..."Le lendemain, je suis redevenu le général que j'étais. J'ai une ville à défendre. Je voulais affronter Mithridate, me voilà réduit à affronter les légions de Sylla! Ils veulent la guerre, ils l'auront!

"Le jeune Pompeius a été assassiné très tôt ce matin. Je souris. Je me dirige vers le Capitole, plus précisément vers le Temple des Victoires. J'entends bien faire enlever le monument de Bocchus dès aujourd'hui. Publius Cethegus me rejoint. Il est tout excité: Sylla avance vite, très vite, trop vite… Même le Sénat est inquiet. Ils ont envoyé une délégation pour tenter de le calmer. Bien, très bien ça… "Tu dois prendre la parole au Forum. Les hommes de Sulpicius sont devenus fous. Ils ont assassiné le fils de Pompeius", ajoute Cethegus.

"Alors je me rends aux Rostres. Et j'en profite pour dire mes quatre vérités sur Sylla: combien il a toujours comploté avec le Sénat contre le peuple, combien je déplore la mort de son gendre (ton ironique), combien il aime verser le sang. Et je continue: oui, Sylla, votre héros qui a détruit les Samnites, votre bien aimé consul, celui qui se disait prêt à tout pour sauver Rome, n'hésite pas aujourd'hui à prendre les armes contre sa patrie! L'anti-Sénat de Sulpicius voulait en finir avec lui, mais Sylla est venu se réfugier chez moi, son vieux général, pour demander mon intervention. "Caius Marius, tu es le seul homme assez sage et écouté dans cette ville pour calmer Sulpicius. Aide-moi", a-t-il dit (ô le pieux mensonge!). Et j'ai protégé Sylla des sbires de Sulpicius et j'ai aidé Sylla à quitter la ville. Peu à peu, je gagne le peuple…

"Lucius Crassus, le père de ma belle-fille, et Junius Brutus, le nouveau préteur urbain, viennent me trouver. La première ambassade n'a pas arrêté Sylla. Le Sénat en envoie une deuxième. Brutus est nerveux: il craint pour l'intégrité de la République. Sylla se comporte comme un tyran. Je souris. La situation tourne à mon avantage. A Rome, je ne crains rien… Je les rassure: Sylla bluffe, il n'attaquera jamais Rome. Il menace seulement Sulpicius. Nous parviendrons à un accord pacifique. Sylla devra se faire une raison et les soldats aussi: le commandement de la Guerre contre Mithridate me revient.

"Dans les rues de Rome, la tension augmente: "Sylla marche vraiment sur Rome?" questionne le peuple étonné. Personne ne croit que Sylla est capable d'attaquer la ville. Oh, il y a bien un vieil illuminé qui crie sur le forum "Apollon triomphera au Capitole et détrônera Jupiter, mais son glaive sera taché de sang et les flammes consumeront son Temple", et affole Sulpicius, mais c'est tout. Je garde Rome en mains. J'ai ma stratégie: aux armes de Sylla j'oppose la paix de Marius. Je n'incite pas mes vétérans à me rejoindre et à prendre leur glaive. Le sang n'a que trop coulé dans la guerre des Alliés. Il y a cependant des choses que l'on me cache. Mon vieil ami Rubrius Varron est le seul à oser me les rapporter. Le peuple serait contre moi? Ridicule! Sylla l'a détourné de sa faveur en marchant sur Rome. Comment? Sylla serait plus populaire que moi?! Même aujourd'hui? Même maintenant que ses six légions marchent sur Rome? Impossible! Junius Brutus ne tient pas en place: il murmure que l'on devrait rendre le commandement de la Guerre contre Mithridate à Sylla. Je m'insurge et provoque une réunion de mon état major.

Marius médite sur les ruines de Carthage

Marius (plus menaçant que jamais): Alors, Marcus, il paraît que tu songes à rendre le commandement de la Guerre contre Mithridate à Sylla?

Junius Brutus (affolé): Marius, réveilles-toi! Sylla va encercler Rome avec six légions! Nous ne pouvons le laisser-faire, mais nous n'avons pas d'armée pour défendre Rome! Ne te rends-tu comptes de rien?

Marius (toujours menaçant): Sylla ne franchira pas une seule porte de Rome. Je te l'affirme. Je tiens sa famille en otage. S'il fait un seul geste…

Junius Brutus (coupant la parole): Tu n'oserais quand même pas t'en prendre à Metella et à ses enfants, quand même?

Marius (dur): il a bien assassiné mon neveu!

