'', rapporte Plutarque. Ainsi, ''Gaius Marius, qui avait imité Sylla en attaquant Rome, fut bien éloigné d'imiter son humanité et sa modération à l'égard des citoyens'', remarque l'historien moderne Charles Rollin. Le Sénat décimé par Marius Gaius Marius ne s'arrêta pas là. Il intenta un procès à Lucius Cornelius Merula et à Quintus Lutatius Catulus. Catulus, qui avait été consul en même temps que Marius, demanda seulement à quitter la ville. Mais Marius n'eut qu'une parole terrible: ''Il faut qu'il meurt''. Catulus s'enferma dans sa chambre et se suicida par asphyxie. Merula se suicida aussi mais invoqua une terrible malédiction sur Cinna et Marius. Il s'ouvrit les veines dans le temple du Jupiter et couvrit de son sang la statue du grand dieu en maudissant tous ceux qui partageaient les crimes de Cinna. La fin de l'année arrivait. Et, ''tout à coup, par un retour inattendu, on apprit de plusieurs côtés que Sylla, après avoir terminé la guerre contre Mithridate et recouvré les provinces usurpées, revenait à Rome avec une puissante armée. Cette nouvelle fit suspendre pour quelque temps les maux inexprimables que souffrait cette malheureuse ville; ceux qui en étaient les auteurs se voyaient menacés eux-mêmes d'une guerre prochaine. Marius fut donc nommé consul pour la septième fois'', relate Plutarque. C'était faux, Lucius Cornelius en était loin d'avoir fini avec Mithridate, il commençait à peine… Mais sans doute, la victoire qu'il avait remporté contre Archélaos au Pirée était arrivée jusqu'à Rome et faisait craindre le pire à Marius et aux populares. MARIUS MEURT A MOITIE FOU An de Rome 668 (-86): A Rome, Gaius Marius et Lucius Cornelius Cinna sont à nouveau consuls. Le 1er janvier, jour d'intronisation, Marius fit jeter Sextus Lucinus, un autre de ses ennemis, du haut de la roche tarpéienne. Mais surtout, Marius, s'en prit à Sylla. ''Les lois provoquées par Sylla furent abrogées. Tous ses amis recevaient la mort. Sa maison fut rasée. Ses biens furent confisqués. Il fut lui-même déclaré ennemi de la République. Sa femme et ses enfants, que l'on fit chercher, prirent la fuite'', rapporte Appien. Et, bien évidemment, Marius fit détruire les statues dédiées à la victoire de Sylla sur Jugurtha au Temple des Victoires… Un des amis de Sylla, Marcus Cornutus réussit à s'enfuir en Gaule. Pour faciliter son évasion, ses esclaves durent faire brûler un cadavre en disant qu'il s'agissait de leur maître. Marius, qui allait partir pour l'Asie affronter Mithridate, appréhendait d'avoir à affronter Sylla en cours de route. Marius ''épuisé par ses travaux passés, l'esprit dévoré de chagrins, tourmenté par la pensée de cette nouvelle guerre et des combats qu'il aurait à livrer, des terreurs auxquelles il serait bientôt en proie, et dont son expérience lui faisait pressentir tous les dangers et les peines cuisantes, il ne put soutenir la vue des inquiétudes cruelles qui l'assiégeaient de toutes parts. Il considérait que ce n'était point un Merula, un Octavius qu'il aurait à combattre, ces généraux qui n'avaient sous leurs ordres que des séditieux ramassés au hasard; que c'était un Sylla qui marchait contre lui, Sylla qui autrefois l'avait chassé de sa patrie, et qui venait de repousser Mithridate jusqu'au fond du Pont-Euxin. Accablé par ces réflexions, et se remettant devant les yeux son long exil, ses fuites, ses dangers sur terre et sur mer, il tomba dans les plus cruelles angoisses; des frayeurs nocturnes, des songes affreux troublaient son repos; et à tout moment il croyait entendre une voix menaçante lui crier: ''Le gîte du lion est terrible, même quand le lion est absent''. Mais comme il ne craignait rien tant que l'insomnie, il se plongea dans des excès de bonne chère et de vin, que son âge n'était pas en état de supporter; cherchant dans le sommeil, qu'il voulait par là se procurer, un remède à ses chagrins'', relate Plutarque. Sylla avait donc fini par rendre à moitié fou son pire ennemi... Marius met à feu et à sang la Rome de Sylla Les premiers jours de janvier, Marius reçut d'autres nouvelles provenant de Grèce, qui racontaient sans doute les derniers exploits militaires de Sylla. Ces nouvelles le plongèrent dans une telle frayeur qu'il en tomba gravement malade. ''Il fut attaqué d'une pleurésie, au rapport du philosophe Posidonius qui alla le voir dans son lit, pour lui parler des affaires relatives à son ambassade. Mais l'historien Gaius Pison dit qu'un soir que Marius se promenait après souper avec ses amis, il mit la conversation sur ses aventures; que, reprenant l'histoire de sa vie, il leur raconta toutes les vicissitudes de bien et de mal que la fortune lui avait fait éprouver. II ajouta qu'il n'était pas d'un homme sage de se fier davantage à son inconstance. En finissant ces mots, il les embrassa, leur fit ses adieux, et alla se mettre dans son lit, où il mourut au bout de sept jours. On dit qu'étant tombé dans le délire pendant sa maladie, son ambition se manifesta d'une manière bien frappante. II croyait commander l'armée romaine contre Mithridate, et faisait dans son lit les mêmes mouvements, prenait les mêmes attitudes que dans les combats; il parlait d'une voix forte, et poussait des cris de victoire: tant sa jalousie naturelle et sa soif de commander avaient allumé dans son âme un désir insurmontable d'être chargé de cette guerre! Tel était l'excès de son ambition, qu'à l'âge de soixante-dix ans, étant le premier des Romains qui eût été sept fois consul, possédant des richesses qui auraient pu suffire à plusieurs rois, il se plaignait de la fortune, comme si elle l'eût fait mourir pauvre, et avant d'avoir obtenu ce qu'il désirait'', juge Plutarque. Gaius Marius mourut le 13 janvier, à la plus grande joie des Romains. L'historien moderne Charles Rollin écrivit sur cet événement quelques mots qui pourraient bien résumer l'opinion que Rome avait de Marius à sa mort: ''Il fut sans foi, sans honneur, sans humanité, ingrat, ennemi de toute vertu, jaloux de tout mérite, cruel comme une bête féroce''. Marius mort, il n'était pas encore enterré que Gaius Flavius Fimbria, un des plus ardents populares, poignarda le pontifex Mucius Scaevola en plein enterrement! Mais Scaevola échappa à cet attentat, si bien que Fimbria lui intenta un procès au motif de n'avoir pas reçu le poignard tout entier dans le corps! Lucius Cornelius Cinna, désormais sans Marius, devait trouver un nouveau consul. Il choisi Lucius Valerius Flaccus et c'est lui qu'il désigna pour aller en Asie faire la guerre à Mithridate. Flaccus avait été désigné car il avait déjà exercé une pro-magistrature en Asie, et connaissait donc bien le terrain. Seulement, il n'avait aucune compétence militaire, n'était intéressé que par l'appât du gain, et ne savait pas gérer ses deux légions. Fimbria se proposa de l'accompagner et d'être son légat, Flaccus accepta. A Rome, sans Marius et Fimbria, la population retrouva enfin une paix relative après près de 15 mois de guerre civile. |