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An de Rome 666 (-88): La guerre contre les Italiques n'est pas encore terminée. Le samnite Pontius Telesinus, qui disposait encore d'une nombreuse armée, refusait de se rendre et Poppaedius Silo résistait toujours au sud avec les Lucaniens. Par ailleurs, les villes d'Aesernia et Nola résistaient toujours. Pendant l'hiver, Sylla et Pompeius Rufus furent occupés à régler les problèmes de trésorerie car les guerres avaient vidés les caisses publiques et les taux d'intérêt des usuriers grimpaient sans cesse. Les consuls font ainsi passer deux lois sur l'assainissement des dettes: il est désormais interdit de pratiquer des intérêts composés. Ces lois étaient devenues une évidence après que l'année dernière, le préteur urbain Aulus Sempronius Asellio, ait été victime du conflit opposant les créanciers et les débiteurs. Ces derniers, voyant qu'il tardait à réagir sur ce problème, l'assassinèrent en plein Forum! Sur le plan personnel, le consul couronné divorça en début d'année de Coelia pour épouser Caecilia Metella Dalmatica, la veuve du prince du sénat Marcus Aemilius Scaurus, décédé l'année précédente. Un mariage d'intérêt qui fit scandale: "Ce mariage lui attira, de la part du peuple, des chansons satiriques, et excita l'indignation de la plupart des grands: on ne trouvait pas digne d'une telle femme, comme dit Tite Live, celui qu'on avait trouvé digne du consulat". Lucius Cornelius prétexta en effet que Coelia était stérile, et épousa le meilleur parti de Rome pour s'imposer plus largement au Sénat. En fait, par ce mariage, Sylla voulait devenir officiellement le chef de la faction optimates. Un mariage romain Au printemps, les hostilités reprirent entre Romains et Italiques. Les Italiques résistants se sont tous regroupés à Aesernia. En mai, Silo réussit à reprendre la ville de Bovianum, conquise de haute lutte par Sylla l'année d'avant. Silo organisa même un Triomphe dans les rues de la ville pour fêter l'événement! Mais de leur côté, les Romains se montrent patients. Sylla et son armée campent devant Nola, Metellus Pius et ses troupes assiégent Venusia, et Pompeius Strabo continue à faire tomber les poches de résistance dans l'Ombrie et le Picenum. Les Romains ne se décidant pas à bouger de leurs positions, les Italiques, avec 30 000 hommes, décidèrent d'aller attaquer en force l'armée de Metellus. Avant que Sylla n'arrive en renfort, les Italiques étaient vaincus et Silo mort, tué par Metellus Pius en personne. La ville de Venusia tomba immédiatement. La Guerre Sociale se terminait enfin. Seules Aesernia et Nola résistaient encore… Sylla laissa donc ses troupes camper devant Nola, et envoya celles de Metellus Pius assiéger Aesernia. Mithridate massacre les Romains d'Asie Pendant ce temps, en Orient, Mithridate était passé à l'action. Les Romains refusaient de quitter la Paphlagonie et de grandes manœuvres se préparaient. Appien d'Alexandrie raconte: ''Comme Lucius Cassius, gouverneur de l'Asie, avait sa propre armée, toutes les forces alliées furent réunies en hâte. Ils les divisèrent en corps séparés et les envoyèrent dans des camps, Cassius à la frontière de la Bithynie et de la Galatie, Manius sur le trajet de Mithridate pour se rendre en Bithynie, et Oppius, le troisième général, dans les montagnes de Cappadoce. Chacune avait environ quarante mille hommes, fantassins et cavaliers confondus. Ils avaient également une flotte sous le commandement de Minucius Rufus et de Gaius Popillius à Byzance, gardant les bouches du Pont-Euxin. Nicodème était là, commandant cinquante mille fantassins et six mille cavaliers. Telles étaient l'ensemble des forces rassemblées. Mithridate avait sa propre armée de deux cent cinquante mille fantassins et quarante mille cavaliers, trois cents bateaux pontés, cent birèmes et le matériel en proportion. Il avait comme généraux Néoptolème et Archélaos, deux frères. Le roi était le plus souvent présent. Comme troupes auxiliaires, Arcathias, le fils de Mithridate, amenait dix mille cavaliers de la Petite Arménie, et Doryalos commandait la phalange. Crateros avait le commandement de cent trente chars de guerre''. Le premier affrontement a lieu en mai entre Nicodème et les armées de Néoptolème et d'Archélaos au bord du fleuve Amnias. Les troupes de Nicomède sont en surnombre, mais elles reculèrent dès que les Pontiques eurent déployés leurs fameux chars de guerre. Appien toujours: ''les chars armés de faux chargèrent les Bithyniens, firent une brèche au milieu, tranchant les uns et déchirant les autres en morceaux. L'armée de Nicomède fut terrifiée de voir des hommes coupés en deux et qui respiraient toujours, ou taillés en morceaux, leurs restes accrochés aux faux. Atterrés davantage par l'horreur du spectacle que par la perte du combat, leurs rangs furent pris de peur''. Les chars à faux de Mithridate Et Archélaos mit en déroute le reste de l'armée bithynienne. Puis l'armée de Manius Aquillus est battue, puis celle de Quintus Oppius par Mithridate en personne. Manius Aquillus fut capturé et amener devant Mithridate. Le roi du Pont, pour punir le proconsul romain de sa cupidité bien connue, lui fit verser de l'or fondu dans sa bouche! Fin juin, la Bithynie, la Cappadoce et la province romaine d'Asie sont aux mains des Pontiques. Mithridate ne s'arrêta pas là. Il promit aux populations locales de ne pas lever d'impôt pendant les cinq prochaines années. Il avait touché là un point sensible. Les asiatiques ne supportant