Nola, 4 jours avant les calendes de septembre

Pompeius Rufus était arrivé au camp deux jours auparavant. Depuis, le second consul passait dans toutes les légions pour expliquer à tous les soldats ce qui était arrivé à son fils: que les sbires de Sulpicius l'avaient assassiné en plein milieu du Forum. A chaque fois qu'il racontait son histoire, il pleurait. Les légionnaires compatissaient sincèrement. Quant aux officiers, ils ne savaient plus s'il fallait l'écouter ou abréger ses souffrances, tellement Pompeius finissait par leur porter sur les nerfs.

Pompeius était arrivé un matin et il s'était immédiatement dirigé vers la tente de son collègue. Celui-ci était en train de discuter avec Lucullus sur le meilleur moyen d'en finir avec la résistance de Nola, avec plus de catapultes ou autres machines de siège. En entrant dans la tente, Pompeius s'était jeté droit à genoux devant Sylla.

Pompeius Rufus: Je te supplie de me confier une de tes troupes d'élites afin d'aller venger la mort de mon fils. Je veux la tête de Sulpicius.

Sylla avait été heureusement surpris de retrouver son collègue, même si celui-ci avait beaucoup changé en l'espace de quelques jours. Il le releva et Lucullus lui versa à boire. Pompeius, en pleurant, leur avait tout raconté: il s'était enfuit lâchement de Rome; c'était une erreur. Mais il avait décidé de rejoindre ses terres dans l'idée de recruter une petite armée afin d'aller combattre les sbires de Sulpicius. Il n'était pas question de laisser le tribun de la plèbe faire la loi à Rome. Il n'était pas encore arrivé chez lui qu'un messager vint lui apporter la nouvelle de la mort de son fils. "Sulpicius n'avait quand même pas osé…" Pompeius avait failli faire un malaise, puis il s'était mis à hurler avec des sanglots déchirants. En arrivant sur ses terres, il avait vieilli d'un coup de plusieurs années… Quelques heures plus tard, le jeune Publius Crassus lui ramenait le corps de son fils. Il passa deux jours à pleurer sur sa dépouille avant qu'il ne consentit à la porter sur le bûcher funéraire. Il prononça un long éloge funèbre, devant ses gens, venus nombreux afin d'assister leur maître dans la peine. Crassus lui avait appris que Sylla était parti pour Nola, puis pour l'Asie. Le bûcher consumé, Pompeius pris la direction du sud. Il espérait rejoindre son collègue avant que celui-ci ne se soit embarqué.

Sylla lui expliqua qu'il était bien dans son intention de ne pas laisser le meurtre de son gendre impuni. L'imperator aussi reconnaissait ses torts. Il n'avait pas écouté Pompeius quand il lui avait dit que Sulpicius était un homme de main, mais pas celui de la chevalerie italienne, celui de Gaius Marius. Le vieux général était un homme aigri. Il avait acheté Sulpicius pour se venger du Sénat et des succès militaires de Sylla. Le jeune Quintus avait fait les frais de leur jalousie en voulant s'interposer. Maintenant, l'imperator voulait bien prêter des troupes à son collègue, "mais va donc leur expliquer qu'un général romain qui s'appelle Sulla veut aller faire la guerre à un autre général romain qui s'appelle Marius, et tu verras qu'ils ne voudront même pas en entendre parler". Par contre, en allant leur raconter ce que Sulpicius avait fait subir à son fils, alors peut-être que…

Depuis deux jours, tous les légionnaires compatissaient donc à la peine du second consul, mais tous ne s'intéressaient qu'à s'embarquer pour l'Asie au plus tôt… Pendant ce temps, Lucius Lucullus était en train de converser au milieu du camp avec d'autres officiers, lorsqu'il vit un cavalier arriver au grand galop. Celui-ci se dirigea directement vers la tente du général en chef. Le questeur s'y précipita, pressentant des informations importantes.

Le messager: Ave consul! Une lettre pour toi de la part de Caesar Vopiscus. Le cavalier donna le message et s'éclipsa de la tente au plus vite, sans respecter le protocole. "Quelle mouche l'a piqué celui-là?" se demanda Sylla en ouvrant la lettre. A peine avait-il lu quelques mots que ses yeux s'agrandir de surprise et qu'il se mit à trembler. Le sang lui monta au visage. Lucullus entra à ce moment-là et il trouva son général assis sur sa chaise curule en train de tordre un papyrus dans sa main avec une expression de surprise non feinte sur sa figure.

