SYLLA PUNIT LE CRIME CONTRE LA REPUBLIQUE

Le Sénat refusant de déclarer ennemis publics ceux qui s'étaient alliés avec les ennemis italiques et les responsables de la Guerre civile, ces condamnations revenaient au proconsul Sylla, et à lui seul. Le lendemain de la fameuse réunion sénatoriale au temple de Bellone, il convoqua une assemblée du peuple. Il commença par déplorer la guerre qu'il avait du mener en rentrant d'Asie. Il dit que ceux qui l'avaient déclenché étaient les ennemis de Rome et il avait fait exécuter tous les Samnites et les Lucaniens qui avaient juré de détruire la cité. Mais ces Italiques n'avaient pas agit seuls. Dans Rome même, ils avaient trouvé des alliés, des citoyens prêts à tout pour les aider.

Pour ceux qui avaient aidé les Samnites, Sylla jugeait qu'il était impossible de leur pardonner ce crime contre la République. ''Il annonça qu'il avait l'intention d'améliorer la condition du peuple, s'il voulait suivre son impulsion; mais qu'il n'épargnerait aucun de ses ennemis et les destinait aux pires des maux, et qu'il déploierait tout le pouvoir dont il était armé contre tous préteurs, questeurs, chefs de corps, ou autres qui avaient servi ses ennemis depuis le jour que le consul Scipion viola le traité qu'il avait fait avec lui'', relate Appien. Le proconsul ajouta qu'il allait superviser lui-même la liste des sénateurs et des chevaliers concernés. Les autres citoyens, Sylla les considéraient innocents. Ils avaient été trompés par leurs chefs et ils n'auraient pas à payer leurs crimes à leur place. L'Imperator visait les meneurs et laissait le peuple en dehors de ce règlement de compte politique.

LA PREMIERE LISTE

Après cette réunion, Sylla fit placardé un édit aux emplacements réservés à l'affichage officiel. C'est sur la suggestion du chef de ses prétoriens, le centurion primipile Lucius Fufidius, qu'il se décida à afficher la première liste des proscriptions. Le mot ''proscrire'' vient du latin proscribere, ''afficher''. En préambule, l'édit disait que les horreurs qui avaient été commises à Rome ces dernières années devaient obtenir réparation. Que ces crimes s'étaient aggravés d'une trahison car leurs auteurs avaient conclu un pacte avec les ennemis de Rome. ''Il concluait en disant qu'il n'avait pas voulu faire saisir et égorger ceux dont il avait résolu la mort à mesure qu'il les rencontrerait, mais qu'il avait jugé préférable d'en publier la liste, et cela par égard pour les citoyens de Rome, afin d'éviter que ses soldats ou ses partisans ne se laissent entraîner par un ressentiment pourtant juste et ne s'en prennent aussi à ceux qu'il avait voulu excepter; et il interdisait formellement d'inquiéter qui que ce fut dont le nom ne figurait pas sur la liste'', note l'historien François Hinard. Suivait les prescriptions de l'édit: interdiction de tout asile et de toute forme d'aide; quiconque serait convaincu d'avoir accueilli, caché un proscrit ou de lui avoir permis la fuite, serait mis à mort; une récompense de 12 000 deniers pour un citoyen, de la liberté pour un esclave, payable par le questeur sur les fonds publics, est promise à ceux qui rapporteraient la tête d'un proscrit; une récompense sera aussi remise à tous ceux qui, par leur dénonciation, faciliterait la capture d'un proscrit. 80 noms (chiffre donné par Plutarque, Appien d'Alexandrie parle de 40 sénateurs) suivaient:

Gnaeus Papirius Carbo, Gaius Marius, Lucius Cornelius Scipio, Gaius Norbanus, Lucius Iunius Brutus Damasippus, Marcus Marius Gratidianus, Marcus Peperna Veiento, Gaius Carrinas, Quintus Valerius Soranus, Quintus Sertorius, Gnaeus Domitius Ahenobarbus, Marcus Iunius Brutus, Marcus Plaetorius, Lucius Cornelius Cinna fils, Gaius Norbanus fils, Lucius Cornelius Scipio fils, Gnaeus Titinius et Gaius Maecenas, pour les noms parvenus jusqu'à nous.