plus d'être présurés d'impôts par les Romains (Gaius Julius Caesar, gouverneur d'Asie en 663/-91, n'est-il pas revenu de sa province subitement très riche?), Mithridate fut accueilli en libérateur. Pour le roi du Pont, ce n'était pas encore assez: il fallait éliminer définitivement tout ce que l'Asie comptait encore de Romains. Il donna ainsi les ordres suivants aux magistrats des villes d'Asie, de Bithynie, de Pisidie et de Phrygie: ''ils devraient attaquer tous les Romains et tous les Italiens dans leurs villes, et aussi leurs épouses, leurs enfants et tous les affranchis de naissance italienne, les tuer, laisser leurs corps sans sépulture et se partager leurs biens avec lui. Il menaça de punir ceux qui enseveliraient les morts ou cacheraient les vivants et il offrit des récompenses aux délateurs et à ceux qui tueraient les gens qui se cacheraient ainsi que la liberté aux esclaves qui trahiraient leurs maîtres. Aux débiteurs qui massacreraient leurs créanciers, il offrit l'annulation de la moitié de leurs dettes. Ces ordres, Mithridate les envoya secrètement à toutes les villes en même temps'', rapporte Appien. Fin juillet, 80 000 (!) Romains, Latins et Italiques, leurs femmes et leurs enfants, et leurs 70 000 (!) esclaves furent ainsi assassinés et égorgés jusque dans les temples… Mithridate A Rome, la nouvelle fut connue courant août. Il fallut convoquer d'urgence une réunion du Sénat, et tous ceux qui étaient encore en manœuvre en Italie, ou dans leurs résidences secondaires, rentrèrent précipitamment. Ainsi, tous les sénateurs étaient-ils présents pour entendre les horreurs perpétrées par Mithridate et les Asiatiques. ''C'était un chef dans les décisions, un soldat dans la lutte et par sa haine contre les Romains, un nouvel Hannibal'', note Velleius Paterculus. La guerre en Asie était désormais inévitable et le Sénat vota unanimement en ce sens. Qui allait donc se charger de Mithridate? En temps de paix, la province d'Asie est confiée à un propréteur. En temps de guerre, lorsqu'il faut envoyer et commander plusieurs légions, c'est une mission bien trop importante pour être confiée à un simple préteur. Dans ce cas, un des deux consuls de l'année est désigné par le Sénat pour mener cette guerre, ou alors c'est un ancien consul qui se voit confier la mission, toujours par décision du Sénat. Le commandement de cette guerre contre Mithridate attisait toutes les convoitises: ''Plusieurs briguaient à Rome, par l'organe des démagogues le commandement de la guerre contre Mithridate. Au grand étonnement de tout le monde, le tribun Sulpicius, homme entreprenant et audacieux, mit en avant Marius, et le proposa pour général contre Mithridate avec le titre de proconsul. Le peuple se divisa en deux partis: les uns voulaient Marius, les autres demandaient Sylla, et engageaient Marius à s'en aller aux eaux de Baïes, y soigner son corps usé de vieillesse, et qui se fondait en humeurs, comme il le disait lui-même'' raconte Plutarque. En effet, le consul Lucius Sylla est le meilleur général du moment et donc le plus apte à aller combattre Mithridate. Cependant Gaius Marius attendait de faire cette guerre depuis plus de dix ans… Mais finalement, selon la législation romaine, le commandement de la guerre se décida par un tirage au sort entre les deux consuls: ''Quand les consuls tirèrent au sort, le gouvernement de l'Asie et la guerre contre Mithridate furent confiés à Cornelius Sylla'', explique Appien. Le consul Sylla Le pire pour les Romains, qui venaient à peine de sortir d'une guerre destructrice, était d'en recommencer une autre juste derrière! Certes, les légionnaires romains étaient nombreux et très bien entraînés après trois ans de campagne, mais l'argent manquait désespérément dans les caisses. Il fallut donc avoir recours à des mesures draconiennes. Appien donne les détails: ''Comme on n'avait pas d'argent pour payer ses dépenses, on vota de vendre les trésors que le roi Numa Pompilius avait destinés aux sacrifices des dieux, si grand était le manque de moyens à ce moment-là et si grande leur ambition pour l'Empire. Une partie de ces trésors, vendus aussitôt, rapporta neuf mille livres d'or, et ce fut tout ce qu'ils purent dépenser pour une si grande guerre'', soit tout de même 3000 kg d'or! L'argent ainsi récolté, Sylla parti pour Nola retrouver son armée qui mettait toujours le siège devant la ville. Avant de partir pour l'Asie, il avait l'ordre du Sénat de finir de nettoyer la Campanie des poches de résistances qui s'y trouvait encore, et si possible, de faire tomber la ville. L'ALLIANCE SECRETE DE MARIUS ET DE SULPICIUS Sylla hors de Rome, la ville ne parlait plus que de la guerre contre Mithridate et Gaius Marius, devenu vieux, obèse et perclus de rhumatismes, maugréait ouvertement de ne pas en avoir eu le commandement. Il ''descendait tous les jours au champ de Mars, s'y exerçait avec la jeunesse romaine, montrait un corps souple et léger sous les armes, propre encore à tous les exercices du manège, quoique, devenu replet et pesant dans sa vieillesse, il conservât peu d'activité. Il plut par là à quelques personnes qui allaient exprès au champ de Mars pour assister à ses exercices, et être témoins des efforts qu'il faisait afin de surpasser les autres. Mais les gens sensés voyaient avec pitié cette avarice, ce désir insatiable de gloire, dans un homme qui, de l'état le plus obscur, parvenu au plus haut rang et à la plus grande opulence, ne savait pas se borner dans sa prospérité; qui, pouvant