"Comment ai-je pu être aussi idiot!" Le regard de Sylla reflétait une colère noire. "Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt! Il me refait le même coup qu'à Metellus! Mais contrairement à Numidicus, il savait que l'assemblée du peuple était de mon côté, alors il a utilisé Sulpicius et les Italiens pour faire basculer les votes en sa faveur… En fait, il n'en a strictement rien à foutre du droit de vote des Italiques! Il a feint de ne s'intéresser à leur sort que pour pouvoir me voler mon commandement", pensa-t-il. Sylla tremblait toujours de rage et d'indignation. Puis il se mit subitement à rire, ce qui inquiéta encore plus Lucullus, pourtant habitué aux sautes d'humeur de son général. Sylla riait franchement, d'un rire nerveux et inextinguible, jusqu'à en pleurer. "Merci Marius! Mille fois merci!! Tu m'offres sur un plateau d'argent le prétexte dont j'avais besoin!".

LS: Lucullus, convoque immédiatement toute l'armée!

Lucullus fit ce que son imperator lui demandait sans poser de question. En moins d'une heure, les six légions étaient rassemblées et la tribune officielle prête. Les légionnaires espéraient que Sylla allaient enfin leur annoncer leur départ pour l'Asie. Quelques uns pensaient davantage à une attaque massive imminente sur Nola. Du haut des murs de la ville, Pontius Telesinus et les Samnites, en voyant ce grand rassemblement, pensèrent que leur dernier jour était arrivé.

Sylla invita son collègue à venir se tenir près de lui. Personne parmi les officiers ne savait encore ce que contenait la fameuse missive. Revêtu de sa tenue d'imperator et de sa couronne de laurier, d'une voix claire et forte, Lucius Sulla entama un discours qui fit l'effet d'une bombe sur toute la légion.

LS: Mes frères d'armes, dans les moments importants, Sylla appelait les légionnaires ainsi depuis que l'armée lui avait décerné son titre d'imperator, j'ai reçu un message de Rome qui vous concerne personnellement et que je souhaiterai vous lire. "De Caesar Vopiscus à Lucius Sulla premier consul, salut! Le tribun de la plèbe Publius Sulpicius a fait afficher de nouvelles propositions de lois qui seront soumises au vote dans quelques jours. Les voici: première loi: la destitution du second consul Pompeius Rufus, au motif qu'il a déserté son poste de sénateur. Seconde loi: que tous les sénateurs ayant plus de 2000 deniers de dettes soient exclus du Sénat. Troisième loi: que le consul Lucius Sulla soit démis de son commandement de la guerre contre Mithridate et que celui-ci soit transféré à Gaius Marius. Vale!"

Sylla laissa le temps aux hérauts de transmettre ses paroles. Pompeius s'était figé sur place à l'annonce de la première loi. Les officiers sursautèrent en se demandant s'ils avaient bien entendu à l'annonce de la seconde loi. Quant à la troisième, elle déclencha un immense brouhaha parmi les hommes de troupes. Sur sa tribune, l'imperator était imperturbable. Son visage ne trahissait aucune émotion.