Junius Brutus (outré): Alors c'est ça, la fameuse "paix de Marius": remplacer les soldats par des otages? Que t'est-il arrivé pour tomber aussi bas Marius?

Rubrius Varron (s'interposant): Messieurs, du calme. Nous sommes là pour défendre Rome de Sylla, pas pour nous entretuer. Sulpicius nous apporte les dernières nouvelles.

Sulpicius (d'immenses cernes sous les yeux; il ne dort plus): La dernière ambassade du Sénat a échoué. Sylla avance toujours. Il sera là dans moins de deux jours et nous avons à peine un millier d'hommes avec nous contre 25 000 soldats bien entraînés. Nous sommes fichus!

Marius (excédé): Sulpicius, je te l'ai déjà dit et je vous le re-dit à tous: Sylla bluffe; il n'attaquera jamais Rome. Jamais un Romain n'attaquerait sa propre ville. Ne soyez pas idiots. Nous tenons l'Urbs. Sylla est obligé de négocier avec nous.

Publius Albinovanus: Marius a raison. Sylla et Pompeius commandent l'armée, mais tous les officiers les ont abandonnés, à part Lucullus, la fidèle chienne de Sylla. Notre cher consul propose en effet une négociation. Il va stationner ses troupes sur le Champ de Mars et il propose que nous nous réunissions tous au Temple de Bellone pour parvenir à un accord. Sylla reconnait qu'il se soumettra à l'avis du Sénat. Vous voyez bien que nous avons toujours la situation en main.

Sulpicius (amer): Ô, fous que vous êtes! On dirait qu'aucun de vous ne connaît Cornelius Sylla. Vraiment? Il marche sur Rome avec six légions et c'est juste pour venir nous faire une visite de courtoisie au Temple de Bellone? Et que croyez-vous qu'il se passera lorsque nous serons au Temple entourés par 25000 soldats? Il nous condamnera tous à mort! Tous!! Même Caius Marius! Si vous ne le savez pas encore, il dit à tous ceux qui s'étonnent de voir des légions romaines marcher sur Rome, c'est parce qu'il vient la délivrer de ses tyrans! Ne croyez pas une seule parole de ce chien enragé de Sylla! Il veut notre mort! Avec l'énergie qu'il me reste, je vais tenter de convaincre tout le peuple de se joindre à nous. C'est notre seule chance de salut: que Sylla ne sorte pas son glaive contre le peuple uni... Pendant ce temps, je vais dire à mon anti-Sénat de monter des barricades. Marius, il est encore temps pour toi de quitter la ville si tu tiens à la vie. Je ne t'en voudrais pas. Tu as des amis dans tout l'Empire. Tu peux encore réunir une armée contre Sylla.

Marius (en colère): jamais je ne céderai devant Sylla!

Junius Brutus (soupirant): C'est bon, je vais tenter une dernière négociation. J'irai voir Sylla en personne avec Servilius Caepio. Il nous écoutera…

Déjà? Marcus Junius était déjà de retour avec Servilius. Mais dans quel état! Nouvelle réunion de notre état major.

Marcus Junius (humilié): Je les ai attendu sur la Via Appia. J'avais tous les insignes de ma fonction et j'ai demandé à parler au consul Lucius Sylla. Il fallait voir comment ses soldats me regardaient! C'est la lie de la République et en attendant Sylla, ils ont commencé à m'insulter comme si j'étais le dernier des esclaves, ces chiens galeux! Sylla arrive et je commence à lui expliquer la situation à Rome. Que le Sénat veut arriver à une négociation pacifique. Cela faisait à peine deux minutes que je lui parlais que ses soldats se sont remis à m'insulter et Sylla n'a rien fait pour les arrêter! Au contraire: il les a laissé faire. Ils ont commencé à me faire descendre de cheval, ils m'ont pris mes insignes, déchirés ma toge et Sylla ne bougeait toujours pas. Les soldats ont sorti leurs glaives et j'ai cru que notre dernière heure était arrivée. Alors Sylla a dit à ses hommes de nous laisser rentrer à Rome et qu'il nous attendait pour "négocier" sur le Champ de Mars. Sulpicius a raison: Sylla veut notre mort et il sera là avant la tombée de la nuit. Marius renonce à ta folie de vouloir combattre Mithridate. Cette armée est dévouée corps et âme à Sylla. Entre eux, ils le surnomment "Felix" car il ne perd aucune bataille. Ils feront tout ce que Sylla leur demandera: y compris attaquer Rome!