jouir en repos de l'estime et de l'admiration publiques et des biens immenses qu'il possédait, voulait, comme s'il eût manqué de tout, s'en aller, après tant de triomphes et tant de gloire, traîner en Cappadoce et dans le Pont-Euxin les restes languissants de sa vieillesse, pour y combattre les satrapes de Mithridate, Archélaos et Néoptolème. II cherchait à se justifier, en disant qu'il voulait former lui-même son fils au métier des armes; mais cette raison même paraissait frivole'' explique Plutarque. Le tribun de la plèbe haranguant les foules Du côté du Forum, le tribun de la plèbe Publius Sulpicius, jusque là conservateur modéré, se mettait subitement à parler comme le pire des démagogues. Et il présenta une série de nouvelles lois. La première est que devait être exclu du Sénat ceux qui auraient au moins 8 000 sesterces de dettes. Ce qui signifiait, par ces temps où l'on manquait d'argent, que les ¾ des sénateurs étaient concernés! D'autre part, il proposa que les nouveaux citoyens italiques soient répartis dans les 35 tribus existantes, en lieu et place d'en créer de nouvelles. En outre, malgré le commandement de la Guerre contre Mithridate attribué à Sylla, Sulpicius laissait entendre qu'il était contre cette décision et appelait toujours à confier le commandement de la guerre à Gaius Marius. En fait, Marius avait tout simplement acheté Sulpicius! Leur plan était le suivant: ''Marius, qui pensait que cette guerre serait aussi facile que lucrative, et qui, par ces deux raisons, désirait d'en être chargé, engagea par de grandes promesses le tribun Publius Sulpicius à le servir dans ce dessein. En même temps, il fit espérer aux alliés, à qui l'on venait d'accorder les droits de cité, et qui ne formaient que la minorité dans les élections, qu'il les ferait distribuer dans les anciennes tribus; et afin d'être secondé par eux dans toutes ses vues, il s'abstint de faire rien pressentir touchant son intérêt personnel. Sulpicius présenta sur-le-champ une loi à ce sujet; et si cette loi eût été votée, tout devait tourner au gré de Marius et de Sulpicius, parce que les nouveaux citoyens étaient en bien plus grand nombre que les anciens'', relate Appien. Mais ce plan aggrava la crise latente entre les Italiques, nouveaux Romains, et les anciens citoyens qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges. Et les affrontements entre ces deux catégories de citoyens à propos de ce projet de loi se faisaient chaque jour plus violents: ''Ils se harcelaient réciproquement à coups de bâton, à coups de pierre; le mal empirait chaque jour''. En outre, la Guerre Sociale avait fait doubler la population de Rome par l'afflux des réfugiés voulant échapper aux combats. Devant la gravité de la crise, le consul Pompeius Rufus, toujours en charge à Rome, est dépassé par les événements et il rappelle Sylla en urgence. Tout d'abord, les consuls doivent neutraliser Sulpicius et ce n'est pas le plus simple. En effet, le tribun de la plèbe ''avait toujours autour de sa personne six cents chevaliers romains, qui lui servaient de gardes, et qu'il appelait l'anti-sénat'' dit Plutarque. Sylla ayant la loi de son côté, il décida de se servir de tous les moyens légaux à sa disposition. Ainsi, les consuls publièrent une ordonnance, le iustitium, suspendant l'activité des tribunaux et la poursuite des affaires publiques. "Les consuls, craignant quelques sinistres événements pour le jour de l'assemblée du peuple, proclamèrent des fériés pour plusieurs jours, ainsi qu'on était dans l'usage de le faire à l'occasion des grandes solennités; et cela, dans la vue de reculer le jour des comices, et de ménager quelque relâche à la fermentation des esprits", précise Appien. De cette manière, Sulpicius serait empêché de faire voter ses lois aux comices… SYLLA-MARIUS: LE FACE A FACE Mais, à peine le iustitium proclamé, Sulpicius arrive sur le Forum avec sa bande armée alors que les consuls président l'Assemblée du Peuple devant le temple de Castor et Pollux. Sulpicius est alors prêt à tout, même à s'en prendre aux consuls s'il le faut! ''Après qu'il eut fait toutes ces dispositions, il attaqua, en pleine assemblée, la proclamation du iustitium, comme contraire aux lois; et il enjoignit aux consuls Cornelius Sylla et Quintus Pompée de le révoquer sur-le-champ, afin qu'il pût mettre ses projets de loi en délibération. Un tumulte s'étant élevé, ceux qui étaient pourvus de glaives s'en armèrent, et menacèrent de faire main basse sur les consuls, qui contrariaient les intentions de Sulpicius'' relate Appien. Les partisans de Sulpicius tuent les personnes qui veulent s'interposer. Profitant du tumulte, Pompeius Rufus réussit à se sauver, mais pas son fils. "Les séditieux égorgèrent le fils de Pompeius, gendre de Sylla, qui osa s'ingérer de parler avec trop de liberté et d'énergie", précise Appien. Sylla lui-même ne dut son salut qu'à la fuite, mais les partisans de Sulpicius se lancèrent à sa poursuite. Plutarque nous raconte ensuite deux versions des événements, l'une de Marius et l'autre de Sylla. Selon Marius ''Sylla, vivement poursuivi par les factieux, passait devant la maison de Marius, et, contre l'attente de tout le monde, il s'y jeta, sans être aperçu de ceux qui le poursuivaient, et qui, courant avec précipitation, passèrent outre. On dit que Marius lui-même le fit sortir en sûreté par la porte de derrière, et qu'il partit de là pour se rendre à son camp". Mais Sylla, dans ses Commentaires "ne dit pas qu'il eût pris la maison