LS: Silence!!! Un tribun de la plèbe croit pouvoir faire la loi à Rome en ce moment alors que vos deux consuls sont présents à vos côtés pour terminer la Guerre Sociale et en préparer une autre, plus difficile encore, contre le roi du Pont qui a odieusement fait massacrer tous les citoyens romains d'Asie. Vos deux consuls ici présents gèrent des affaires cruciales pour l'avenir de la République, et que se passe-t-il à Rome pendant ce temps là? A Rome, un tribun de la plèbe croit pouvoir se permettre de démettre un consul de ses fonctions! Oui, cela ne vous concerne pas, soldats. Nous sommes d'accord: ce qui est important, c'est la guerre! Mais un tribun de la plèbe peut-il impunément destituer un consul dont le seul crime aura été d'aller enterrer son fils que ses partisans ont odieusement tué? Comme vous, je suis indigné d'un tel procédé, honteux et inqualifiable! Mais nous sommes toujours d'accord: nous avons des choses plus urgentes et importantes à faire: c'est d'aller faire la guerre à Mithridate! Oui, mais voilà, cette guerre, vous irez la faire sans moi! (Brouhaha parmi les légionnaires). Oui, sans votre imperator, car bientôt, moi aussi je ne serais plus consul! Le tribun de la plèbe Sulpicius Rufus estime qu'il est crucial pour la République de mettre hors du Sénat tous les sénateurs ayant plus de 2000 deniers de dettes. Je comprends le peuple et je vous comprends en tant que citoyens. Vous souhaitez des hommes honnêtes et intègres pour diriger la République. Et vous le méritez, quirites! Je suis donc au regret de vous annoncer qu'ayant moi-même plus de 2000 deniers de dettes, je serais exclu du Sénat. Selon le tribun de la plèbe Sulpicius, je ne mérite donc plus de diriger la République! (Le brouhaha devient plus fort) Effectivement, c'est ennuyeux, mais le tribun Sulpicius a pensé à tout puisqu'il souhaite logiquement m'enlever mon commandement pour le transférer au grand Gaius Marius!

Sylla effectua une nouvelle pose et les légionnaires commencèrent à parler entre eux. Personne ne semblait vraiment comprendre ce qui se passait à Rome. Pourquoi leur consul ne devait plus les commander? Seulement parce qu'il avait des dettes???

LS: Silence!!! Pour ma part, je m'inclinerai devant le vote du peuple si tel est son choix, puisque je ne mérite plus de diriger la République. Mais à titre personnel, je considère cela comme une véritable injure de la part de Publius Sulpicius et de Gaius Marius! Qu'ai-je fait pour mériter une telle sanction? N'ai-je pas assez bien combattu contre les Marses? N'est-ce pas assez que d'avoir délivré une légion, plusieurs villes, battus plusieurs armées ennemies? N'ai-je pas assez mérité de la République? Dois-je rendre ma couronne d'imperator et ma couronne d'herbe au titre que je ne les méritais pas non plus? Dois-je aller m'excuser à genoux devant l'assemblée du peuple pour ne pas avoir capturé Jugurtha assez rapidement? Pour ne pas avoir vaincu les Cimbres en un seul combat? Pour avoir eu besoin de deux étés pour vaincre les Italiques? N'ai-je donc pas mérité mon titre de consul? Non, selon Publius Sulpicius, je n'en ai pas encore assez fait pour la République! Je n'ai pas été capable de maîtriser mes dettes! Je suis donc incompétent! Soit! Que le commandement de la guerre contre Mithridate soit confié à Gaius Marius! Le grand Gaius Marius… qui a quitté le terrain de la Guerre des Marses pour aller soigner ses rhumatismes! Mais sa vieillesse ne doit pas vous inquiéter. Pas plus que sa lourdeur pour manier des armes, son hésitation à combattre un ennemi! Il est le grand Gaius Marius!!! Jusqu'à ce que ces lois soient officiellement votées par le peuple, je resterais à vous commander. Je resterais à votre côté comme je l'ai toujours été! Ensuite, je retournerai à Rome m'excuser auprès du peuple. Et vous viendrez avec moi! Oui, je serais peut-être démis de ma fonction de consul, mais en tant qu'imperator, j'ai le droit de célébrer mon triomphe! Nous avons le droit de célébrer notre triomphe! Car nous l'avons tous bien mérité! Et je vous veux tous! Toutes les six légions avec moi! Vous viendrez défiler dans les rues de Rome devant Publius Sulpicius et Gaius Marius! Ensuite, je vous démobiliserai et peut-être que Marius vous réengagera, s'il n'a déjà pas recruté une autre armée… Quand je recevrais la confirmation de ma démission, je vous demanderais d'être prêt à marcher à mon premier ordre! Vous pouvez disposer.

Quelques instants plus tard, Sylla avait regagné sa tente avec Pompeius et Lucullus. Il avait demandé à ses officiers de bien expliquer son discours aux légionnaires. Pompeius était secoué.