Sulpicius (aussi pâle qu'un cadavre): Quirites, soyons prêt à mourir pour défendre Rome. J'ai une mauvaise nouvelle: le peuple refuse de nous suivre. Il semble que personne ne veuille affronter les légions des consuls. Nous serons seuls.

Marius (entêté): Jamais Sylla n'attaquera Rome! Nous négocierons.

Junius Brutus (fatigué): Crois ce que tu veux Marius. Mais la vérité, c'est que c'est Sylla le vrai maître de Rome, et non plus le peuple ou le Sénat. Aujourd'hui, la démocratie est morte, la tyrannie va triompher. Je préfère mourir au combat plutôt que de plier devant les chiens galeux de Sylla. Combien d'hommes avons-nous pour tenir la ville?

Sulpicius: moins de 3000… Je propose d'aller rejoindre nos troupes et nous mettre en position de défense. Marius sera notre commandant en chef.

Marius (soupirant): Rendez-vous dans deux heures en bas du Capitole en tenue de combat...

Sulpicius (prenant Marius à part): Nous n'aurions jamais du tuer le jeune Pompeius. Nous sommes allés trop loin Marius...

Marius (pensant à Gratidius): Sylla et Pompeius n'ont eu que ce qu'ils méritaient.

***

Une heure plus tard, les six légions de Sylla sont en vue de Rome. La résistance populares est prise au dépourvue. Depuis les remparts, les Romains voient les légions se séparer et encercler Rome.

Sulpicius tremble de peur mais il tente une dernière fois de convaincre le peuple de se joindre à lui. D'une voix profonde et forte, le meilleur orateur de l'histoire de Rome entame un dernier discours: "Quirites! Sylla et ses légions sont aux portes de Rome! Bientôt elles entreront dans la ville et prendront le pouvoir! Peuple de Rome, rejoignez-nous! Résistez! Les consuls vont éteindre les derniers flambeaux de la démocratie! Tout ce pour quoi nous aurons luttés pour vous depuis Caius Gracchus sera aboli".

C'est alors que Caius Julius Caesar, le beau-frère de Marius, répondit à Sulpicius: "Tribun de la plèbe, ne vois-tu pas que Rome est lasse de la guerre? Laisse donc le peuple en dehors des combats entre la noblesse et la chevalerie. Ne cache plus tes actes honteux derrière lui. Respecte-le et laisse Rome se diriger comme elle l'entend!".

Marius assistait à la scène: "Trahi par mon propre beau-frère! Je n'oublierai pas Caius Julius…"

Sulpicius, surpris, continua à haranguer les foules: "Toi aussi Julius Caesar tu es pour la tyrannie? Peuple de Rome, ne vois-tu pas que c'est qui t'attend? D'être dirigé par des Sullae et des Julii qui se comporteront avec toi et Rome comme des tyrans? Si vous laissez Sylla entrer dans Rome, dites adieux à vos libertés!"

D'autres voix s'élevèrent à la suite de Caesar: "Nous sommes avec Sylla! C'est lui le légitime consul de Rome! Il a vaincu les Alliés! Il vient libérer Rome!"

Sulpicius, pleurant: "Alors vous préférez vous donner à un tyran que de vous gouverner comme une démocratie libre? C'est cela votre choix? Acclamer les chaînes que vous fera porter Sylla et ses semblables assoiffés de pouvoir absolu? Soit! Je me range à votre décision. Laissez-moi juste porter le deuil de la République, car avant ce soir, elle sera morte".

Marius, rasséréné par le discours de Sulpicius, se ragea au-devant de ses soldats, leva son glaive et cria: "Pour la République!" Sulpicius vient le rejoindre et cria à son tour: "Pour la République!" Marcus Junius Brutus et tous les partisans de Marius poussèrent ce même cri. Les troupes de Sylla étaient déjà entrées dans Rome…

Les premiers rapports de la bataille sont favorables à la résistance populares: "Les légions de Sylla son entrées par la Porte Esquiline, mais le peuple les repousse en leur lançant des pierres depuis les toits". "Hourra!" s'exclama l'anti-Sénat de Sulpicius à la suite de son chef. Le deuxième rapport était beaucoup moins bon: "La légion de Pompeius s'est emparée de la Porte Colline". Marius réagit aussitôt: "Tous à la Porte Esquiline! Sylla ne doit pas entrer dans Rome!" Le temps de manœuvrer, ils tombèrent nez à nez avec Sylla et ses troupes sur la place du marché. "Chargez!" hurla Marius et l'anti-Sénat de Sulpicius se rua sur les légionnaires comme une horde de barbares sauvages. Les légions de Sylla furent surprises de l'attaque: elles reculèrent, ce qui déplut fortement à leur général. Sylla, plus noir que jamais, s'empara d'un aigle des légions et s'élança seul au-devant de Marius et Sulpicius.