La première liste affichée

L'indignation fut générale. Ce procédé ''révoltait tous les cœurs par sa cruauté et par son étrange nouveauté'', relève Dion Cassius. ''Il paraît qu'il fut le premier à établir une liste avec le nom de ceux qu'il condamnait à mort, et le premier aussi qui assura des honneurs à ceux qui égorgeraient les proscrits, des récompenses à ceux qui révéleraient leurs asiles, et qui prononça des peines contre ceux qui les aideraient à se dérober à sa vengeance'', rapporte Appien. Les mises à mort ne furent pas immédiates. Sur cette première liste, 36 proscrits furent retrouvés et exécutés. "Les cadavres des uns furent portés en triomphe au bout des piques vers Sylla, et jetés à ses pieds", précise Appien. D'autres furent traînés pieds et poings liés devant Sylla qui campait toujours sur le Champ de Mars. La sentence était immédiate: le proscrit était flagellé puis décapité. Sa tête allait orner les rostres ou les fontaines les plus importantes, et son corps était traîné dans toute la ville avant d'être jeté dans le Tibre. Le pire traitement fut réservé à Marcus Marius Gratidianus, le neveu de Gaius Marius, celui à qui pourtant le peuple avait érigé des statues dans toute la ville lorsqu'il avait régler le problème des dettes. Lucius Sergius Catilina le retrouva terré dans une bergerie. Gratidianus fut traîné jusqu'au tombeau de Quintus Lutatius Catulus qu'il avait poussé au suicide en lui intentant un procès pour haute trahison. Catilina ''ne lui ôta la vie qu'après lui avoir fait arracher les yeux et briser l'un après l'autre tous les membres'', rapporte Maxime Valère. Catilina se montra l'un des plus actifs dans la chasse aux proscrits, allant même jusqu'à faire mettre son propre frère sur les fameuses listes, comme le rapporte Plutarque: ''Lucius Catilina donna dans ces proscriptions un exemple inouï de cruauté. Avant que la guerre fût terminée, il avait tué son frère de sa propre main; et quand Sylla eut commencé ses proscriptions, il le pria de mettre son frère au nombre des proscrits, comme s'il eût été vivant, ce que Sylla lui accorda volontiers. Catilina, pour reconnaître ce service, alla tuer un homme de la faction contraire, nommé Marcus Marius, et porta sa tête à Sylla, qui était dans la place publique sur son tribunal; après quoi il alla froidement laver ses mains dégoutantes de sang dans le vase d'eau lustrale qui était près de là, placé à la porte du temple d'Apollon''.

LES DEUXIEME ET TROISIEME LISTE

Le 5 novembre, une nouvelle liste de 220 noms est publiée. ''Les tables fatales étaient exposées, comme l'album sénatorial, ou comme le catalogue officiel de l'armée. Tous ceux qui venaient incessamment dans la place publique, accouraient vers ces tables et les lisaient avec avidité, dans l'espoir de recueillir quelque bonne nouvelle; mais les uns trouvaient leurs parents au nombre des proscrits; quelques autres s'y trouvaient eux-mêmes. Alors ils étaient frappés de terreur, comme il arrive dans un malheur imprévu: plusieurs, trahis par leur émotion, furent mis à mort. Personne, excepté les amis de Sylla, ne fut plus en sûreté. Approchait-on de l'album, c'était une curiosité coupable; n'en approchait-on pas, c'était une marque de mécontentement. Lisait-on les listes, ou demandait-on quels noms y étaient inscrits, c'était assez pour être soupçonné de chercher des renseignements pour soi-même ou pour ses amis: ne les lisait-on point, ne demandait-on aucun renseignement, c'était s'exposer à être regardé comme un ennemi de Sylla et de ses partisans, et par là encourir leur haine. Les larmes, le rire étaient sur-le-champ traduits en crime capital: beaucoup de citoyens perdirent la vie, non pour une parole ou pour une action défendues par Sylla; mais parce qu'ils avaient l'air triste, ou pour avoir souri. Ainsi les physionomies étaient curieusement épiées: il n'était permis à personne de pleurer un ami, ou de se réjouir du malheur d'un ennemi: l'oser, c'était une insulte punie de mort. Les surnoms eux-mêmes causèrent à plusieurs de grands embarras; car ceux qui ne connaissaient pas les proscrits appliquaient leurs surnoms à qui ils voulaient, et un grand nombre de citoyens furent ainsi mis à mort pour d'autres. De là une grande confusion; parce que les uns donnaient au hasard le premier nom venu à ceux qu'ils rencontraient; tandis que les autres soutenaient qu'ils ne s'appelaient pas ainsi'', révèle Dion Cassius d'après la version donnée par les populares.