de Marius pour asile; il rapporte qu'il y fut conduit pour y délibérer sur ce que Sulpicius voulait le forcer de faire malgré lui, en l'environnant d'épées nues, et qu'il fut traîné ainsi chez Marius; il n'en sortit que pour aller sur la place, où, suivant le désir du tribun, il cassa l'édit que son collègue et lui avaient fait, pour ordonner la suspension de toutes les affaires''. Que s'est-il vraiment passé? Il n'est pas douteux que Sylla se retrouve devant Marius, pris au piège, le glaive sous la gorge. Que se sont-ils dit? (cliquez ici pour une hypothèse) Comment Sylla est-il parvenu à sortir vivant de la maison de Marius? Une seule chose retenait Marius et Sulpicius, c'est que tous deux craignaient la réaction du peuple et des sénateurs s'ils avaient osé l'assassiner. Mais Marius tenait enfin Sylla, son rival, son ennemi intime, à sa merci et il allait pouvoir assouvir sa vengeance. Marius montrait à Sylla qui était le plus fort et qui gouvernait réellement Rome, c'est-à-dire lui, Marius, et pas le consul Sylla, malgré tous ses succès militaires. Sylla ne put que cèder devant Marius, sauf à perdre la vie, et il conclut un accord avec lui et Sulpicius. Il abrogeait son édit et laissait Sulpicius voter ses lois, et en échange, on le laissait partir en Asie faire la guerre contre Mithridate avec la bénédiction de Marius. Il abandonnait ainsi Rome à Marius et à Sulpicius. Bien encadré par les sbires de Sulpicius, Sylla se rendit au Forum pour abroger son édit et fut ensuite raccompagné chez lui. Puis, à la faveur de la nuit, il quitta la ville et rejoignit ses légions à Nola. Sylla n'avoua jamais qu'il avait conclu un accord avec Marius. Tous deux ont donc menti. SULPICIUS ET MARIUS AU POUVOIR Sulpicius, débarrassé de Sylla en partance pour l'Asie, décida d'éliminer également Quintus Pompeius. Si Marius détestait Sylla, de son côté, Sulpicius vouait une haine féroce à Pompeius Rufus. ''Lorsque Sulpicius exerça le tribunat de la plèbe, une haine mortelle l'opposa à Quintus Pompeius, qui était alors consul, alors qu'il avait été son ami le plus intime et le plus cher. Quels ne furent pas alors, dans le public, la stupeur et le scandale!'' expliquera Cicéron bien plus tard. Autant dire que l'air de Rome devenait irrespirable pour les consuls. Terrassé par la mort de son fils, Pompeius avait quitté Rome et délaissé un temps ses fonctions. Sulpicius en profita pour prétendre qu'il avait aussi renoncé à son poste de consul et il lui ôtat le consulat. Cornelius Sylla et Pompeius Rufus consuls Quintus Pompeius écarté, Sulpicius put faire voter ses lois: les sénateurs ayant des dettes étaient exclus du Sénat et les Italiques se voyaient disséminés dans les 35 tribus de votes. Puis Sulpicius, de manière habile, commença à faire campagne pour Marius… En effet, il avait ôté son consulat à Quintus Pompeius afin d'organiser de nouvelles élections, élire un consul suffect pour remplacer Pompeius et ensuite attribuer à ce nouveau consul le commandement de la Guerre contre Mithridate… Et Gaius Marius put ainsi briguer un septième consulat… Dans le camp des optimates, on était bien décidé à empêcher cela. Mais seul l'orateur Gaius Julius Caesar Strabo, fidèle partisan de Sylla, et un des rares optimates non exclu du Sénat capable de se présenter à l'élection, osa se présenter contre Marius. ''Les prétendants réduits enfin à deux, C. Julius et C. Marius dont le dernier avait été six fois consul, semblaient partager également les suffrages du peuple'' raconte Diodore de Sicile. Cependant, le juriste Antistius, et surtout Sulpicius, s'opposèrent farouchement à Caesar Strabo au motif qu'il osait se présenter au consulat sans avoir été préteur! Pourtant, les sénateurs étaient bien décidés à soutenir sa candidature et on le laissa se présenter à l'élection. Marius et Sulpicius laissèrent faire car, avec la nouvelle répartition des électeurs dans les 35 tribus, Marius était certain d'être élu. Et ce fut Caesar Strabo! Une défaite humiliante pour Marius, une nouvelle victoire éclatante pour le clan de Sylla! Sulpicius réagit immédiatement en proclamant cette élection illégale car la loi romaine n'avait pas été respectée: on avait élu un consul sans qu'il ait exercé la charge de préteur auparavant. Cela donna lieu à de violents affrontements au Forum entre la bande à Sulpicius et les amis de Caesar Strabo. Sulpicius réussit à faire annuler l'élection, Caesar Strabo ne fut pas consul suffect et Gaius Marius non plus. Marius et Sulpicius décidèrent donc de contourner les lois. Sulpicius fit tout simplement voter une loi qui ôtait le commandement de la Guerre contre Mithridate à Sylla pour le donner à Marius, simple citoyen. Rome comprenait enfin qui était son maître… SYLLA MARCHE SUR ROME Parti rejoindre ses six légions qui assiégeaient toujours devant Nola, Sylla était d'humeur très sombre. Il avait failli à sa tâche de consul en laissant Rome aux mains de Marius et de Sulpicius. Sa fille était veuve, Rome en proie aux démagogues, son beau-fils mort pour avoir voulu sauver la République. Il n'avait pas été assez énergique face à Sulpicius. Il pensait pouvoir gérer le tribun de la plèbe en toute légalité. Il l'avait grandement sous-estimé, tout comme Gaius Marius qu'il pensait fini. Et maintenant, il payait son incapacité, ou sa naïveté, au prix fort. Il ne lui restait que le commandement de la guerre contre Mithridate pour sauver son honneur… Il mit quelques jours pour rejoindre Nola et retrouva un peu de moral en