PR: Je n'y crois pas! Un simple tribun de la plèbe n'a pas le droit de destituer un consul! Ni même un vote de l'assemblée du peuple!

LS: Non, ils n'ont aucun droit et c'est pourtant ce qu'ils vont faire, répondit Sylla avec un grand sourire.

PR: Qu'est-ce qui t'amuses autant? demanda Pompeius avec une mine sombre.

LS: Mon cher Pompeius, Sulpicius et Marius pourront s'amuser à faire voter toutes les lois qu'ils veulent, jamais ils ne pourront m'enlever mon titre d'imperator.

PR: Parce que tu penses qu'ils te laisseront célébrer ton Triomphe?

LS: Quintus, tu ne comprends donc pas? Sylla souriait toujours.

Lucius Lucullus: Tu comptes rester imperator jusqu'à ce que tu ais célébré ton Triomphe. Donc, si Marius et Sulpicius ne te l'accordent pas, tu ne démobiliseras pas ton armée. Marius ne pourra donc pas l'emmener avec lui en Asie.

LS: Bien Lucullus!

LL: Marius devra donc recruter une nouvelle armée de cinq légions qu'il devra former, pendant que tu conserveras la tienne… Mais ça va être la guerre civile!

LS: Nous n'irons pas jusque là, du moins je l'espère. Ce qu'il faut faire comprendre aux légionnaires, c'est que Marius n'ira pas avec eux en Asie, mais moi si!

PR: Tu pourrais t'embarquer immédiatement et passer outre les lois de Sulpicius…

LS: Oui, nous pourrions le faire, et puis quoi Pompeius, nous laissons le chaos s'installer dans la République? C'est nous les consuls, Pompeius. C'est à nous qu'il incombe de rétablir la situation.

PR: Par les armes?

LS: Tu as une meilleure idée?

PR: Non…

LL (incrédule): Vous n'allez quand même pas marcher sur Rome avec six légions?!?

LS (direct): Tu es avec nous Lucullus?

LL (déterminé): Et comment!

Dans la soirée, le centurion primipile Lucius Bellienus demanda à s'entretenir avec son général.

Lucius Bellienus: Ave imperator! Voilà, je viens de la part de toute la légion et nous ne sommes pas sûrs d'avoir bien compris ton discours. On voudrait savoir quand on va partir pour l'Asie?

LS: Je crains que vous ayez au contraire très bien compris. Je vais être démis de mon commandement militaire par un vote de l'assemblée du peuple et c'est Marius qui va aller faire la guerre à Mithridate.

LB: Pardonnes-moi imperator, mais, et nous là-dedans? On part avec Marius?

LS: Je crains que non…

LB: Pourquoi?

LS: Oh, c'est facile à comprendre: cela fait deux ans que vous combattez à mes côtés, alors Marius, qui est mon ennemi personnel, n'a aucune confiance en vous… Il va donc sans doute recruter une nouvelle armée. Tout ce que je peux faire pour vous, c'est que nous allions tous ensemble à Rome pour demander à ce que je célèbre mon Triomphe, ce qui peut prendre un certain temps. Ensuite, je vous démobiliserai.

LB (très déçu): Nous n'irons donc pas en Asie?

LS: Non.

LB: Mais, mais… nous voulons aller faire la Guerre à Mithridate, nous! Nous sommes une armée expérimentée! Marius n'irait quand même pas recruter cinq légions de "bleus"!

LS (agacé): Quel rapport Bellienus?

LB: Marius ne peut pas se passer de légionnaires expérimentés!

LS: Bellienus, contrairement à moi, Marius se fiche complètement de savoir s'il agit pour le bien de Rome ou pas. Ce qu'il veut, c'est aller faire la guerre à Mithridate avec ses hommes à lui. Point.

LB (très abattu): Imperator, encore une question: c'est vrai que tu vas être démis de ton consulat pour une question de dettes?

LS: Oui.

LB: Mais, c'est complètement idiot. Il parait qu'un tribun de la plèbe n'a pas le droit de démettre un consul!

LS: Non, il n'a pas le droit.

LB: Alors… tout ce que fait Sulpicius est illégal?

LS: En quelque sorte, Bellienus…

LB (reprenant courage): Mais imperator, si tout ce que fait Sulpicius est illégal, le commandement de la guerre contre Mithridate doit te rester!