L'ordre équestre rattrapé par les proscriptions

La terreur régnait une fois de plus à Rome: ''À peu de temps de là, il proscrivit encore d'autres sénateurs; et plusieurs de ces derniers, pris à l'improviste, furent immolés dans les lieux mêmes où ils furent trouvés, dans leurs maisons, dans les rues, dans les temples. D'autres furent soulevés pour être portés jusqu'à Sylla, et jetés à ses pieds. D'autres furent traînés et outragés de toutes les manières, sans qu'aucun de ceux dont les yeux rencontraient ces spectacles épouvantables osât dire un mot, tant la terreur était profonde. D'autres furent condamnés à l'exil. D'autres eurent leurs biens confisqués. Des perquisiteurs furent mis en campagne, et se répandirent de tous les côtés, pour déterrer ceux qui s'étaient sauvés par la fuite, et ils égorgèrent tous ceux qui leur tombèrent entre les mains'', ajoute Appien. ''Une foule de citoyens furent les victimes de haines particulières; Sylla, qui n'avait pas personnellement à s'en plaindre, les sacrifiait au ressentiment de ses amis, qu'il voulait obliger'', explique Plutarque. Malgré les listes précises qu'il avait fait afficher, Lucius Cornelius ne pouvait empêcher les vengeances et les règlements de comptes personnels.

Pendant ce temps, les réunions du Sénat se succédaient au Temple de Bellone et les sénateurs étaient inquiets. L'un d'eux, un jeune sénateur, nommé Marcus Metellus, interpella ainsi l'Imperator: ''Nous ne vous demandons pas, de sauver ceux que vous avez destinés à la mort, mais de tirer de l'incertitude ceux que vous avez résolu de sauver'', rapporte Plutarque. Lucius Sylla lui aurait répondu qu'il ne savait pas encore ceux qu'ils laisseraient vivre. Le jeune sénateur ajouta donc: ''Eh bien! Déclarez-nous donc quels sont ceux que vous voulez sacrifier''. ''C'est aussi ce que je ferai'', répondit le proconsul.

Beaucoup de citoyens crurent que Sylla proscrivait non seulement ses ennemis, mais aussi ceux qui avaient de l'argent afin d'enrichir ses amis. Ainsi, Quintus Aurelius, en voyant son nom sur la liste, se serait écrié: ''Malheureux que je suis, c'est ma maison d'Albe qui me poursuit''. En effet, les biens des proscrits étaient confisqués et vendus sur la place publique par Sylla lui-même! Et plus encore, ''ce qui parut le comble de l'injustice, c'est qu'il nota d'infamie les fils et les petits-fils des proscrits, et qu'il confisqua leurs biens''. Sylla n'oubliait pas que ses ennemis avaient confisqué ses biens et lui même leur faisaient subir la même chose…