"Viens, Sylla, viens! Finissons-en!" pensa Marius. Mais les légionnaires romains s'élancèrent à la suite de leur consul et repoussèrent la bande à Sulpicius. Marius pesta. "Nous ne sommes pas assez nombreux pour les repousser". Et il hurla: "Repliez-vous au Capitole! A moi, les esclaves! J'affranchirai tous ceux qui nous rejoindrons!"

Sylla pensa avoir mal entendu. "Décidemment, Marius est tombé bien bas" pensa-t-il et un sourire éclaira son visage, dans quelques minutes il serait le maître absolu de Rome: "Encerclez-les, repoussez-les! Trompettes, sonnez la charge! Tous au Capitole!"

Marius et Sulpicius étaient pris au piège. Sylla tenait la porte Esquiline, la Porte Colline et la Subura. Dans les rues menant au Capitole, Sulpicius se battait avec l'énergie du désespoir. Le jeune Marius était le plus fougueux. Caius Marius s'épuisait beaucoup trop vite: "Je suis trop vieux pour les combats au corps à corps. Je hais la vieillesse". Marcus Brutus fut le premier à s'enfuir. L'anti-Sénat de Sulpicius tombait au combat. Se voyant débordé, il commença à se disperser. Marius et Sulpicius atteignirent le Capitole, suivi d'une poignée de partisans.

Sulpicius (couvert de sang): Marius, tout est perdu, il faut nous enfuir avant que Sylla nous trouve ou nous sommes morts. Pars avec ton fils, nous nous rejoindrons en Afrique. Que les dieux te soient favorables!

Marius revécu la scène au ralenti: Sulpicius s'enfuyant à la tombée de la nuit. Les cris des légions de Sylla. Le son des trompettes se répercutant sur la colline. Le bruit métallique des glaives s'entrechoquant. Le reflet des aigles d'argent s'avançant vers lui. Des soldats romains s'avançant avec l'idée de le tuer. "C'est un cauchemar! Ce n'est pas réel. Je suis poursuivi par "mes" légions romaines". Marius dirigea son regard vers le Temple de Jupiter. Le vieil illuminé était sur les marches et criait: "Apollon arrive! Apollon arrive! Jupiter est détrôné! Le soleil sera invaincu pendant des siècles! Gloire à Apollon! Gloire à Apollon, Imperator des flammes et du sang!" Le sang de Marius se glaça dans ses veines alors que les légionnaires s'approchaient. Son fils du le tirer par le bras pour l'entraîner en courant hors de la place. Marius continua de fixer le prophète. Celui-ci le regarda droit dans les yeux et dit: "La puissance du Soleil surpasse la foudre de Jupiter. Marius, Jupiter vaincu, inclines-toi devant le pouvoir sanglant d'Apollon!"

***

Le pouvoir sanglant d'Apollon… Le soleil se couchait sur les ruines de Carthage, semblant projeter des flammes de sang…

Marius errait comme une âme en peine parmi les ruines puniques. Sulpicius était mort. Il n'avait plus de nouvelles de son fils depuis des semaines. Ses beaux-fils naviguaient sans doute au large de la Sicile. Il espérait que quelques-uns de ses partisans avaient pu trouver refuge dans une de ses colonies africaines, au milieu de ses vétérans. Marius avait hâte de les retrouver dans les prochains jours. Il pensait pouvoir les convaincre de marcher sur Rome avec lui. Avec les chevaliers, les nouveaux citoyens italiques et peut-être même Marcus Brutus, ils pourraient écrire une nouvelle constitution républicaine dans l'esprit des Gracques. Des terres et du blé pour le peuple, c'est tout ce qu'ils voulaient. Plus de démocratie, des hommes nouveaux pour apporter du sang neuf à la République. Et puis, en Asie, Mithridate l'attendait…