voyant que les soldats l'attendaient avec impatience pour partir en Asie. Le consul, avant de s'embarquer, décida de rester quelques jours supplémentaires en Campanie, pour en finir avec quelques bandes samnites qui rodaient toujours. Il du néanmoins avouer à son questeur Lucullus que Marius et Sulpicius avaient désormais pris le pouvoir à Rome… A peine Sulpicius a-t-il fait voter la Lex Sulpicia donnant le commandement de laGuerre contre Mithridate à Gaius Marius, que Caesar Strabo, ou les amis de Sylla, font partir un courrier pour Nola. De son côté, Marius, déjà prêt à partir, envoyait son légat, un de ses neveux, Gratidius, vers les légions de Nola, pour dire aux soldats qu'il en prenait officiellement le commandement. Il s'agissait donc d'agir le plus rapidement possible… Dès que Sylla reçu la nouvelle, ''une rage sauvage le submergea'', dit Orose. Il comprenait à quel point il avait été naïf et stupide de croire que Marius lui laisserait son commandement. Il allait montrer à Marius et à Sulpicius qui était le vrai maître de Rome! Il convoqua immédiatement ses six légions et les harangua. ''Dans sa harangue à son armée, Sylla ne parla que de l'injure qu'il recevait de la part de Sulpicius et de Marius. Il ne s'expliqua ouvertement sur rien de plus, car il n'osa point proposer la guerre contre ses ennemis. Il se contenta d'inviter son armée à être prête à marcher au premier ordre'', raconte Appien. Un peu plus tard, Gratidius arriva dans le camp de Sylla et lui demande de lui remettre le commandement des légions au nom du nouveau proconsul Gaius Marius. Mais ''les soldats massacrèrent le lieutenant, indignés sans doute qu'on les forçât à quitter le chef suprême de la République pour passer sous l'autorité d'un homme qui n'était revêtu d'aucune magistrature'', rapporte Maxime Valère. Ces soldats viennent de se mettre hors-la-loi en assassinant un envoyé des décrets du peuple de Rome. ''Les troupes qui la composaient étaient elles aussi avides de l'expédition contre Mithridate, qu'elles regardaient comme lucrative; et elles craignaient que Marius, s'il partait en effet pour l'Asie, ne prît avec lui de préférence d'autres légions'', révèle Appien. Craignant désormais que Gaius Marius ne parte en Asie avec d'autres légions après avoir tué son légat, les centurions se réunissent et décident d'aider leur consul légal et général en chef à reprendre le pouvoir à Rome. Ils allèrent donc trouver Sylla ''et lui commandèrent de les mener hardiment à Rome'', dit Appien. C'était très exactement ce que le consul attendait. Sylla laissa Murena et quelques troupes devant Nola et marcha sur Rome à la tête de 35 000 légionnaires, fort de son imperium, pour mettre un terme à la parodie de gouvernement que Sulpicius et Marius imposaient à Rome. Son questeur Lucius Licinius Lucullus le suivait aveuglément, de même que tous les soldats. Apprenant que Sylla marchait sur Rome, Pompeius Rufus alla rapidement le rejoindre: il voulait la tête de Sulpicius pour venger la mort de son fils… Cependant, ''tous les officiers supérieurs de l'armée, à l'exception d'un seul questeur, l'abandonnèrent. Ils s'enfuirent à Rome, révoltés de l'idée de conduire une armée contre la patrie'', explique encore Appien. Le questeur Lucius Licinius Lucullus A Rome, la nouvelle de l'assassinat de Gratidius et de la marche sur Rome de Sylla et de ses légions est rapidement connue. Sulpicius et Marius auraient pu régler les choses de façon légale mais ils en furent incapables. Marius était dans une telle fureur en apprenant l'assassinat de son neveu, qu'en représailles, il fait égorger les amis de Sylla et livra leurs maisons au pillage! Une haine aveugle submerge Marius qui ne se limite plus seulement à Sylla, mais aussi à son entourage. En ville, la panique s'installe: ''On ne voyait plus que des gens qui changeaient de séjour: les uns fuyaient du camp à la ville, et les autres de la ville au camp'' rapporte Plutarque. Et ce qui reste du Sénat est complètement dépassé par les événements. En faisant appel à ce qui leur restait d'autorité, les sénateurs conjurèrent Sylla de ne pas marcher sur Rome. Ainsi, une première délégation du Sénat rencontra le consul à Aquilum, puis une seconde à Farentium. A chaque fois, Sylla répondit qu'il fallait délivrer Rome de ses tyrans et refusa de faire rebrousser chemin à son armée. En désespoir de cause, le sénat envoya le préteur Marcus Junius Brutus et le préteur Servilius tenter de le raisonner. ''Comme ils parlèrent à Sylla avec beaucoup de hauteur, les soldats voulurent les tuer; mais ils se contentèrent de briser leurs faisceaux, de déchirer leurs robes de pourpre, et de les renvoyer, après leur avoir fait mille outrages. Quand on les vit revenir avec une tristesse morne, dépouillés des marques de leur dignité, leur vue seule annonça que la sédition allait éclater avec violence, et qu'elle était sans remède'' raconte Plutarque. Néanmoins, pour faire croire qu(une issue pacifique était encore possible, le consul répondit aux délégations successives ''que, si le sénat, Marius et Sulpicius voulaient se réunir avec lui dans le Champ de Mars, il se soumettrait à ce qui serait déterminé'', explique Appien. Les deux consuls firent ainsi croire qu'ils allaient s'installer à quelques distances de Rome, mais en arrivant sur place, ils n'en firent rien et Sylla fit entrer ses légions dans Rome mi-novembre aux sons des trompettes et enseignes déployées. Tout d'abord, il envoya ses lieutenants Lucius Basillus et Gaius