Un certain Lollius, chevalier, se croyant à l'abri des proscriptions, s'était permis des commentaires assez sarcastiques à la lecture de la première liste. Cependant, il découvrit avec surprise son nom sur la seconde liste. Immédiatement reconnu, il fut traîné devant Sylla qui le fit exécuter sur le champ sous les applaudissements de la foule. En effet, les proscriptions, à part les sénateurs et les chevaliers de la première classe qu'elles visaient tout particulièrement, plaisaient assez au peuple de Rome qui avait beaucoup souffert de cette guerre civile et applaudissait au règlement de compte entre factions. Pour le peuple romain, Sylla était en quelque sorte le maître du spectacle. Mais un spectacle potentiellement dangereux pour ceux ayant participé à la capture ou à l'exécution d'un proscrit : leur nom était noté dans un livre de compte tenu par un questeur. Sylla proscrivait donc aussi l'anonymat, comme contraire aux lois…

La lecture des listes déchaine la foule

Le 6 novembre, Sylla fait paraître une dernière liste de 220 noms. ''Ayant ensuite harangué le peuple, il dit qu'il avait proscrit tous ceux dont il s'était souvenu; et que ceux qu'il avait oubliés, il les proscrirait à mesure qu'ils se présenteraient à sa mémoire'', rapporte Plutarque. Les méthodes du proconsul, radicales et excluant toute pitié, choquèrent grandement l'opinion romaine: ''Il comprit dans ces listes fatales ceux qui avaient reçu et sauvé un proscrit, punissant de mort cet acte d'humanité, sans en excepter un frère, un fils ou un père. Il alla même jusqu'à payer un homicide deux talents, fût-ce un esclave qui eût tué son maître, ou un fils qui eût été l'assassin de son père'', ajoute Plutarque. Et c'est Cicéron qui donnera la meilleure définition du proscrit: ''Le proscrit n'est pas seulement banni du nombre des vivants, il est même, s'il peut en être ainsi, relégué plus bas que les morts''.

La chasse aux proscrits concerna toute l'Italie. Catilina est l'un des plus actifs. Il lance ses chasseurs de tête dans tous les alentours de Rome et organisa une traque impitoyable. Lucius Liscius et Lucius Bellienus furent aussi très actifs. Baebius fut déchiqueté par la foule. Marcus Plaetorius fut exécuté sur le tombeau de Catulus, tout comme Venuleius. Gaius Papius Mutilus, le chef samnite responsable de la Guerre sociale, se suicida à Teanum, devant la porte de sa belle famille car celle-ci refusa de lui donner asile. ''On y égorgea, on y bannit, on y dépouilla de leurs biens tous ceux qui avaient agi sous les ordres de Carbo, de Norbanus, de Marius, et des chefs qui leur étaient subordonnés. On jugea rigoureusement, d'un bout de l'Italie à l'autre, ceux à qui on imputa les diverses actions qui furent traitées de crime, comme d'avoir commandé quelque opération, porté les armes, fourni des contributions, rendu tout autre service, ou même de s'être montrés, par leurs sentiments, contraires au parti de Sylla. Avoir donné ou reçu l'hospitalité, avoir eu des liaisons d'amitié, avoir prêté ou emprunté de l'argent, devinrent des titres d'accusation. On pouvait désormais être arrêté pour avoir témoigné de l'affection, ou simplement pour avoir été compagnon de voyage. C'était principalement contre les riches que ces fureurs étaient dirigées'', rapporte Appien. Ainsi, tous les chefs et pro-marianistes des villes d'Italie furent exécutés. Même la ville de Nola, qui résistait toujours à Sylla, fit pourtant sortir les proscrits de ses murs pour les remettre à l'armée syllanienne!

