Tusculum, deux jours avant les calendes de sextilis

Sylla arriva à Tusculum bien après la tombée de la nuit. Sa propriété était l'une des plus belles de la ville. Il avait pu se permettre de l'acheter à son retour de Cilicie, grâce à l'argent que lui avait donné Ariobarzane, pour le remercier de l'avoir remis sur son trône. La demeure avait autrefois appartenue à Scipio Aemilianus. Sylla l'avait toute repeinte, agrandie et décorée à son goût; il aimait le marbre et la mosaïque, les peintures murales et l'art grec. En véritable esthète, il préférait la qualité à la quantité. Sa villa recelait peu d'objets d'art, mais toutes ces œuvres étaient originales et de grand prix. Sa préférée: une petite statue d'Aphrodite en or et en pierres précieuses qu'il avait trouvée parmi un butin arraché à des pirates qui sillonnaient la côte cilicienne. Le visage d'Aphrodite lui rappelait celui de son ancienne maitresse Nicopolis…

Toute la villa était endormie. Moins d'une dizaine de serviteurs entretenaient la maison en son absence. Il avait laissé le cheval de Sulpicius à l'entrée de la ville. Le faire entrer dans son écurie aurait été un mauvais présage; l'imperator connaissait trop bien l'histoire du Cheval de Troie. "Ne jamais faire entrer le cadeau d'un ennemi dans sa demeure". Sylla se dirigea vers son cabinet de travail. Son vieil esclave Manius, ayant le sommeil léger, arrivait déjà avec une lampe à huile. Manius ne posait jamais aucune question et savait rester très discret. Manius servait les Sulla depuis longtemps. Il n'avait jamais voulu être affranchi malgré que Sylla lui ait plusieurs fois proposé. Où serait-il allé? Il avait passé presque toute sa vie sur la propriété agricole de la famille, la voyant se morceler au fil des générations. Sylla, qui appréciait son sens pratique, ainsi que son souci d'économie, l'avait nommé intendant du domaine dès la mort de son père. A 70 ans passés, fatigué par des années de rude labeur, Sylla l'avait fait transférer à sa villa de Tusculum, où il finissait tranquillement ses jours, à s'occuper d'entretenir le délicat jardin de son maître. Manius entreprit d'apporter du vin et de la nourriture. Il ne fit aucune remarque en découvrant la figure écarlate et ravagée du consul. Il comprit qu'il avait du se passer quelque chose de très grave à Rome. Plutôt que de poser d'inopportunes questions, il apporta sans bruit une tunique propre, et décida d'aller réveiller les autres esclaves pour qu'on lui prépare un bain sans tarder, ainsi que des soins.

Sylla prit plusieurs parchemins, un calame et un flacon d'encre, puis s'installa à son bureau. Il avait retrouvé toute sa lucidité, mais sa douleur était encore à vif. En les jetant hors de Rome, lui et Pompeius, le jeune Quintus n'aura même pas droit à un véritable éloge funèbre. "Marius et Sulpicius vont se débrouiller pour faire interdire toute manifestation publique en faveur de l'ordre sénatorial". Quintus aurait pourtant mérité un bel hommage, il l'aurait lui-même prononcé. Quintus était mort en soldat, en combattant pour la sauvegarde de la République. Et maintenant, il devait écrire à sa fille…

"Ma très chère fille, ton époux bien aimé est mort, comme tu dois désormais le savoir. C'est avec une infinie tristesse que j'ai appris son assassinat. Il est mort en héros, pour défendre le Sénat et la République. Je veillerais à ce que son sacrifice ne soit jamais oublié, à ce que ses enfants soient très fiers de leur père. Je dois aussi te demander aussi pardon. Quintus est mort parce qu'il a voulu nous protéger, ton beau-père et moi, des infâmes voyous de Sulpicius qui ont osé s'en prendre à la personne des consuls. Ils ont violé les lois les plus sacrées de la République! C'est un acte odieux que je ne laisserais pas impuni, je t'en fais le serment sur la tête de mes petits-enfants! Laisse libre cours à ton chagrin ma fille, mais je te supplie de faire attention à toi et d'enterrer ton mari dans la plus grande discrétion. Ne provoque pas Sulpicius par ta légitime colère. Je me charge personnellement de venger sa mort. Et pour quelque temps, quitte ta demeure, et toi et Dalmatica allées vous mettre sous la protection de votre cousin Metellus Pius le temps que durera mon absence. Fais comme je te le demande. Vale".