Mummius avec une légion prendre la porte Esquiline, située à l'est. Lui-même suivait à la tête de deux autres légions. Basillus entre facilement dans la ville, mais ''les habitants, qui étaient sans armes, montent sur les toits des maisons, et font pleuvoir sur lui une grêle de tuiles et de pierres qui l'empêchent d'avancer, et le repoussent même jusqu'au pied des murailles. Sylla survient en ce moment, et, voyant ce qui se passe, il crie à ses soldats de mettre le feu aux maisons, et, lui-même prenant une torche allumée, il marche le premier, et ordonne à ses archers de lancer sur les toits leurs traits enflammés'' raconte Plutarque. Face à cette menace, la pluie de projectiles s'arrête immédiatement. De son côté, Pompeius Rufus s'est emparé avec sa légion de la porte Colline, située au nord de la ville. Une cinquième légion, commandée par Lucullus va prendre position au Pont de Bois, situé à l'Ouest et la sixième légion est postée en réserve. Les consuls contrôlent désormais tous les accès à la cité. En progressant, Sylla et ses trois légions rencontrent les troupes de Marius et de Sulpicius sur le marché Esquilin. Et les rues de Rome se transforment alors en un vrai champ de bataille. Les partisans de Sulpicius, habitués au combat de rues, eurent d'abord le dessus sur les légions du consul. Alors Sylla ''prit de sa propre main une enseigne, et affronta le péril, afin que la honte d'abandonner leur chef et l'opprobre attaché à la perte de leur enseigne, si elle leur était enlevée, ramenassent immédiatement les fuyards à la charge'', rapporte Appien. Dans le même temps, il fait venir un renfort de troupes fraîches et envoie une légion dans le quartier de la Subura pour prendre Marius et Sulpicius à revers. Les troupes de Marius commencèrent à plier. Le général appela alors les citoyens à combattre avec lui, puis il promit la liberté à tous les esclaves qui prendraient les armes avec eux. Seuls… trois esclaves vinrent les rejoindre. La bataille était perdue pour Marius et Sulpicius. Abandonnant là leurs combattants, ils quittèrent précipitamment la ville, accompagnés des sénateurs qui s'étaient rangés à leur côté. Sylla entrant dans Rome la flamme à la main Sylla était désormais le maître de Rome ''par le fer et par la flamme'' selon l'expression de Plutarque. Quelques légionnaires, enhardis par la victoire, commencèrent à se livrer au pillage dans la Via Sacra. Le consul les fit immédiatement exécuter devant tous ses hommes: aucun soldat de Rome n'avait le droit de s'en prendre à Rome. Puis les consuls postèrent des légionnaires à tous les endroits stratégiques de la ville. Sylla et Pompeius Rufus passèrent la nuit suivante à se rendre dans tous les quartiers rassurer la population et leur dire que l'ordre était rétabli. Puis, au lever du jour, les consuls convoquèrent une Assemblée du Peuple. ''Ils déplorèrent la condition de la République, qui, depuis longtemps, était livrée à l'influence des démagogues; et ils s'excusèrent de ce qu'ils venaient de faire, sous l'empire de la nécessité'', rapporte Appien. MARIUS DECLARE ENNEMI PUBLIC Les consuls convoquèrent le Sénat peu après. Lucius Sylla ''qui tenait Rome sous la force des armes, avait assemblé le Sénat, car il avait le plus vif désir de faire sans délai déclarer Marius ennemi public'', rapporte Maxime-Valère. Les sénateurs n'osèrent pas contrarier la décision du consul et donnèrent leur approbation. Seul Quintus Mucius Scaevola l'augure, qui avait marié sa petite-fille au jeune Marius, refusa de la donner. ''Comme Sylla le pressait avec des menaces: "Tu peux, dit Scaevola, étaler à mes yeux les troupes dont tu as investi l'enceinte de cette assemblée, tu peux réitérer tes menaces de mort, jamais tu n'obtiendras que, pour conserver les faibles restes d'une vie épuisée par l'âge, je déclare Marius ennemi public, Marius à qui Rome et l'Italie doivent leur salut", révèle encore Maxime-Valère. Enfin, par un sénatus-consulte, Sylla fit déclarer ennemis du Peuple Romain: Publius Sulpicius Rufus, Gaius Marius, Marius le Jeune, Publius Cethegus, Marcus Junius Brutus, Gnaeus Servilius Caepio, Quintus Granius, Publius Albinovanus, Marcus Plaetorius, Rubrius Varron et deux autres encore dont l'Histoire n'a pas retenu le nom. ''Ce décret fut motivé sur ce qu'ils avaient provoqué la sédition, porté les armes contre les consuls, et appelé les esclaves à la révolte par la promesse de la liberté. Il fut permis à qui les rencontrerait de les tuer impunément, à quiconque les saisirait de les traduire devant les consuls. Leurs biens furent confisqués'', explique Appien. Ce décret passa très mal auprès du peuple et Sylla perdit immédiatement sa popularité en condamnant Marius. En effet, souvenons-nous que Marius avait dit à qui voulait l'entendre qu'il avait aidé Sylla à échapper à l'anti-sénat de Sulpicius! Plutarque raconte le malaise qui s'empara alors de Rome: ''Si, au lieu de le relâcher, il l'eût abandonné à Sulpicius, qui voulait le massacrer, Marius se rendait maître de Rome: il l'avait cependant renvoyé; et Sylla, peu de jours après, ayant le même avantage sur Marius, n'usa pas envers lui de la même générosité''. Publius Sulpicius fut rapidement retrouvé. Il fut dénoncé par un de ses esclaves et des cavaliers le retrouvèrent caché dans les marais de Laurente. Traduit devant les consuls, il fut égorgé sur le champ. Le consul Sylla fit exposer sa tête sur les rostres afin que cela décourage, non seulement les futurs démagogues, mais aussi tous ceux