MARIUS LE JEUNE SE SUICIDE

Après la victoire de la Porte Colline, le consul Gaius Marius, en voyant les têtes de Carrinas, Censorinus et Telesinus comprit que la défaite était inéluctable. La ville de Praeneste se résolut à ouvrir ses portes à Ofella et Marius chercha à s'évader par les souterrains. Mais toutes les issues étaient gardées. Sans plus aucun espoir, Marius du se résoudre à se donner la mort. Lui et le frère de Télésinus se tuèrent mutuellement. Sur Gaius Marius le jeune, l'opinion des Romains avait changé depuis longtemps déjà, ''tant le fils de Marius montra de cruauté et de barbarie, en faisant mourir les personnes les plus distinguées par leur naissance et par leurs vertus! L'audace et l'intrépidité dans les dangers, dont il avait d'abord donné des preuves, l'avaient fait appeler le fils de Mars; mais ensuite ses actions ayant montré en lui des qualités tout opposées, on l'appela le fils de Vénus'' note Plutarque. Lorsque Sylla reçut la tête de Marius, il déclara en grec en la voyant: ''Il faut d'abord savoir ramer avant de tenir le gouvernail'', et il fit exposer sa tête sur les rostres.

Marius le jeune contraint au suicide

Puis Sylla se rendit en personne à Praeneste. Ofella avait déjà fait exécuter les proscrits. A son arrivée, le proconsul fit immédiatement exécuter tous les sénateurs et les chevaliers marianistes. Puis, il rassembla les prisonniers en trois groupes: les Samnites, les Romains et les Praenestins. Les soldats Samnites furent exécutés rapidement. Il s'adressa ensuite aux Romains, leur disant qu'ils auraient mérité la mort pour l'avoir combattu, mais que lui, Lucius Sulla, voulait bien leur faire grâce. Puis, il s'adressa aux Praenestins, leur disant qu'il ne pardonnerait pas leurs actes contre la République, et donna l'ordre de les exécuter. Enfin, le proconsul laissa partir les femmes et les enfants, et laissa ses hommes se livrer au pillage de la ville. C'était l'une des plus riches d'Italie. Sylla en profitait, de son côté, pour mettre la main sur les caisses de l'Etat que Marius avait emporté avec lui.

VENGEANCE POST-MORTEM

Beaucoup de ses adversaires étaient morts sans l'attendre, comme Cinna, ou encore Gaius Julius Caesar, décédé quelques années auparavant, sans doute d'une rupture d'anévrisme, ou encore son ennemi juré Gaius Marius. Pour ce dernier, sa soif de vengeance était encore vive. Marius qui lui avait volé son commandement contre Mithridate, Marius qui l'avait déclaré ennemi de la République, Marius qui avait égorgé ses amis, Marius qui avait fait raser sa maison, Marius qui avait confisqué ses biens, Marius qui avait voulu tuer sa femme et ses enfants... Mais Marius était déjà mort. Alors Sylla fit ouvrir son tombeau et jeter son corps dans l'Anio. Puis, il fit ôter toutes les statues qui restaient de lui à Rome, et enlever tous ses trophées de guerre. Rien ne devait plus subsister de Marius…

''QU'ILS ME HAISSENT POURVU QU'ILS ME CRAIGNENT''

''Oderint dum metuant!'' prononce le tyran Atrée, roi d'Argos, dans une tragédie d'Accius. Cette expression se diffusait dans tout Rome depuis l'époque où Marius était consul, et était devenue un symbole de la tyrannie. ''Qu'on me craigne pourvu qu'on me haïsse, mot qui sent bien le siècle de Sylla'' juge Sénèque. En cette fin d'année, Sylla était de retour à Rome et en profitait pour retrouver tous les membres de sa famille, au sens large. Son beau-fils Mamercus veillait sur les enfants de l'ancien consul Lucius Porcius Cato, tué pendant la guerre civile. Ainsi, le plus jeune des fils de Cato, Marcus Caton, 14 ans, venait souvent avec son précepteur Sarpédon dans la maison de Sylla. Caton, ''étant venu saluer Sylla chez lui, vit des têtes de proscrits qu'on avait apportées dans le vestibule. Profondément ému par cet horrible spectacle, il demanda à son précepteur, nommé Sarpédon, comment il ne se trouvait personne pour tuer un tyran si cruel. Sarpédon lui répondit que ce n'était pas la volonté qui manquait aux hommes, mais les moyens, à cause de la garde nombreuse qui protégeait Sylla. L'enfant le supplia alors de lui donner un poignard, en assurant qu'il lui serait très facile de tuer Sylla, parce qu'il avait coutume de s'asseoir sur son lit. Le précepteur reconnut à ces mots le caractère de Caton, il frémit de son dessein et, désormais, il ne le mena plus chez Sylla sans l'avoir d'abord fouillé'', rapporte Maxime-Valère.