Sylla écrivit ensuite une seconde lettre pour rassurer Dalmatica. Il aurait voulu que sa fille et sa femme quittent Rome mais, outre que le déplacement de Metella était dangereux pour une femme enceinte, leurs départs précipités auraient fait comprendre à tous que les consuls ne contrôlaient plus la Ville, ce qu'il se refusait à tolérer. Il écrivit une troisième lettre à Metellus, l'invitant à veiller sur sa famille, puis une quatrième lettre à Caesar Strabo: coûte que coûte, il devait contrer l'influence du tribun de la plèbe auprès des citoyens. Cela étant fait, il convoqua Manius et le jeune Athenius.

LS: Je vous charge d'aller tous les deux à Rome pour remettre ses courriers. Oui, toi aussi Manius. Tu es mon serviteur en qui j'ai le plus confiance et il s'agit de messages très importants. Je te demande aussi de veiller sur ma femme et sur ma fille pendant que je serais absent de Rome. En partant maintenant, vous serez à Rome avant la fin de la matinée. Prenez les chevaux les plus rapides. Allez.

Les deux esclaves s'exécutèrent promptement. Sylla, estimant que le plus urgent avait été fait, s'accorda le droit de se restaurer. Il bu tout le vin que Manius avait laissé sur le bureau, ce qui lui permis d'apaiser un peu sa douleur. Il alla ensuite se plonger dans un bain chaud dans lequel il s'endormit rapidement…

Les douces caresses d'Artémis le réveillèrent avant que l'eau n'ait refroidie. La jeune esclave avait été une de ses dernières acquisitions avant son mariage avec Dalmatica. A Rome, tous les marchands d'esclaves savaient qu'il était grand amateur de jolies femmes et que les grecques étaient ses préférées. Mais attention, Sylla détestait les idiotes. Il avait fait fermer plusieurs boutiques à Rome pendant qu'il était préteur urbain rien que parce que certains avaient osé le flouer sur la marchandise. Artémis entreprit de masser son torse et ses épaules, ce qui le délassa profondément. Sylla aimait sa souplesse et son doigté. "Au moins, j'ai manqué à quelqu'un" pensa-t-il en soulevant Artémis et en la portant vers son lit...

Sylla ne se réveilla qu'au milieu de l'après-midi. Artémis insista pour qu'il attende le lendemain pour partir. Il se laissa facilement convaincre, d'autant plus qu'il espérait que ses amis lui enverraient les dernières nouvelles de Rome. En attendant, il se laissa soigner ses coups de soleil entre les mains expertes de son esclave. Dans la soirée, il s'attarda dans son salon pour contempler la peinture qu'il préférait: l'armée d'Aesernia lui décernant la couronne d'herbe. Le peintre le représentait en Apollon militaire s'agenouillant devant un jeune soldat qui lui déposait la frêle couronne de gazon sur sa tête dans un magnifique rayon de lumière. Au premier plan, la plaine verte où s'était déroulée la bataille. Des ennemis samnites gisaient. Au second plan, lui, le soldat et la couronne. Au troisième plan, l'armée qu'il avait libérée qui l'acclamait et le saluait. En toile de fond, les murs d'Aesernia et son armée. La fresque occupait quasiment tout un mur. Sylla s'approcha et toucha du doigt la couronne d'herbe. "La plus haute distinction qu'un Romain puisse jamais obtenir", songea-t-il, rêveur. Il l'avait obtenu et il attachait plus d'importance à ces minces brins d'herbe entrelacés qu'à n'importe quoi d'autre au monde. On aurait pu lui offrir l'empire d'Alexandre le Grand en échange de sa couronne qu'il l'aurait refusé. Entre posséder un Empire ou obtenir la même gloire immortelle que les dieux de l'Olympe, Sylla n'hésitait pas une seconde. Ce qu'il voulait, c'était rejoindre la légende de Rome et avoir son nom porté par les vents pendant plusieurs siècles jusqu'aux confins du monde connu, à l'égal d'Hector et d'Achille, les héros troyens. Il avait délivré Rome de la menace Italique, rentrant couvert de gloire, et maintenant, la déesse Roma en personne l'avait désigné pour aller combattre Mithridate.