qui auraient la mauvaise idée de s'opposer à lui… Comme promis par le décret, l'esclave qui avait dénoncé Sulpicius fut affranchi… pour être aussitôt précipité du sommet de la roche Tarpéienne. Justice était faite. Les rostres De leur côté, Marius le Jeune et Publius Cethegus réussirent à trouver un bateau et décidèrent d'aller se réfugier en Numidie, à la cour du roi Hiempsal, pour lui demander son aide. Gaius Marius réussit lui aussi à prendre un bateau, avec l'intention d'aller en Afrique. Sylla avait lancé des cavaliers à sa poursuite: il souhaitait voir Marius traduit devant lui comme lui-même avait été traîné aux pieds de Marius par les sbires de Sulpicius. Malheureusement pour Gaius Marius, les vents furent contraires, et après diverses aventures, il finit par se retrouver seul et nu au beau milieu des marécages! Et Marius n'avait pas que Sylla comme ennemi! Un certain Geminius, citoyen de Terracine, apprenant le décret dont était frappé Marius, envoya immédiatement des hommes à sa poursuite. Et ce sont ceux-ci qui le trouvèrent dans le marécage ''nu et disparaissant dans une vase qui ne laissait à découvert que ses yeux et son nez'', précise Velleius Paterculus. A Minturnes, où Marius fut conduit, nu, attaché et une lanière de cuir autour du cou (!), les magistrats votèrent finalement sa mise à mort, mais aucun citoyen ne voulu s'en charger. ''On envoya pour le tuer un esclave public, armé d'une épée. C'était précisément un Germain qui avait été fait prisonnier par notre général dans la guerre des Cimbres'', dit encore Velleius. ''A la vue de ce vieillard sans défense et d'un extérieur misérable, ce Cimbre resta le glaive à la main sans oser l'attaquer'', précise Maxime-Valère. Et, ''dès qu'il reconnut Marius, il poussa un grand gémissement et montra ainsi qu'il s'indignait du sort d'un tel homme. Jetant son épée, il s'enfuit de la prison'', continue Velleius. ''L'étonnement d'abord, ensuite la compassion et le repentir, gagnèrent bientôt toute la ville. Les magistrats se reprochèrent la résolution qu'ils avaient prise, comme un excès d'injustice et d'ingratitude envers un homme qui avait sauvé l'Italie, et à qui l'on ne pouvait sans crime refuser du secours. ''Qu'il s'en aille, disaient-ils, errer où il voudra, et accomplir ailleurs sa destinée; et prions les dieux de ne pas nous punir de ce que nous rejetons de notre ville Marius, nu et dépourvu de tout secours'', raconte Plutarque. Finalement, les citoyens de Minturnes lui donnèrent des vivres, vêtements, de l'argent et même un bateau pour quitter l'Italie. Il arriva sur l'île d'Aenaria où il retrouva Quintus Granius et ''se dirigea vers l'Afrique où il mena une vie misérable dans une hutte au milieu des ruines de Carthage'', dit encore Velleius. Marius sur les ruines de Carthage La province d'Afrique était alors gouvernée par Publius Sextilius, et celui-ci avait reçu le décret du Sénat concernant Gaius Marius. Apprenant que celui-ci s'était réfugié à Carthage, il lui envoya aussitôt un de ses licteurs. Allant à la rencontre de Marius, le licteur lui dit: ''Marius, le préteur Sextilius te défend de mettre le pied sur la terre d'Afrique, ou, sinon, il te déclare qu'il exécutera le décret du Sénat, en te traitant comme ennemi public de Rome''. A cette déclaration, Marius demeura muet de douleur et d'abattement; il resta longtemps immobile et lança au licteur des regards terribles. Et comme celui-ci lui demandait quelle réponse il le chargeait de porter au préteur, il poussa un profond soupir, et dit: ''Dis-lui que tu as vu Marius assis sur les ruines de Carthage''. SYLLA RESTAURE LA REPUBLIQUE A Rome, le calme est vite revenu après l'exécution de Sulpicius. Les deux consuls, ne voulant plus que, désormais, des tribuns de la plèbe comme Saturninus ou Sulpicius tentent un coup d'état, promulguèrent toute une série de lois visant à casser le pouvoir des démagogues. Comme l'explique Florus: ''Toutes les séditions ont leur origine dans le pouvoir des tribuns: sous prétexte de protéger la plèbe, ils s'efforçaient de capter l'attention et la faveur du peuple par le biais de lois agraires, frumentaires et judiciaires''. - La première loi abrogeait toutes les lois de Sulpicius passées depuis la révocation du Iustitium. - La seconde loi précisait de recruter 300 nouveaux sénateurs, afin de regarnir les rangs décimés par les lois de Sulpicius. - La troisième Lex Cornelia Pompeia fit qu'aucune loi ne pourrait être proposée aux comices tributes sans avoir au préalable reçu l'aval du Sénat. Les tribuns de la plèbe avaient ainsi un pouvoir limité. Sylla et les optimates ne faisaient qu'annuler la Lex Hortensia vieille de plus de deux siècles. - Concernant la quatrième loi, ''Ils firent statuer également que, dans les élections, on voterait, non point par tribus, mais par centuries, ainsi que le roi Tullus Hostilius l'avait établi. Ils s'imaginèrent que, de ces deux mesures, il résulterait que nulle loi ne serait présentée au peuple qu'elle n'eût préalablement été admise par le Sénat; et que, dans les élections, l'influence étant transférée des citoyens les plus pauvres et les plus audacieux à ceux qui avaient de la fortune et de la prudence, il n'y aurait plus de ferment de sédition'' précise Appien. Cependant, les nouveaux citoyens Italiques restaient repartis dans les 8 nouvelles tribus spécialement créées pour eux. - La cinquième loi précisait que désormais, ce serait l'Assemblée Centuriate, composée des sénateurs et des chevaliers de la première