LS (intéressé): Continue Bellienius…

LB (avec espoir): Si tu restes notre commandant, alors nous irons en Asie?

LS: Oui Bellienus.

LB (optimiste): Alors, nous voulons que tu restes notre général!

LS: Je crains que Sulpicius et Marius ne soient pas d'accord avec vous…

LB (le moral revenu): On s'en fiche! Nous ce qu'on veut, c'est aller faire la guerre en Asie avec toi. Et le Sénat t'a d'abord désigné toi et pas le vieux croulant (se rendant compte de ce qu'il venait de dire), euh… on n'est pas d'accord pour que se soit Marius qui dirige la guerre contre Mithridate…

LS (amusé): Alors il faudra que vous alliez lui expliquer vous-même au "vieux croulant" que vous êtes contre sa nomination…

LB (gonflé à bloc): Je me charge d'aller l'expliquer aux légionnaires!

Une fois Bellienus sorti, Sylla arbora un grand sourire satisfait. "Et voilà. Il n'y a plus qu'à attendre. Contre six légions, Marius et Sulpicius n'ont absolument aucune chance. J'arrive Marius… J'arrive…"

Rome, Calendes de septembre

Sur le Forum, c'était désormais une joute quotidienne oratoire que se livraient Sulpicius et Caesar Strabo. Dès que Vopiscus avait fait acte de candidature pour la prochaine élection consulaire, le Sénat avait donné son accord. Cela avait rendu Sulpicius fou de rage que le Sénat s'essaie à contourner ses lois. Dès le lendemain, Marius avait annoncé sa candidature au consulat, ce qui avait surpris beaucoup de monde. Le peuple, avide de nouvelles et de spectacles, venait maintenant plus nombreux au Forum, à la grande joie de Caesar Strabo qui pouvait enfin parler sans avoir les sbires armés de Sulpicius sur le dos.

CS: Quirites, vous me connaissez tous! Oui, je n'ai pas été encore été préteur et je me présente au consulat. Mais je le fait pour défendre le Sénat et Lucius Sulla. Votre consul ne mérite pas qu'on lui retire son commandement. Il est le général le plus apte à mener cette guerre! Si vous votez pour moi, vous ferez un vote d'utilité publique car je rétablirais l'équité dans la République!

Pendant ce temps, tout le Sénat se mobilisait pour corrompre leurs électeurs: distribution d'argent, de provisions, promesses de jeux, de banquets, de blé, tout y passait. Cela dans le but d'obtenir le plus de votes possibles en faveur de César Strabo. De son côté, Marius ne venait pas au Forum pour convaincre les électeurs, les votes des Italiques et des nouveaux citoyens lui étant déjà acquis, non, Marius se rendait sur le champ de Mars avec sa famille pour s'entrainer. Il voulait montrer à tous les citoyens qu'il était apte à diriger la guerre contre Mithridate. Le vieux général voulait faire oublier le poids des âges et son embonpoint. Il s'exerçait à l'escrime avec les jeunes gens qui effectuaient leur éducation militaire, mais aussi à la course à cheval et au lancer du pilum. Autour de lui, son fils, ses deux beaux-fils, Quintus et Cnaeus Granius, ses neveux, les jeunes Sextus et Julius Caesar, et toute une cohorte de jeunes supporters qui vénéraient ses anciens exploits. Marius aimait se montrer à son avantage et recueillir des applaudissements. Cependant, lorsqu'il regagnait sa maison à la fin de la matinée, une grande partie du peuple le conspuait en lui demandant de retourner faire ses cures de thalasso à Misène. Marius faisait semblant de ne pas les entendre…

Un soir, Sulpicius se rendit chez Marius. Le tribun de la plèbe était nerveux. Il avait appris que Sylla était encore à Nola et Caesar Strabo faisait campagne en sa faveur. Il sentait qu'ils n'étaient pas encore totalement maîtres de la situation.

S: Il faut empêcher César-le-louchon de se présenter à l'élection!