"Jusqu'où parviendras-tu à t'élever..?" Il songea qu'en arrivant en Grèce, il faudrait qu'il se rende au sommet du Mont Olympe pour aller prier le tout puissant Zeus. La Grèce… Sylla s'arracha à sa rêverie. Avec amertume, il songea aux idioties de Marius et de Sulpicius. "Par leur faute, je ne pourrais sans doute pas me rendre en Grèce avant l'année prochaine", ce qui signifiait que Mithridate allait s'emparer d'autres territoires et les populations continuer à se révolter. En clair, la guerre serait encore plus longue et plus difficile que prévu. De rage, il commença par jeter une amphore sur sa fresque. "A quoi me sert ma couronne d'herbe si je suis incapable de me faire respecter à Rome!" Une colère folle le submergea. Il se saisit d'une petite table en bois et la fracassa contre les murs, il fit de même avec plusieurs chaises et pots de fleurs. Tous les petits objets en bronze qui étaient à porté de sa main y passèrent. Il réduisit en miettes une statue en pierre de Diane chasseresse pourtant imposante, et ne se calma que lorsqu'il tomba à genoux et à bout de nerfs au milieu du péristyle, sous les regards terrorisés de ses esclaves. Il resta par terre un bon moment, puis Artémis vint se blottir contre lui. Il ne la repoussa pas et commença à la rassurer: son maître était très triste et très en colère, mais il allait mieux maintenant. Artémis tremblait et pleurait. Sylla la serra plus fort et la berça. Quand tout le monde fut rassuré sur son état, il sortit achever de se calmer dans son jardin.

Cela faisait à peine quelques minutes qu'il humait l'air frais du soir que des cavaliers arrivèrent. Sylla se hâta d'aller à leur rencontre. Athenius arriva dans le vestibule couvert de sueur. Le consul reconnu Hector et Parnasius, les esclaves de Lucullus et de Caesar Strabo. Avec eux, de nombreux hommes en armes qui attendaient dans la cour. Sylla retrouva le sourire en voyant la cinquantaine de soldats.

Hector: Ave consul! Nous avons de bonnes nouvelles de Rome. Le calme est revenu dans les rues. Sulpicius et ses chevaliers fêtent leur victoire. Ils disent que tu as bien fait d'annuler les ferie et ils te remercient tous pour cela. Et Marius dit que tu es venu toi-même l'informer que tu quittais la ville. Tous te croient donc parti pour l'Asie.

LS (ironique): Qui irait mettre en doute la parole du sage et intègre Gaius Marius… Avez-vous des nouvelles de mon collègue?

Parnasius: Non, aucunes consul… Mon maître te fait dire que le corps de Quintus Pompeius est parti pour être enterré dignement sur sa propriété dans le Picenum, selon la volonté de votre fille.

LS (toujours ironique): Bien, ma famille est à l'abri et le calme est revenu à Rome, c'est le plus important. Nous partirons demain à la première heure.

Rome, trois jours avant les nones de sextilis

Sur les marches du temple des Dioscures, Caesar Strabo s'époumonait depuis plus d'une heure devant une foule éparse. Le peuple semblait se ficher du triomphe de Sulpicius et de l'absence des consuls. "A part les distributions de blé et la date des prochains jeux rien d'autre ne les intéresse" se désespéra-t-il. Vopiscus renonça à s'époumoner davantage. Il lui fallait savoir ce qu'allait préparer Marius et Sulpicius. Il doutait qu'ils en restent à faire passer une seule loi. Pourtant, cela faisait dix jours qu'il ne s'était rien passé sur le Forum. "A quoi jouent-ils ces deux là..?"