Le jeune Marcus Porcius Cato veut tuer sylla

Cette anecdote exprime bien le traumatisme qu'installa l'Imperator dans le milieu du Sénat romain à l'époque des proscriptions.

POMPEE EXECUTE CARBO

Beaucoup de proscrits étaient encore en fuite, notamment Marcus Perpenna Veinto en Sicile, Gnaeus Domitius Ahenobarbus et Gnaeus Papirius Carbo en Afrique et Quintus Sertorius en Hispanie. Perpenna est propréteur, gouverneur de la Sicile. Sylla, cherchant à organiser le ravitaillement de Rome et de ses troupes en blé, avait envoyé une délégation à Perpenna pour négocier son ralliement. Mais le propréteur ne voulu rien entendre. Au contraire, il organisa la rébellion dans toute sa province, et menaça même Sylla d'envoyer des troupes en renfort à Marius le Jeune. Ainsi, dès la victoire de la Porte Colline, Lucius Cornelius envoya Pompée remettre de l'ordre en Sicile, avec le titre de propréteur. Lorsque Perpenna apprit que Pompée allait débarquer en Sicile, il prit immédiatement la fuite et parti rejoindre Quintus Sertorius en Ibérie. Pompée traversa donc rapidement la Sicile avec ses troupes pour s'assurer que celle-ci était désormais bien pacifiée. Pendant ce temps, d'autres navires poursuivaient les proscrits dans toute la Méditerranée. Marcus Iunius Brutus Damasippus préféra se suicider plutôt que de tomber aux mains de Pompée. De son côté, le consul Carbo se cachait sur la petite île de Pantelleria. Il fut assez facilement retrouvé et trainé devant Pompée. Le général lui lu l'édit de proscription et donna l'ordre de l'exécuter. Comme Cinna, Carbo se conduisit lâchement et pleura lorsqu'on l'exécuta. Pompée fit envoyer sa tête à Sylla, ainsi que celle de Quintus Valerius Soranus.

Il restait encore quelques proscrits disséminés aux quatre coins de l'Empire, notamment Quintus Sertorius en Espagne. Pendant ce temps, l'ancien consul Gaius Norbanus s'était réfugié à Rhodes. Cette information n'échappa pas à Sylla qui envoya des émissaires dans cette cité pour réclamer sa tête. Les Rhodiens hésitaient. Certes, ils s'étaient rangés aux côtés de Sylla pendant la guerre contre Mithridate, mais leur île était reconnue pour être une terre d'asile. Pendant qu'ils réfléchissaient, Norbanus alla sur l'Agora et se suicida en public. De son côté, l'ancien consul Lucius Cornelius Scipio s'était réfugié à Marseille. Nous ne savons pas ce qui lui est exactement arrivé, mais sa tête n'a pas été rapportée à Sylla. Il semblerait qu'il soit décédé quelques mois après son arrivée dans la ville. En définitive, peu de proscrits purent sauver leurs têtes. Quelques noms sont parvenus jusqu'à nous, comme ceux des chevaliers Cnaeus Decidius et Aulus Trebonius, et deux sénateurs : Lucius Fidustius et le fils de Lucius Cornelius Cinna.

Ainsi, Sylla ne proscrit sur ses listes que 520 personnes, comme en témoigne Salluste: ''Lucius Sylla, à qui, selon le droit de la guerre, sa victoire donnait toute licence, tout en comprenant que la mort de ses ennemis pouvaient fortifier son parti, n'en fit pourtant périr qu'un petit nombre, et il aima mieux retenir le reste par les bienfaits que par la terreur''. Et même Saint Augustin, dans La cité de Dieu, précise: "Certes, les morts attristaient les gens, mais ce qui réconfortait, c'était, au moins, que leur nombre était limité".

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