CM (soupirant): Sulpicius, ce n'est pas la peine de t'inquiéter pour si peu. Bientôt, nous aurons mis le Sénat hors d'état de nuire. Vopiscus pourra donc être élu s'il le souhaite, son élection ne sera pas valide, je serais donc consul suffect avec un commandement légitime et enfin débarrassé de cette pleureuse de Sulla.

Gaius Marius

S (contrarié): Justement non…

CM: Mais si! Sulla et Vopiscus ont des dettes. Ils seront automatiquement hors du Sénat, donc inaptes au consulat après le vote de la loi.

S: Sauf que le Louchon affirme partout que s'il est élu consul, il cassera mes lois! Donc, nous aurons fait tout cela pour rien!

CM (agacé par la politique): Magnifique, nous serons donc quatre consuls réclamant à aller combattre Mithridate! Bon d'accord, si ça peux te tranquilliser, essaie de trouver une astuce légale pour te débarrasser du Louchon. Mais je te le déconseille quand même car nous allons nous mettre le peuple à dos. Caesar Vopiscus est très populaire. Notre action doit rester légale Sulpicius…

Le lendemain, Sulpicius se trouva un allié inattendu: son collègue Publius Antistius. Celui-ci arriva avec plusieurs rouleaux sous les bras et une mine indignée.

Publius Antistius: Non, non, mille fois non! Je ne suis pas d'accord! Vopiscus ne peut pas se faire élire consul. C'est contraire au mos maiorum!

S (ironique): Tu sais le mos maiorum en ce moment…

PA: Tu as bien expliqué à Marius que Vopiscus était plus populaire que lui et qu'il allait sans doute perdre l'élection au moins?

S (sombre): Je n'ai pas pu… Marius est déjà à préparer ses plans de batailles contre Mithridate. Le reste ne l'intéresse pas.

PA: Marius ne comprend donc pas que s'il n'est pas élu consul, ce sera un désaveu public! Son commandement deviendra illégitime!

S: Antistius, nous aurons mis le Sénat et Strabo hors d'état de nuire avant les élections. Marius sera donc le seul consul légitime, sauf qu'il faut empêcher Vopiscus de pouvoir se faire inscrire comme candidat avant le vote de mes lois, sinon sa candidature sera quand même légale. Et le Sénat compte justement là-dessus pour nous décrédibiliser!

PA: Justement, nous allons pouvoir mettre notre véto!

S: Sous quel motif?

PA: Qu'on ne peut pas se faire élire consul avant d'avoir été élu préteur! La vieille Lex Villia est toujours d'actualité. Je vais la ressortir.

S: Ils jouent à quoi le Sénat et Vopiscus, à ton avis, pour ignorer délibérément cette loi?

PA: Ils soutiennent le consulat de Sulla évidemment!

S: Ah, Vopiscus veut donc être consul avec Sulla… (Réalisant subitement:) Si nous laissons cet optimate reprendre le pouvoir, c'en est fini de nous!

PA: ça n'arrivera pas Sulpicius!

Publius Antistius se rendit donc sur le Forum, avec le texte de la Lex Villia Annilis sous le bras, pour expliquer au peuple que la candidature de Caesar Vopiscus au consulat était illégale. Il fut très mal accueillit et reçu une volée d'œufs et de légumes pourris à la figure. Vopiscus était fichtrement populaire pour déclencher un enthousiasme pareil!

L'orateur Gaius Iulius Caesar Strabo Vopiscus

Le lendemain, Sulpicius, avec Antistius, allèrent donc mettre leur véto à la candidature de Strabo, sous les huées de la populace. Cette fois, Vopiscus était venu avec ses partisans et bien armés. Il était décidé à utiliser les mêmes méthodes que Sulpicius pour l'obliger à retirer son véto. Cela dégénéra en un affrontement violent sur le Forum. Caesar Strabo fut blessé, plusieurs de ses partisans trouvèrent la mort dans l'échauffourée. L'Anti-Sénat de Sulpicius était bien décidé à rester maître du Forum. Les optimates durent se replier. Les hommes du Sénat étaient battus sur tous les plans. "Cette fois, c'est fini, pensa Vopiscus. J'ai fait tout ce que je pouvais pour m'opposer à Marius et à Sulpicius légalement. Il n'y a plus qu'à prier les dieux pour que Sulla revienne vite".