Caesar Strabo n'eut pas à attendre bien longtemps. Le lendemain, Sulpicius harangua la foule du haut des Rostres et réclama le rappel des exilés par la lex varia. Deux ans auparavant, tous ceux qui avaient été soupçonnés d'intelligence avec l'ennemi, c'est-à-dire avec les Italiens, avaient du quitter Rome. Cela concernait surtout les amis du feu tribun de la plèbe Livius Drusus qui n'avait pas eu un alibi assez convainquant. Jusque là, Sulpicius continuait sur sa lancée de "je suis ami avec tous les Italiens" et récoltait toujours un accueil enthousiaste de la part de ses partisans…

Le Sénat se réunit cinq jours plus tard. Les consuls étant absents, Lucius Cornelius Lentulus, le préteur urbain, présidait l'assemblée. Caesar Strabo remarqua que Marius arborait un sourire triomphant qui ne laissait rien augurer de bon. Il se tourna vers ses frères, Lucius Caesar et Lutatius Catulus, qui étaient deux des membres les plus éminents du Sénat. Lucius Caesar, princeps senatus, attaqua le premier.

Le prince du Sénat

LC: Sulpicius a fait un tort énorme au Sénat et à la dignité consulaire en forçant le premier consul Cornelius Sulla à révoquer les ferie. Nous devons voter une sanction immédiate contre le tribun de la plèbe!

De nombreux sénateurs se levèrent et applaudirent les paroles de Lucius Caesar. Tranquille, imperturbable, Marius se leva à son tour et réclama le silence dans la Curie. Par curiosité, tous se turent.

CM: Chers collègues sénateurs. Permettez-moi de faire une remarque: où est le second consul? N'est-ce pas à lui de détenir les fasces consulaires ce mois-ci?

Cornelius Lentulus: Marius, laisse donc le second consul enterrer son fils que tes amis ont lâchement assassiné. Si c'est pour faire des réflexions pareilles nous te demandons de bien vouloir garder le silence.

Au sein du Sénat, Marius n'était plus respecté depuis qu'il avait quitté les champs de bataille de la Guerre Sociale et il était le plus souvent réduit au silence. Depuis que Sylla avait été élu consul, c'était pire: il ne pouvait plus dire un mot. Et aujourd'hui, il allait se venger.

CM: Préteur, le second consul n'a pas d'excuse. Il s'est enfuit lâchement de Rome… Un tonnerre d'insultes se déversa sur lui.

CM: ... il n'a aucune excuse valable pour être absent de son poste. C'est un manquement grave à la République. Il faut le destituer!

Son intervention déclencha les foudres des optimates. Il fallut retenir Publius Crassus père pour qu'il ne se jette pas sur lui. Marius évita de justesse un coup de poing lancé par Lucius Caesar. Cornelius Lentulus décida de suspendre la réunion. Les sénateurs se séparèrent plus divisés que jamais. "Nous y voilà", pensa Caesar Strabo. "Si Pompeius Rufus est destitué, il va y avoir de nouvelles élections consulaires. Et Marius entend bien se présenter. Ce que je ne laisserai pas faire. Mais dans quel but fait-il ça?"

Rome, cinq jours après les ides de Sextlis

La chaleur accablait la Ville, apportant une certaine accalmie sur le Forum. Plusieurs sénateurs étaient partis chercher la fraicheur dans leurs maisons de campagnes, et Marius avait renoncé à son idée folle de vouloir faire destituer le second consul. Mais en échange, Cornelius Lentulus avait du renoncer à ce que le Sénat prenne des sanctions contre Sulpicius. Caesar Strabo avait eu toutes les peines du monde à calmer son frère. Mais comme l'avait dit Sylla, le 10 décembre sera le dernier jour où Sulpicius verra la lumière…

Caesar Strabo était resté en Ville. Il faisait surveiller les allées et venues de Gaius Marius. Il pressentait que le vieux général manigançait quelque chose et il cherchait des preuves de son alliance avec Sulpicius. Mais depuis le départ de Sylla, les deux hommes avaient évités de se rencontrer. Un matin, Vopiscus décida de s'attarder sur le Forum et d'essayer une nouvelle fois d'haranguer les foules depuis les marches du Temple des Dioscures. Rapidement, une dizaine de glaives pointèrent vers lui. Réduit au silence, Caesar Strabo vît alors Sulpicius qui allait tranquillement afficher de nouveaux projets de lois. Quelques instants plus tard, il s'installa sur les Rostres pour son discours quotidien. En l'écoutant, Vopiscus faillit en tomber à la renverse. Et d'un: Sulpicius réclamait la destitution du second consul Pompeius Rufus au motif qu'il avait déserté son poste. Et de deux: Sulpicius réclamait que tous les sénateurs ayant plus de 2000 deniers de dettes soient exclus du Sénat. Caesar Strabo cru qu'il avait mal entendu: Sulpicius prétendait carrément mettre dehors du Sénat… tous les sénateurs!!! C'était pire que dans ses pires cauchemars… Et de trois: Sulpicius réclamait que le consul Lucius Sulla soit démis du commandement de la Guerre contre Mithridate et que celui-ci soit transféré à Gaius Marius! "Sulpicius, tu es un homme mort. Et Gaius Marius aussi", pensa Vopiscus. Dans Rome, la guerre civile venait d'être officiellement déclarée.