Marius regarda le soleil se coucher. Il avait une couleur rouge sang… L'ancien consul fut pris d'un malaise indéfinissable et il se mit à frissonner. A ce moment-là, Marius aperçut au loin un de ses fidèles esclaves qui venait à sa rencontre. "Maître, un des licteurs du préteur Sextilius demande à te parler". Enfin! Marius attendait d'être accueilli au palais du gouverneur. Lui pourrait l'aider et lui fournir un asile sûr et pourquoi pas, le laisser recruter une légion africaine. Marius partit à sa rencontre avec espoir. Le licteur affichait cependant un air très solennel: "Marius, le préteur Sextilius te défend de poser le pied dans la province d'Afrique, ou sinon, il te déclare qu'il exécutera le décret du Sénat, en te traitant comme ennemi public de Rome". Caius Marius crut avoir une attaque. Son cœur cessa de battre pendant quelques instants. Il avait l'impression que Jupiter venait de le foudroyer sur place. "Marius, Jupiter vaincu, inclines-toi devant la puissance d'Apollon", les mots du prophète résonnèrent à nouveau dans sa tête. Aux yeux du licteur, Marius semblait aussi immobile qu'une statue.

Gaius Marius vaincu

L'ancien consul mit un long moment avant de retrouver une respiration régulière. Dans son esprit, il y eut comme un trou noir. Marius ne comprenait pas, "Sylla? Ici? A Carthage?" avant de retrouver le raisonnement mathématique qui faisait sa force. "Le peuple de Rome ne m'a pas soutenu; il a préféré Sylla. L'armée a marché contre moi; elle est aux ordres de Sylla. La mer est contre moi; elle m'a repoussé en Italie dans les bras des sbires de Sylla. La population de Minturnes ne m'a pas tué seulement parce que le barbare chargé de m'exécuter à refuser de le faire. Quelle ironie du sort: les ennemis que j'ai vaincu sur les champs de bataille sont mes amis d'aujourd'hui. Je peux supporter de me retrouver nu et tremblant de froid au milieu des marais... Je peux supporter d'être traité moins bien qu'un esclave des mines... Je peux même supporter d'être vaincu par mes propres légions. Mais là, c'en est trop! Jusqu'où me poursuivras-tu de ta haine, Sylla? Jusqu'où?" Et il fixa le licteur d'un terrible regard noir. Le licteur lui parla, il ne l'entendit pas. "Caius Marius, quelle réponse dois-je rapporter au préteur Sextilius?" répéta le licteur.

Tremblant de rage, profondément humilié, Marius contempla les ruines de Carthage. "Sylla m'a tout pris, tout! J'ai moins de valeur aujourd'hui pour les Romains qu'une vieille pierre carthaginoise calcinée. Vaincu, je suis vaincu" pensa Marius. Réduit au désespoir, il poussa un long soupir. "Va donc dire à ton maître que tu as vu Marius assis sur les ruines de Carthage", dit-il alors qu'il s'asseyait sur un muret calciné.

Le préteur s'éloigna. Marius demanda à son esclave de le laisser seul. Dans la clarté crépusculaire, Marius pleura à chaudes larmes. "Vaincu! Je suis vaincu! Moi qui ait porté si haut l'Empire Romain! Moi qui ait empêché les Gaulois de fondre sur Rome! Moi a qui le peuple a rendu un culte privé!" Marius sortit son glaive de son fourreau. L'idée d'en finir maintenant le traversa. "Passant, va donc dire aux Romains que tu as vu Marius se suicider au milieu des ruines de Carthage". On se rendrait en pèlerinage sur son tombeau, à Carthage…

"A Carthage? Non, pas question de mourir là, seul et exilé, en terre ennemie. Je ne te ferais pas ce plaisir Sylla! J'irai mourir à Rome, au milieu des miens, de ma famille, de mon peuple, de ma terre! Et avant cela je me vengerais… Je me vengerais de tous ceux qui m'ont fait souffrir: du Sénat, et même du peuple! Et je me ferais élire consul pour la septième fois!" Marius prit dans ses mains une poignée de terre salée. "Jupiter vaincu par Apollon", disait le vieil illuminé. Mais Jupiter ne va pas laisser se foudroyer ainsi... Je vais répandre le sang dans tout Rome… Je vais répandre le sang dans tout ton Empire Sylla… Je vais allumer le feu de la guerre civile. Je vais faire de toi un Imperator de flammes et de sang

Marius avait les yeux injectés de sang. Sa bouche était remplie d'un goût amer. "Et maintenant, c'est moi qui vais te poursuivre de ma haine, Sylla. Tu m'as fait pleurer des larmes amères sur les ruines de Carthage. Je te ferais pleurer des larmes de sang sur les ruines de Rome. Vale!"

Par Cornelia Sisenna