Rome, veille des ides de septembre

Publius Sulpicius était fou de joie. Il avait réussi là où les Gracques et Saturninus avaient échoué: il avait renversé le Sénat! Toutes ses lois étaient passées sans difficultés. Pompeius était légalement déchu et le Sénat était désormais composé d'une poignée de populares. Le tribun de la plèbe ignorait que Sylla avait des dettes lui aussi. Par prudence, il avait omis volontairement de demander sa destitution, mais il comptait bien rayer son nom des tablettes avant la fin de l'année. Le tribun de la plèbe avait donc désormais le champ libre pour réformer en profondeur les institutions romaines. Le Sénat était un concept politique dépassé, usé, complètement démodé, destiné à tomber en désuétude, tout comme la noblesse romaine vautrée dans le vice et la corruption, comme le disait Marius. Désormais, le pouvoir politique allait passer à l'ordre équestre, à la chevalerie romaine et italienne qui passait jusque là toujours en dernier à ramasser les miettes que les patriciens voulaient bien leur laisser. Ce temps là était désormais révolu. Un jour nouveau se levait pour la République romano-italienne et Sulpicius voulait l'appeler la République Latine, pour symboliser l'union de toute la nation. Et il allait remplacer le Sénat par une nouvelle assemblée plébéienne constituante, composée de 600 membres, des chevaliers les plus influents de la péninsule. Plus besoin de l'appeler l'Anti-Sénat, l'Assemblée Latine serait son nom… Sulpicius voyait loin et grand. Et surtout, il se voyait diriger sa nouvelle République…

De son côté, Gaius Marius fêtait dignement son nouveau commandement avec toute sa famille. Gaius Gratidius, son neveu, serait son légat. Il l'envoya directement à Nola de la part de Sulpicius pour annoncer la nouvelle à Sylla. Son fils serait tribun, ses beaux-fils officiers. A l'automne prochain, il se voyait déjà au seuil de l'Empire Parthe. L'un de ses rêves secrets était de casser le traité d'amitié que Sylla avait passé avec eux pendant sa propréture. Cette maudite pleureuse avait alors gâché l'un des meilleurs plans de la conquête romaine. Il allait y remédier… Marius se leva et porta un toast avec son célèbre cri de ralliement: "Gloire à Rome!"

Le soir des lois votées, tous les optimates se retrouvèrent chez Lucius Caesar, le prince déchu du Sénat. Et celui-ci ne décolérait pas.

LC: Par Jupiter, si Lucius Sulla ne revient pas avec son armée, j'irai le chercher moi-même jusqu'au fin fond du Royaume du Pont s'il le faut!

Son frère l'orateur le rassura.

CS: Je lui ai envoyé un autre message lui expliquant que Sulpicius allait mettre son anti-Sénat au pouvoir. Le Sulla que je connais ne laissera jamais faire une chose pareille. Tu peux parier qu'il sera revenu à Rome avant la fin du mois avec toutes ses légions. De toute façon, je vais le rejoindre. Je n'ai plus rien à faire dans une Rome où il n'y a plus de Sénat! Catulus était beaucoup plus sombre et il ne put s'empêcher de livrer le fond de sa pensée à ses amis.

QC: Je vous signale quand même que vous allez implorer un imperator de venir attaquer Rome! Vous savez au moins ce que cela signifie j'espère?

MA: Précise ta pensée Catulus…

QC: Que Sulla victorieux pourrait très bien décider de garder le pouvoir pour lui tout seul…

Tous se mirent à rire.

MA: Aucun risque, Sulla doit rapidement se rendre en Asie pour aller mettre fin à l'expansion de Mithridate!

QC (sentant un danger): Une nouvelle guerre qui le rendra encore plus puissant… A votre place, j'éviterai de lui demander de marcher sur Rome, sinon, ce n'est plus un tribun de la plèbe qui gouvernera la République, mais un imperator avec toute son armée dévouée…

CS (fataliste): Du moment qu'il gouverne avec le Sénat!

QC: Comme vous voulez. Au moins, je vous aurais prévenu…

Tous se levèrent et portèrent un toast en signe d'assentiment: "A l'imperator Sulla sauveur du Sénat et de la République!" "A Sulla imperator!"

...Suite