Nola, 10 jours avant les calendes de septembre

Lucius Sylla ne savait plus quoi inventer pour occuper ses troupes. Manœuvres, poursuites des Samnites dans les montagnes, mission de ravitaillement, élimination des dernières poches de résistance, blocage de tout ravitaillement pouvant arriver à Nola, mission de pâturages pour les chevaux, etc. Cinq légions attendaient avec impatience de s'embarquer pour l'Asie. Et Sylla n'était toujours pas décidé à quitter l'Italie, ni même à se rapprocher de Brundisium. Comme excuse, il avait décidé de faire tomber Nola avant d'aller faire la guerre à Mithridate. Il lui fallait gagner du temps: il voulait convaincre ses troupes d'aller à Rome régler son compte à Marius, et de leur côté, les légionnaires venaient lui demander tous les jours quand est-ce qu'ils allaient embarquer… "Lucullus, si un seul légionnaire ose encore demander quand nous allons en Grèce, fait le fouetter pour l'exemple!" Sylla était excédé et donc de très mauvaise humeur. Lucullus savait pourquoi. Son imperator lui avait tout raconté en privé, sans en informer les autres officiers. Marius et Sulpicius tenaient Rome et il n'était pas décidé à les laisser faire. Mais pour cela, il avait besoin d'une bonne excuse pour mobiliser les soldats. Et Sylla comme Lucullus savaient qu'aucun légionnaire n'accepterait d'aller faire la guerre à Gaius Marius…

Lucullus

Sylla alla encore une fois examiner les dispositifs du siège. Si une seule chose n'était pas à sa place, si un seul légionnaire avait le malheur de s'endormir au soleil, la sanction était immédiate: c'était la peine de mort sur le champ. Sylla maintenait une discipline très dure dans son camp. Pourtant, la plupart des légionnaires le vénéraient, pour une seule et unique raison, pensait le consul: il avait la réputation de ne jamais perdre une bataille et accessoirement, ses légionnaires étaient payés deux fois plus en butin que dans n'importe quelle autre armée de la République. Du haut des murs de Nola, les frères Telesinus et leurs amis, le reconnaissant, n'hésitèrent pas à lui envoyer quelques insultes très colorées: "Tiens, la Lupa purpura est de retour. Tu t'es déjà fait virer de ton bordel, cara? Si tu t'ennuies, on connait quelques taureaux samnites bien montés qui pourront s'occuper de toi". Tous les Nolanis postés sur les remparts hurlèrent de rire. Depuis les derniers événements du Forum, Sylla avait appris à davantage maitriser ses nerfs. La vengeance était désormais un plat qui se savourait glacé. Cependant… Il prit un arc, choisi soigneusement une flèche et prit tranquillement le temps de viser. Les Samnites se croyaient hors de portée de tir. Sylla tira: la flèche siffla dangereusement près des oreilles d'une sentinelle. Les Samnites ne riaient plus du tout. L'imperator félicita le légionnaire pour son armement et lui offrit une permission. Quant Nola tombera, il fera raser la ville…