classe, et non plus l'assemblée du peuple qui voterait les lois. - La sixième loi, la Lex Unciaria, proposait de remettre une partie des dettes et de limiter les taux d'intérêts à 10%, ce qui devait calmer à la fois créanciers et débiteurs bien accablés par la Guerre Sociale. - Enfin, une septième loi agraire donnait aux vétérans des terres prises aux Italiques ayant continué à résister à Rome. Etaient concernés par cette loi les villes de Pompeii, Faesulae, Hadria, Telesia, Grumentum et Bovianum. Les six légions de Sylla étant encore en ville à ce moment là, personne ne s'opposa à cette nouvelle législation… D'autre part, ces lois s'imposaient car le prestige du Sénat avait fortement été mis à mal par les lois pernicieuses et antirépublicaines de Sulpicius. LE SERMENT CONSULAIRE Maître de Rome par la force des armes, Sylla refusa de transformer la République en une monarchie, alors que certaines de ses lois auraient pu laisser penser le contraire. Ce qui l'intéressait, c'était d'aller faire la guerre à Mithridate, pas de régner sur Rome. D'autre part, Sylla pensait sincèrement que les lois romaines républicaines et une attitude responsable du Sénat suffiraient pour l'avenir à lutter contre des démagogues tels que les Gracques, Saturninus, Sulpicius ou Marius. Pensant avoir pris toutes les mesures utiles pour restaurer la République de ses ancêtres, il renvoya ses légions l'attendre à Capoue et continua à assumer ses fonctions de consul. La fin de leurs consulats ne fut pas de tout repos pour Lucius Cornelius et Quintus Pompeius. En effet, ''les partisans des proscrits, ceux surtout qui avaient le plus de fortune, plusieurs femmes riches, commencèrent à respirer par l'éloignement des troupes, et à se remuer avec beaucoup de zèle pour le retour de ces citoyens. Ils n'épargnaient pour cela ni soins ni dépenses. Ils environnaient d'embûches la personne des consuls, parce qu'ils sentaient que, tant qu'ils seraient revêtus de l'autorité, le retour des proscrits serait impossible'', dit Appien. En bref, les amis de Julia, la femme de Marius, se mobilisèrent pour réclamer le retour de Marius père et fils, mais aussi de Brutus, Cethegus, Granius et des autres. Sylla évitait donc de se montrer en public sans être accompagné de sa garde prétorienne. Sylla et Pompeius doivent rester à Rome jusqu'à la fin de l'année pour présider aux nouvelles élections. Sylla craignait en effet qu'une fois éloigné de Rome, ses lois ne soient abrogées et que les démagogues ne reviennent au pouvoir. Aussi, les optimates refusèrent que Quintus Sertorius se présente à l'élection de tribun de la plèbe, au titre qu'il était trop populaire auprès du peuple et pourrait à nouveau soulever les foules. Cette attitude blessa très vivement Sertorius, lui qui avait perdu un œil pendant la Guerre Sociale. De son côté, Sylla ne fit rien pour s'opposer à la décision de sa faction, sachant que Sertorius était trop proche de Marius à son goût. A partir de ce moment, Sertorius voua une haine farouche à Sylla. Quintus Sertorius Sylla chercha donc à ce que les futurs consuls élus soient des hommes proches de lui. Il n'hésita donc pas à soutenir des membres de sa famille, soit son neveu Sextus Nonius Sufenas et un certain Servius, peut-être son cousin. De son côté, Caesar Strabo n'osa sans doute pas se représenter. Cependant, le patricien Lucius Cornelius Cinna, qui avait déjà été préteur, voulait être élu consul. Cinna était connu pour être un homme corruptible, penchant du côté des démagogues, mais il était populaire auprès du peuple et des sénateurs. Sylla ne voulait donc pas s'en faire un ennemi, et voyant qu'il allait être élu, il entreprit de le convaincre de rejoindre sa faction. De son côté, Cinna ne voulait en aucun cas se faire un ennemi de Sylla; il lui convenait donc très bien de devenir son ami. Et Cinna, grand comédien lui aussi, osa prêter serment en public en faveur des lois de Sylla pendant sa campagne électorale afin de convaincre aussi la faction optimates. ''Cinna était monté au Capitole, tenant une pierre dans sa main, et là, en présence d'une foule considérable, il avait prononcé son serment, avec cette imprécation: ''Que s'il ne gardait pas à Sylla l'affection qu'il lui promettait, il priait les dieux de le chasser de la ville comme il allait jeter cette pierre loin de sa main''. En disant ces mots, il laissa tomber la pierre'', relate Plutarque. Le seul pouvoir qui restait aux tribus était celui d'élire les magistrats. Aussi, en représailles, Romains et Italiens votèrent en masse contre les protégés du consul. Sextus et Servius ''furent ignominieusement rejetés dans les élections; et les Romains nommèrent ceux dont ils croyaient que l'élévation mortifierait le plus Sylla'', explique Plutarque. Gnaeus Octavius Ruso et Lucius Cornelius Cinna furent donc élu. Ironiquement, Sylla se félicita du résultat de cette élection: ''Le peuple me prouve bien que je lui ai rendu sa liberté, puisqu'il n'en fait qu'à sa tête''. Assuré du soutien de Cinna, ''Sylla savait qu'Octavius était fort estimé pour sa modération, et il se flattait qu'il n'exciterait aucun trouble'', explique Dion Cassius. Avec ces deux consuls dans sa faction, le sénat conforta Sylla dans son proconsulat d'Asie et l'assura de son imperium dans la guerre contre Mithridate. ''Quant à Quintus Pompeius, l'autre consul, le peuple lui décerna le commandement de l'Italie, ainsi que de l'autre armée qui y était alors, sous les ordres de Gnaeus Pompeius'' dit Appien. |