Rome, cinq jours avant les calendes de septembre

Pompeius Rufus n'était toujours pas réapparu en ville et Sulpicius se déchaînait tous les jours contre lui depuis les Rostres. Beaucoup de Romains étaient choqués de le voir traiter ainsi son vieil ami. Sulpicius allait trop loin, beaucoup trop loin… Quant le Sénat avait appris ses projets, ce fut la tôlée générale. Des bandes armées s'affrontèrent sur le Forum, mais les partisans de Sulpicius avaient toujours le dessus. Et Sylla était parti pour l'Asie! Le tribun de la plèbe avait déjà tout prévu alors même que ses lois n'avaient pas encore été votées. Il avait déjà recruté parmi la chevalerie italienne près de 600 membres et constitué une nouvelle assemblée qu'il appelait l'Anti-Sénat. Celle-ci entrerait officiellement en fonction dès que le Sénat aurait été épuré. Caesar Strabo avait fait le compte avec ses frères: plus de 270 sénateurs avaient plus de 2000 deniers de dettes. Il ne resterait à siéger au Sénat que Marius et ses partisans qui avaient mis leurs comptes à jour avant les propositions de lois de Sulpicius. Tout avait été prémédité! Vopiscus avait immédiatement fait partir un courrier pour avertir Sylla et Quintus Lutatius Catulus était allé trouver Marius.

Catulus (très calme): Marius, c'est sérieux tout ça? Tu veux vraiment conduire la guerre contre Mithridate?

CM (avachi sur son lit): Quintus, c'est la volonté du peuple! Je n'ai plus qu'à m'incliner devant sa décision.

QC: Tu peux aller demander à Sulpicius de retirer son projet de loi…

CM: Et pourquoi donc le ferais-je?

QC (réaliste): Parce que nous savons tous deux que tu es trop vieux pour aller faire cette guerre. Tu as déjà du renoncer à combattre les Marses à cause de tes rhumatismes. Pour une seule fois dans ta vie, je t'en supplie, soit raisonnable.

CM (de mauvaise foi): Si j'ai renoncé à combattre dans la Guerre Sociale, ce n'est pas à cause de mes rhumatismes, mais parce que j'avais sous mes ordres un tel ramassis d'incapables qu'ils ne savaient même pas tenir un glaive correctement! Au début du printemps, ils ont même assassiné Porcius Cato. Un piètre consul pour une piètre armée, vive la République!

QC (clairvoyant): Et tu penses que l'armée de Sulla ne te mettra pas en pièces quand elle te verra arriver?

CM (se redressant): Quintus, ce sont les légions de Rome, pas celles de Sulla. Elles doivent se soumettre à la volonté du peuple. Je te rappelle que je suis le meilleur général de Rome, ne vous en déplaise à vous, les optimates, et que Mithridate n'est qu'un petit roitelet oriental que Rome remettra à sa place vite fait bien fait. Il est donc normal que ce commandement me revienne.

Marius soldat

QC (atterré): C'est vraiment ce que tu penses Gaius?

CM (entêté): Je pense surtout que Sulla sera totalement incapable de mener une guerre contre un vrai adversaire.

Catulus était sorti de chez Marius presque en pleurant. Son vieil ami était désormais incapable de jauger une guerre sur le terrain. Mithridate, un vulgaire roitelet! Sylla un incapable! Son frère avait raison: Marius était prêt à déclencher une guerre civile. Il fallait faire quelque chose pour empêcher ça. La plupart des optimates se réunirent chez lui le soir même. Ses frères avaient trouvé une idée.

Caesar Strabo: Je vais me présenter aux élections consulaires suffects.

Publius Crassus: Il n'est pas question de laisser Sulpicius destituer Pompeius Rufus!

CS: Si, Crassus, c'est ce que nous allons faire. Mais nous allons anticiper et commencer la campagne électorale dès demain, dès la fin de la réunion sénatoriale dans laquelle vous m'autoriserez à me présenter bien que je n'ai pas encore été élu préteur.

Marcus Antonius: Dis-nous à quoi tu penses..?

CS: Si vous ne l'avez pas encore compris, Marius a décidé de destituer Pompeius afin de pouvoir être élu consul à sa place. Il veut légitimer son commandement auprès du peuple, comme il l'a fait pour Jugurtha. Notre seul recours légal est de l'empêcher d'être élu consul. Je pense qu'en mobilisant tous nos partisans, j'aurais la majorité.

Crassus: Et alors?

CS: Et alors, une fois élu consul, je casse toutes les lois de Sulpicius et nous reprenons le contrôle de la Ville.

MA: Vopiscus, considère que tu as déjà notre autorisation…

...Suite